Grâce
à Jocelyne, je suis tombé sur un récit succulent, et (beaucoup) trop vrai
chez Pierre Deruelle. Bravo à lui pour l'avoir rédigé, et à elle pour l'avoir découvert.
Le texte qui suit étant une pure fiction, toute similarité avec la réalité serait totalement fortuite.
- Boss, comment on va faire pour le fric ?
- Comment ça, comment on va faire ? On va faire comme d’habitude.
- Ah bon, mais on fait comment d’habitude ?
- Et bien tu vois Jean-Kévin, c’est pourtant simple. Je vais t’expliquer.
- Ah je veux bien, Boss, je vous avoue que là je suis un peu perdu.
- Justement Jean-Kévin, heureusement on ne t’a pas attendu, on s’est
organisé avec John-François, Alban-Bernard, Saul-Adam, et Jack-Pipper.
- Super Boss, mais je croyais que c’était nos banquiers et nos concurrents eux.
- C’est le cas, Jean-Kevin, mais on va souvent pécher au gros au large
ensemble à La Barbade ou skier à Aspen, on se connaît bien, on s’est un
peu organisé, tu comprends ?
- Pas trop, Boss, mais si vous le dites, Boss, moi je vous crois.
- L’argent ce n’est pas vraiment le problème, tu sais. C’est juste un
truc symbolique pour remplacer le troc. La vrai question c’est qui
fabrique l’oseille, et qui le distribue, dans quelles conditions.
- Ben c’est les pays qui fabriquent leur argent, Boss, si j’ai bien
compris. La France fabrique ses francs, les USA fabriquent le Dollar,
non ?
- C’est ça Jean-Kévin. C’est ça. D’ailleurs c’est tellement ça qu’il
fallait que ça change. Avec John-François, Alban-Bernard, Saul-Adam, et
Jack-Pipper, on a eu une idée géniale.
- Ah ouais, Boss, j’imagine qu’à vous quatre, ça a du imprimer sévère.
- Tu imagines bien, Jean-Kévin, tu imagines bien, et tu ne crois pas si
bien dire. Je t’explique le truc, tu te coucheras moins con.
- Merci Boss.
- T’as compris que les pays fabriquaient leur pognon, et ça c’est un
problème. Du coup, pour nous qui sommes banquiers et patrons de
multinationales, c’était un peu la galère, on était obligé de manger
dans la main des hommes politiques.
- Ben oui Boss, mais bon, ils sont pas trop difficiles à acheter, non?
Il suffit de financer leur campagne, de leur refiler des mallettes.
- Oui, on a fait longtemps comme ça, mais non seulement il y a toujours
des emmerdeurs qui refusent les vacances aux Bahamas, et en plus, ça
tourne souvent la politique, c’est jamais les mêmes, et nous, tu
comprends Jean-Kévin, on a besoin de stabilité et de faire de plus en
plus de fric.
- Ah oui Boss, ça je comprends. Mais du coup, on fait ça comment ?
- Toi tu fais rien, Jean-Kévin. Tu te tais, tu écoutes, et je
t’explique. C’est du grand art, alors connecte un peu tes neurones.
- J’essaye Boss, j’essaye.
- Tu vois, le truc c’est que l’argent est émis par les banques centrales
des états. Donc on a commencé par financer les grands écoles pour
former des mecs avec nos idées, puis on a mis ces mecs à nous partout
dans le système. Ça c’était pas trop difficile.
- Et personne n’a rien dit ?
- Ben tu sais Jean-Kévin, pour faire ça, il a suffit d’une bonne crise
financière. On a planqué tout le fric dans des paradis fiscaux, on leur a
dit que tout s’était évaporé, que c’était la merde, et que les gens
n’auraient plus rien à bouffer. Quand les gens risquent de crever la
dalle, quand ils ne peuvent plus retirer de fric au distributeur, c’est
la panique. Et quand c’est la panique, ils arrêtent de réfléchir.
- Ah bon chef, mais vous avez fait comment ?
- Ben on leur a foutu une trouille monstre. On a expliqué à leurs
dirigeants que pour éviter les crises monétaires, il fallait laisser les
pros gérer. Et les pros, c’est nous. On leur a présenté deux solutions à
notre avantage, et comme ils étaient en panique ils ont choisi la moins
pire.
- Mais Boss, les politiques ne vous ont pas collé l’affaire sur le dos, pour la crise ?
- Au début, ils voulaient, sous la pression de l’opinion. Mais on leur a
refilé des jobs, on a embauché leur mômes, leurs femmes, on leur a fait
des chèques, on leur a refilé des cadeaux, on leur a promis des postes
après leur mandat électoraux. On leur a soufflé que nos idées venaient
d’eux. On a trouvé des solutions pour s’entendre.
- Ah ouais, c’est malin ça, Boss. Mais les gens ils ont rien dit ?
- Ben tu sais Jean-Kévin, les gens ils vont voter, et puis quand c’est
fait, ils s’en remettent au mec élu. Ce qui fait qu’au lieu d’avoir à
enfumer tout le monde, on a juste eu à enfumer les têtes de gondoles.
