Pourtant,
si les ennemis principaux de cette liberté sont depuis longtemps
identifiés, est apparue une nouvelle "gauche" pervertie par la
conviction que la censure et des interdits sont nécessaires.
L’intolérance et surtout la dissimulation ou caricature des faits et
propos que l’on prétend combattre sont élevées au rang de vertu
lorsqu’il s’agit, selon certains qui en ont acquis la conviction, de
combattre les idées de l’extrême droite, du racisme et de l’intégrisme.
Chacun peut constater pourtant que ces idées se propagent et que les
barrières morales ou législatives sont impuissantes à leur faire
barrage.
Il est une "gauche" qui ne prenant pas la mesure de l’absurdité et du caractère contre-productif de cette attitude qui vise à
‘refuser d’en débattre’,
contribue au suicide de la pensée de gauche par une régression qui
semble hélas noyée au sein d’autres reniements, sociaux, économiques,
politiques, qui sont plus apparents.
Comment des groupes ou
communautés ont-ils pu pervertir l’usage de cette liberté, revendiquer
le droit aux indignations sélectives, parfois au service de causes
indéfendables que l’exercice de cette liberté fragiliserait
effectivement… ?
Le site Le Grand Soir n’est pas la seule victime
de cette moderne inquisition, l’autre plus récente victime a été le site
‘Oulala’ et un de ses administrateurs René Balme au travers duquel
était visé Jean-Luc Mélenchon, avec ce raccourci tragique et pitoyable
qui faisait de chacun une façade rouge brun à l’antisémitisme larvé…
Mensonger, infamant, pitoyable mais efficace ! A qui a profité "le
crime" ? Chacun peut s’interroger …
Pour LGS, Viktor Dedaj, Maxime
Vivas et, le 17 août 2012, Théophraste R. ont dit l’essentiel de cette
lâche entreprise déstabilisatrice, je n’y reviendrai pas.
Après
Article 11, Rue 89 et les sites perroquets reprenant l’infamie, c’est
Charlie Hebdo qui est monté un peu vite au front contre Le Grand
Soir…Une nuance vient d’être introduite que l’on peut prendre pour gage
de sincérité : «
La porosité qui existe entre les sites fachos et les sites de gauche » motive une
"petite mise au point"
après l’article d’Eric Simon dans Charlie Hebdo reprenant les
accusations insensées et non vérifiées semble-t-il de la minable
inquisitrice Guyet contre Le Grand Soir.(Mise au point du 22 août 2012,
page 3 du numéro 1053). Mais que ne s’appliquent-ils à eux-mêmes une
précaution identique, ces ’humoristes’ engagés pour que ne puisse jamais
s’écrire : «
La porosité qui existe entre les sites fachos et la
presse satirique en terme de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme,
de relais des thèses néo-conservatrices ou identitaires » Cette
presse qui dégaine plus vite que son ombre pour flinguer ses amis autant
que ses adversaires désignés, se vend bien, c’est même sa raison
d’être. Dans le même numéro de Charlie Hebdo c’est Jean Yves Camus qui
décrit (page 5) «
La droite à la conquête de l’hégémonie culturelle »
et la pertinence du propos ouvre une interrogation de circonstance : la
même équipe du journal satirique s’est-elle interrogée au temps de la
toute puissance de Philippe Val sur les éditoriaux et le contenu
idéologique de "son" journal ? Le sulfureux promu par le président
Nicolas S à la tête de la radio publique était-il de gauche alors ? Les
donneurs de leçon d’aujourd’hui mesuraient-ils la dérive et les ravages
du couple Val – Fourest qui reprenaient à leur compte une large part de
l’idéologie néo-conservatrice et islamophobe pour légitimer des
entreprises guerrières jamais désavouées par ceux-là ?
S’interrogeaient-ils lorsque l’inquisition s’exerçait au sein même de
l’équipe du journal avec chasse ouverte aux prétendus antisémites et
rouge bruns qui s’écartaient simplement du discours conforme à la
volonté du chef sarko-compatible et sarko-protégé ?