- C’est balèze ça, Boss.
- Et du coup, les mecs élus nous ont refilé le mandat pour gérer leur pognon.
- Vous avez pris l’argent Boss ?
- Mais non, t’es con Jean-Kévin. On s’en fout de l’argent. Ce qui nous intéresse, c’est de leur coller des dettes au cul.
- Ah bon Boss ? Je comprends pas là.
- Ben c’est simple Jean-Kévin. T’es vraiment une grosse buse. Si on
prend l’argent, ça se voit, et ça gueule. Donc au lieu de ça, on leur a
prêté le pognon avec des intérêts.
- Ah ouais Boss, ça veut dire qu’au lieu d’utiliser leur propre fric,
ils vous en empruntent à vous avec intérêts. Mais les gens se sont
rendus compte de rien ?
- Ça c’était pas évident, j’avoue. Il a fallu ruser. On a noyé tout ça
dans des tonnes de papiers. On a fait bosser les milliers de mecs qu’on
avait formé à nous pondre des textes tellement compliqués que personne
ne pouvait les lire.
- C’est futé, ça, Boss.
- Ben justement, comme eux ils le sont pas trop, ils n’ont rien lu, et
ils ont tout signé, les cons, et ils se les sont appropriés, ça leur
faisait un truc à dire pour la télé.
- Trop fort Boss.
- Et comme du coup on a dégagé des marges colossales, on a redistribué
les miettes du gâteau pendant quelques années. Les miettes, elles
étaient tellement grosses que les mecs arrivaient plus à avaler. Et du
coup, c’était tellement bon qu’ils sont tous devenu accrocs.
- Et ça marchait comment ce truc ?
- Ben c’est assez simple. Saul-Adam et Jack-Pipper, quand ils ont eu
récupéré toutes les réserves de pétrole et de gaz du monde, ils ont
fabriqué des merdes avec. Puis ils ont vendu ces merdes à crédit à tout
le monde, aux états, aux citoyens.
- Et le bénef des crédits, c’est pour nous. j’ai pigé ! Mais quoi comme merde, Boss ?
- Bah des armes de guerre, des trucs nucléaires, des trucs chimiques,
tout un tas de trucs à crédit, et surtout on leur a vendu des bulles
avec rien dedans, genre des crédits immobiliers insolvables. On a leur a
même vendu des crédits tellement pourris que toutes les villes de leurs
pays sont surendettés maintenant.
- Et personne a rien dit ?
- Bah, il y a quelques mecs qui ont pigé la combine, mais bon, on les a empêché de parler.
- Mais comment on fait ça Boss, on peut pas vraiment les empêcher
d’écrire ou de parler. Vous les avez quand même pas zigouillés ?
- Mais non, abruti. C’est beaucoup plus simple que ça. John-François et
Alban-Bernard ont acheté la plupart des chaînes de télé, tous les
journaux, tous les magazines, toutes les radios. Comme ça on a juste eu à
contrôler qui on laissait parler en public.
- Ah ouais, ça c’est fort, Boss. Vraiment très fort.
- Attend c’est que le début, mon petit Jean-Kévin. Ensuite, on leur a
refait le coup de la crise, comme on avait fait en 1909, quand ils nous
ont refilé la Banque centrale américaine à gérer. Puis on a recommencé
en 1929, et on a enchaîné sur une bonne guerre, qui nous a permis de
leur vendre toutes nos merdes militaires, nos chars, avions, canons. On
ne s’est jamais autant gavé de fric qu’en envoyant du bétail sous nos
bombes.
- Mais on ne vous a rien dit ?
- Évidemment non, on a vendu du pétrole, de l’acier et nos technologies aux deux parties. Ça mettait tout le monde d’accord.
- Et ils ne vous ont rien reproché, Boss ?
- Même pas un coup de fil. Ils étaient trop occupé à se partager le gâteau. Les vainqueurs sont même venus nous dire merci.
- Sont cons quand même un peu Boss, non ?
- Ben heureusement Jean-Kevin, sinon il y a longtemps qu’ils nous auraient chopés.
- Évidemment Boss, évidemment.
- Donc là, on leur a soufflé de créer des supers Banques centrales,
comme en Europe avec la BCE. On a mis des mecs à nous évidemment, et
ensuite on a fait ce qu’il fallait faire.
- Et il fallait faire quoi Boss ?
- T’es vraiment con comme une valise sans poignée Jean-Kevin. Il fallait
leur vendre nos merdes à crédit avec des intérêts tellement chers qu’à
la fin ils ne peuvent plus payer.
- Ah ouais…
- Et comme ils ne peuvent plus payer, on leur refait des crédits encore plus chers.
- Et ça s’arrête jamais, Boss ?
- Non, ça ne s’arrête jamais. C’est le but, cornichon, réfléchi. De temps en temps, on leur refait le coup de la crise.
- Ça marche à tous les coups, ça Boss, on dirait.
- Ouais, c’est imparable. Ils sont tous paniqués. On a refait le coup du
choix des solutions, qu’on a partagé entre les deux partis politiques
les plus importants. Mais au final, c’est toujours nos solutions qui
marchent.