Et d’autres aussi auraient pu être cités, les
‘Conspis hors de nos villes’
, les nouveaux inquisiteurs héritiers des évêques, rabbins, imams et
autres pasteurs bénisseurs de canons et de bombardiers pulvérisant l’axe
du mal et dont le message principal affirme «
Guantanamo, Ground zéro, Kaboul, Gaza, Tripoli…etc. Circulez il n’y a rien à voir »…
Ceux-là ont la méthode de Beria et font sur chacun de nous une "fiche"
archivée dans les armoires du KGB nouveau et disponible pour tous les
abrutis qui voudraient "casser la gueule" aux diabolisés de la nouvelle
inquisition.
La génération nouvelle de ces singuliers Croisés de l’Ordre Nouveau
remplace la génération de ceux de "Touche pas à mon pote" par la
génération "Pas touche aux intérêts de l’Empire et de ses alliés". Une
génération "engagée" nouvelle a fait le choix fondamental et peu
périlleux d’être du côté du manche et de l’autorité ; l’impunité et la
protection sont assurés pour les valets de l’Ordre planétaire nouveau !
La chasse aux sorcières est leur métier… Le Maccarthysme n’était qu’une
tentative avortée trop rendue publique pour être durablement
efficace ;"l’anticonspi nouveau" avance masqué, le web offre un champ de
délation illimité, la rumeur se substitue au procès et à toute forme de
débat contradictoire, la sentence est première et irrévocable ! Les
fatwa ne viennent pas toutes d’où l’on pense ; pour un Salman Rushdie
scandaleusement menacé et méritant protection, cent militants de la
vraie gauche sont poursuivis de la même haine irrationnelle et
mensongère.
L’ordre nouveau est celui de l’intimidation et de la
peur. Sus à ceux qui les défendent, sus aux empêcheurs de penser
conforme et docile !
Que s’est-il passé ? Quel phénomène est-il en train de s’amplifier ?
Que
cette confusion qui élève la censure au rang de vertu résulte d’un
auto-aveuglement, d’une mutilation ou incapacité de la pensée, ou
qu’elle provienne d’une habile infiltration et subversion mentale venue
des vrais ennemis de la liberté de pensée, est une question qui doit
être posée.
Probablement la conjonction de tout ceci, aveuglement et infiltration, existe-t-elle. Il en résulte une double implication :
La
première est de prendre en compte la "sincérité" de certains esprits
qui se croient encore de gauche mais font le jeu de leurs pires
adversaires. Ils deviennent les mercenaires inconscients de la
destruction programmée de la liberté d’expression, par une gradation des
interdits successifs qui échappera demain au contrôle des prédicateurs
d’intolérances sélectives d’aujourd’hui.
La seconde est de ne jamais oublier que ces adversaires de nos libertés sont à l’œuvre. Ils ne cessent d’attiser cette régression et de saisir l’aubaine d’une gauche acquise à certaines de leurs intolérances.
Au
terme de ce processus si nous le laissions triompher, il en serait fini
demain de la liberté d’expression pour beaucoup et, après demain, aussi
de la liberté de penser pour le plus grand nombre, pour la masse de
ceux qui refusent toutes les servitudes.
Le propre des
inquisiteurs prophètes de tous les obscurantismes, religieux ou
profanes, est de pourchasser, au-delà de tous ceux qu’ils jugent déjà
"coupables, même les "innocents" qui pourraient demain rejoindre leurs
rangs… Amis ou lecteurs de ceux désignés "conspis" ou "rouge brun", vous
êtes déjà dans le collimateur !
Une gauche suicidaire ?
Dans
ce contexte nous devons percevoir les enjeux et réagir sans nous
laisser intimider par ceux qui brandissent Voltaire mais se comportent
comme Torquemada !
Percevoir
en effet qu’une gauche qui s’entre déchire reproduit ses plus vieux
démons du temps des dogmatismes les plus rigides aux pires conséquences
qui ont contribué a ses effondrements.
Réagir
surtout avant que, sur ce terreau favorable, ne triomphent les vrais
ennemis de nos libertés qui maîtrisent désormais mieux que nous la
dialectique abandonnée par d’autres, qui sèment la confusion dans nos
rangs par les imprécations et favorisent les divisions les plus
aberrantes.
Cette confusion atteint beaucoup d’humanistes, de
démocrates sincères, de progressistes, militants de terrain parfois
exemplaires, de marxistes même qui se laissent convaincre que pour
éviter le retour de la
"bête immonde", celle de Bertold Brecht, il faudrait voir le
"ventre fécond"
là où il n’est pas, dans leur propre camp parfois. Les "rouge bruns"
existent, ils sont dangereux et nous ne cessons de les dénoncer, mais le
confusionnisme entretenu par certains neutralise cette tâche et ne sert
que le vrai fascisme ! Le risque est de s’aveugler sur des périls bien
plus évidents, tels que la recomposition des droites et la poussée
identitaire. Le résultat est de contribuer parfois a encourager les
dénonciations, les diffamations et les insinuations qui nous divisent et
fragilisent les plus résistants d’entre nous, placés en posture
défensive dans cette désintégration de la pensée progressiste.
Ceux-là
qui se laissent subvertir ne voient pas d’où provient l’ombre du
discours qui les encourage pour professer la nécessité de nouvelles
censures, y compris dans nos rangs. Et ceux qui le disent sont suspects
de collusion avec "le mal", ou d’angélisme. Il n’en est rien pourtant.
Ceux
qui sont le plus stigmatisés sont ceux qui savent que la presse et
l’idéologie d’extrême droite sont une menace mortelle pour le plus grand
nombre, mais qui se refusent à en dénier l’existence et la dangerosité.
Leur conviction est justement la nécessité d’aborder les sujets
"torrides" que d’autres évitent. Il est une pratique du "négationnisme"
(inversé) qui reproduirait le même asservissement de la pensée que son
"modèle" d’extrême droite ; certains s’y refusent.
Cette
presse et cette idéologie existent, et nous devrions feindre de
l’ignorer pour laisser se répandre son venin mortel ? Nous devrions, si
nous en condamnons le contenu, nous contenter d’une incantation
réprobatrice globale et d’une diabolisation sans argumentation ?
Nous
devrions laisser ceux que la dialectique mensongère et manipulatoire
adverse ébranle et influence livrés à des interrogations sans réponse ?
Au
prétexte de ne jamais accepter la controverse avec ceux-là dont nous
combattons les idées, nous devrions les aider à dérouler le tapis brun
sur lequel s’étale sans entrave leur propagande ? Nous aurions dû ne pas
accepter comme cela a été fait sur ce site Le Grand Soir que soient
rappelés les faits et discours observés dans les "villes du Front
National" avant les dernières élections ? Ne pas accepter de citer
abondamment dans une série d’articles consacrés à la pensée d’Alain
Soral, les éléments de la dialectique qui ramène vers lui des citoyens
ou militants abusés ? Ne pas dénoncer en son temps aussi la duplicité de
l’ancien dirigeant de Reporters sans frontière qui a, depuis, comme
d’autres, comme Philippe Val, tombé son masque ? Nous aurions dû nous
priver aussi de citer les textes de la Nouvelle Droite qui théorisent
depuis longtemps le nécessaire processus de la recomposition de la
droite autour de sa composante la plus extrême ? Nous aurions dû
affirmer cela sans utiliser la source même de nos informations et de nos
inquiétudes ? Nous aurions dû considérer les lecteurs comme des moutons
obéissants, devant croire sur parole l’affirmation des périls, sans les
illustrer des citations nécessaires, y compris celles de la Nouvelle
Droite et des courants Identitaires, au risque de se voir accusé d’une
collusion ou contamination pour avoir simplement engagé le combat ?
C’est un comble de découvrir que ceux qui dénoncent sur le site Le Grand
Soir des faits et propos initiés par les pires ennemis de la gauche,
et le font de façon approfondie, sont suspectés de compromission et
stigmatisés par les porteurs d’une pensée automatique bien peu
argumentée souvent, autrement que par les clichés des haines réciproques
qui ne font que renforcer les extrêmes.
C’est une gauche
suicidaire qui se trompe de combat lorsqu’elle dénigre ceux qui mènent
de la façon la plus approfondie possible cette bataille, pour qu’elle
soit une bataille de conviction et pas seulement un choc des
subjectivités et des irrationalités.