- C’est génial Boss. Mais à force, ils ne vont pas piger le truc ?
- Ben tu sais, Jean-Kévin, il y a une bonne vieille règle qu’on applique
au pied de la lettre. Quand un mec crève la dalle, il arrête de
réfléchir. Quand un mec est crevé parce qu’il a trop bossé, il arrête de
réfléchir.
- Ça j’avais constaté Boss, ça m’arrive aussi à moi.
- Tu vois Jean-Kévin, c’est pour ça que c’est moi le Boss, et pas toi.
- Et maintenant, Boss, on fait quoi alors ?
- Pour éviter qu’ils percutent avec leur saloperie d’internet et tout ça, on va les paniquer encore plus.
- Et on fait ça comment, Boss ?
- Ben c’est simple. On leur dit que c’est la maxi-crise, et on leur fout
les jetons avec la sécurité, l’immigration, on leur raconte des
histoires lugubres, on les inonde de faits-divers dégueulasses.
- Ah ouais, comme à la télé, Boss.
- T’es con Jean-Kévin, c’est justement nos télés et nos médias qui font ça.
- Ah ben oui, je suis con, Boss, c’est vrai que j’y avais pas pensé.
- C’est pas trop ton truc de penser, Jean-Kévin. Essaye pas tu vas te faire du mal.
- Ok Boss.
- Donc on leur raconte des histoires qui foutent la trouille, histoire
qu’ils fantasment, qu’ils flippent. L’idée c’est qu’ils aient tellement
peur de perdre ce qu’ils ont déjà qu’ils acceptent tout ce qu’on leur
refile à avaler.
- C’est possible, ça, Boss ?
- Oh oui, crois moi. On fait pareil avec la politique. On leur raconte
des histoires, on occupe les médias avec des conneries, et pendant ce
temps là, nous on continue d’encaisser.
- Mais ils vont pas finir par piger le truc, Boss, surtout qu’ils sont de plus en plus nombreux ?
- Pour ça, Jean-Kévin, on a des solutions.
- Ah ouais Boss, vous avez trouvé des solutions ?
- Ben oui, Jean-Kévin, on les oblige à tout privatiser, comme ça plus
rien ne leur appartient. Enfin on les oblige. Non, plutôt on leur fait
croire que c’est la seule solution, et même que c’est la leur.
- Et ça marche ?
- Si tu suivais un peu, Jean-Kevin, t’aurais pigé qu’ils n’ont pas
vraiment le choix. Du coup, comme on privatise tout et qu’on les
exploite, ils ne peuvent plus bosser, or sans argent ils ne peuvent plus
lire, se cultiver, et donc réfléchir.
- C’est l’ennemi ça, la culture, Boss, un peu non ?
- Évidemment. On privatise aussi les écoles, comme ça ils ne peuvent
plus scolariser leurs gosses, qui grandiront cons comme des enclumes et
viendront pas marcher sur nos pelouses, ni faire chier nos mômes à nous
qu’on protège dans des supers écoles hors de prix. On fait pareil avec
les hôpitaux et la santé, comme ça ils sont tellement malades qu’ils
peuvent plus gueuler, et surtout ils vivent moins longtemps.
- Et ça marche, Boss ? Ils sont pas trop dégoûtés ?
- Il y en a quelques millions qui gueulent de temps en temps, mais pour
le gros du tas, on les occupe autrement, on leur raconte une jolie
histoire de mariage de princesse, exactement comme dans les contes de
fées. Ça les occupe, ils ont l’impression d’être heureux par
procuration. Ça leur fait passer la pilule.
- Ah ouais c’est hyper vicieux Boss.
- Ben tu sais Jean-Kévin, on ne devient pas multimilliardaire en faisant des cadeaux, et je sais de quoi je parle.
- Et ensuite Boss, la prochaine étape c’est quoi ?
- Et bien la prochaine étape, Jean-Kevin, c’est que comme leurs États
sont surendettés, on leur dit qu’on a perdu confiance, nous, enfin là on
s’appelle les marchés financiers, tu vois. Puis on augmente les taux
d’intérêt auxquels leurs États peuvent nous emprunter le pognon sur les
marchés obligataires, et hop, ça augmente encore leurs dettes publiques.
Et puis, on leur propose comme solution de tout privatiser, en
particulier des services d’intérêt général, du coup on leur dit qu’en
échange la confiance des marchés va revenir, et qu’on baissera les taux
d’intérêt, et que ça réduira leurs dettes.
- Vous n’allez pas vraiment le faire, Boss ?
- Évidemment que non, crétin.
- Et c’est quoi la prochaine étape, Boss, alors ?
- La prochaine étape, Jean-Kévin, c’est que t’es viré, et que je vais m’économiser ton salaire aussi.
- Ah bon, moi aussi, Boss ?
- Ouais, toi aussi Jean-Kévin. Mais comme je suis pas un salaud, je
t’offre une télévision pour ton départ, comme ça la suite, tu pourras la
regarder dans le poste.
- Merci Boss. Vous êtes vraiment trop bon.
- De rien, Jean-Kevin, de rien…