Nos inquisiteurs
n’ont qu’une stratégie "haine contre haine", il est heureusement des
intellectuels de toute origine qui font un autre choix : celui de
l’intelligence et du discernement de leurs concitoyens.
Cette
prétention suffit pour que certains dégainent leur révolver et trempent
leur plume dans l’encre du fascisme éternel, celui qui fait du mensonge
et de l’intimidation à la fois méthode et programme… C’est la pensée
elle-même qui est leur adversaire.
Ne voyons-nous pas que cette régression tragique nous désarme et nous condamne à la fois ?
Elle
nous désarme idéologiquement, philosophiquement, en nous mutilant de
nos propres valeurs. En nous interdisant à nous-mêmes de considérer,
pour l’écouter et la combattre, la pensée de nos adversaires , au
prétextes que certains nous accuseraient alors de collusion ou
complicité ou pire,
nous accréditons l’idée, fausse, que nos idées seraient trop "faibles" pour subir le "choc" de la confrontation !
De ce dérobement nos adversaires se réjouissent qui peuvent stigmatiser nos lâchetés et nos intolérances.
Nous leur offrons une "victoire par forfait"
dans les débats intellectuels de notre temps dont pourrait dépendre
l’avenir de l’humanité dont les matins bruns se succèdent sous nos yeux
incrédules. La gauche ne se défend plus, elle n’attaque plus, sa posture
est "morale" et elle ne parle pas avec ses diables, son "éthique" lui
fait vertu d’ignorer les altérités dérangeantes, parfois issues de ses
propres rangs… La gauche n’a plus à offrir que des incantations sans
argumentation dont se moquent bien les populistes et les véritables
fascistes qui gagnent le terrain que nous leur concédons, par nos hontes
ou nos médiocrités. Face à ce qu’il reste de la gauche, se distillent
impunément et sournoisement les pensées qui légitiment les
discriminations, les haines, les intolérances, la supériorité non
négociable d’une partie du genre humain sur une autre partie…Et ainsi,
la gauche aussi alimente le "choc des civilisations"…
Et
nous n’aurions pas le droit d’écouter , de décrypter, de déconstruire
mot par mot, concept par concept , mensonge par mensonge, le discours de
ceux-là sans risquer d’être traités nous-mêmes de néo-fascistes, de
rouges bruns, d’antisémites ou simplement d’arriérés ou de salauds au
double discours ?
Ces invectives qui viennent de ce que
nous pensions, à tort parfois, être notre propre camp, révèlent la
faillite intellectuelle, la duplicité et parfois la complicité de
certains de nos faux-amis avec nos pires adversaires. Noam Chomsky,
Michel Collon, Jean Bricmont par exemple, sont de ceux que nos
inquisiteurs détestent ; ils attirent les foudres des doctrinaires
simplificateurs qui se contenteraient bien en terme de débat politique
d’incantations et de slogans simplistes. Ce sont parfois ceux qui sont
inaptes ou non désireux de mener ce combat difficile pour la sauvegarde
de ce fondamental qu’est la liberté d’expression, qui prétendent faire
taire les expressions de la pensée complexe ou nuancée qu’ils assimilent
à une pensée de compromission.
Cette liberté d’expression vaut pour nos adversaires autant que pour nous-mêmes ; une liberté double et réelle que la droite elle n’a jamais défendue.
La
force de la gauche est de croire à ses idées, nous taire c’est
capituler ! Prétendre museler l’adversaire c’est renoncer à mobiliser sa
propre intelligence pour gagner une bataille idéologique en concédant à
l’adversaire l’avantage de notre dérobement.
Les conditions de cette bataille, la simplification et la pensée binaire.
L’argument de nos adversaires et de leurs alliés contaminés par leurs méthodes est hélas efficace :
Efficace premièrement car il est basé sur la
"simplification" de tout débat. La gauche porte ce lourd passif d’avoir longtemps résumé le dilemme en
"choisi ton camp camarade",
même lorsque le sien cachait des pratiques bien peu compatibles avec
ses idéaux annoncés. La droite libérale a pour un de ses principaux
ennemis la pensée complexe, et le
‘There is no alternative’ de
Margaret Thatcher ne résonne pas qu’en économie, il se prolonge dans le
credo impérial de l’axe du bien contre l’axe du mal et ses implications
que sont le choc des civilisations et les guerres préventives.
Efficace encore car
la pensée binaire
est devenue aussi le mode de pensée d’une partie de la gauche qui
combat dans ses propres rangs ceux qui introduisent de la nuance ou
refusent de rallier certaines intolérances. Pour ceux-là, qui adoptent
la pensée binaire, le seul horizon est la haine et la confrontation
sanglante. Ils ont oublié Jaurès et tous les débats de la pensée des
Lumières ; Georges Bush est devenu leur apôtre, égal dans ses
intolérances avec ses adversaires désignés. Il est des fatwa venues
d’Orient, d’autres d’Occident lorsque est niée l’humanité de nos
adversaires, rejoignant un des fondamentaux du racisme et du
totalitarisme. L’hégémonie défendue est ici occidentale, judéo
chrétienne et capitaliste. On mesure mal peut-être l’imprégnation de la
rigidité "calviniste" dans la pensée de l’Empire qui trouve ses
défenseurs aussi dans nos frontières. Le Patriot Act s’est décliné aussi
chez nous pour définir le renoncement à des libertés fondamentales,
aussi la préférence nationale ethnique ou religieuse qui fonde les
politiques nouvelles comme autant de réhabilitations des barbaries, au
nom même de la lutte contre la barbarie. Une évolution planétaire qui
aurait été considérée comme impensable il y a seulement deux ou trois
décennies…
Un enjeu majeur :
La question
est de savoir si nous accepterons d’être condamnés à nous taire, témoins
de l’étouffement de nos valeurs et devrons nous résigner à renoncer a
la pensée émancipatrice dont nous avions cru être porteurs, pour nous
autant que pour d’autres peuples auxquels nous attribuions les même
capacités qui avaient été les nôtres.
La question est de
savoir si la gauche acceptera de voir se produire une inversion ou un
abandon de toutes ses valeurs, et d’une, fondamentale, qui est la
liberté d’expression. Percevrons-nous avant qu’il ne soit trop
tard le risque de nous trouver tous bâillonnés durablement,
définitivement, par les inquisiteurs nouveaux de la bien pensance de
gauche , avant qu’eux-mêmes soient également neutralisés lorsque leurs
mentor ou alliés objectifs auront considéré leur mission remplie… ? Plus
rien ni personne alors ne s’opposera à un ordre planétaire de servitude
globale.
Que faire ? Comme disait le camarade… Dans «
Une lente impatience » (2004), Daniel Bensaïd écrivait «
Quand
les lignes stratégiques se brouillent ou s’effacent, il faut en revenir
à l’essentiel : ce qui rend inacceptable le monde tel qu’il va et
interdit de se résigner à la force aveugle des choses ».
Il
serait temps que ceux qui usent, et ils en ont le droit, de la liberté
d’expression dont ils bénéficient encore, ne l’utilisent pas pour
réclamer que d’autres en soient privés et des censures nouvelles,
des interdits, des fermetures de sites, des discours imprécateurs et
mensongers contre des personnes au passé et au présent exemplaires qui
s’exposent pour défendre justement ces libertés !
Ces
attaques indignes font le régal de nos ennemis communs, ceux qui
voudraient nous faire taire tous, mais sont prêts à recruter quelques
mercenaires dans nos rangs pour cette basse besogne. Certains
de ces derniers, complices volontaires ou pas des droites
obscurantistes, trouvent plus facile de jouer le rôle du kapo ou du
délateur que de réfléchir à la motivation réelle de leurs donneurs
d’ordre ou de ceux qui les influencent. Ils se croient parfois libres de
leurs actes pourtant dictés par la pensée dominante de l’ère des
nouvelles intolérances. Cette pensée qui élève la censure au rang de
vertu est distillée par quelques personnages médiatiques à visage
découvert et infiltrée aussi sournoisement dans nos réseaux sociaux,
partis ou associations ; la vigilance doit être constante pour en
dépister l’emprise.
Si la liberté d’expression n’est pas
négociable, sauf à consentir à un nouveau totalitarisme, elle possède un
corollaire qui est l’exercice plein de son droit de penser. Deux penseurs non issus de la gauche révolutionnaire disaient comme pour appuyer le propos de Lénine
"Seule la vérité est révolutionnaire" que l’acte de pensée n’est pas aliénable à quelque police de la pensée que ce soit : le philosophe Alain avait écrit «
La fonction de penser ne se délègue point »
ce qui suppose que nul n’ait la prétention de formater nos jugements ;
Georges Bernanos,qui s’éloigna tard de la droite au terme d’un long
parcours qui le rendit témoin des faits et gestes du fascisme
franquiste, avait formulé ce bel hommage à la pensée dissidente «
Il faut beaucoup de gens indisciplinés pour faire un peuple libre »…
Des gens indisciplinés, nous en sommes !
Tous
les indisciplinés ne se ressemblent pas : certains se revendiquent de
la révolution, de la pensée libertaire, de la libre pensée ou de quelque
philosophie que ce soit…
Mais nous vivons aussi un temps
de bouleversement des pratiques politiques dans lequel les "alter"
divers et autres "indignés", issus de la "multitude", se donnent le
droit de hurler, chacun à leur manière, contre les injustices du monde,
ou de "leur" monde. Et ils ont raison ! Mais que ceux-là ne se trompent
pas de combat :
On n’est pas antifasciste en réclamant que la pensée de l’autre soit muselée, on le devient !
On est pas laïque en devenant anticlérical ou judéophobe ou islamophobe, on devient la caricature de ce que l’on dénonce !
On
n’est pas internationaliste en prétendant dicter à des peuples dont on
ignore tout la seule ligne de conduite qui serait de nous ressembler ;
on est seulement mal repenti du colonialisme et de l’impérialisme !
On
est pas voltairien en prétendant museler la parole de l’autre avec des
critères de tolérance ou d’intolérance énoncés par nous, on est
voltairien lorsqu’on met toutes ses forces et son esprit à dénoncer ce
que nous pouvons trouver inacceptable et injuste dans le discours libre
de l’autre, cet adversaire qui n’est que renforcé par nos tentatives de
le museler, comme nous le serions nous-mêmes soumis aux censures ou
intolérances !
Oui,
osons dire qu’il est une forme d’antiracisme qui s’est transformée en
une idéologie marquée par l’ambiguïté de ses indignations sélectives et
l’évidence du service rendu à un occidentalo-centrisme qui a besoin
d’une
"police de la pensée" pour taire les questionnements
dérangeants sur ses propres pratiques, dont l’ingérence humanitaire est
devenue le prolongement des causes les mieux intentionnées…
Oui,
osons dire que ceux qui voudraient nous interdire par avance toute
réflexion sur les pires idéologies qui ont dévasté le siècle écoulé,
contribuent à leurs résurgences plus qu’ils n’entravent leur diffusion,
déjà évidente sous nos yeux.
Oui,
osons dire qu’il est des batailles menées qui se croient
intellectuelles, morales ou éthiques, qui ne sont que des substituts à
un anticapitalisme et aux luttes de classes que l’on a tenté de nous
convaincre être dépassés depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Une
guérilla sur le web sera toujours moins dangereuse que dans la jungle
Bolivienne et ils sont nombreux à s’inscrire au club de la révolution de
clavier …
Oui,
osons dire que si notre seul programme devrait être que l’autre" nous
ressemble" et, quoi qu’il en pense lui-même, nous reproduirions la
matrice même du racisme le plus fondamental qui passe par la négation de
"l’autre". Un antiracisme qui nie ces différences ou, pire, qui valide
une hiérarchie des cultures et des civilisations, sera demain le socle
d’autres guerres préventives et peut-être d’autres formes d’eugénisme.
Oui,
osons dire que notre héritage issu de la pensée des Lumières a pu
contribuer à nos aveuglements et à l’énonciation d’un universalisme
occidental qui n’est qu’une construction mythique, irrecevable sur une
large part de la planète. La pensée unipolaire est fille d’un humanisme
dévoyé qui fait l’économie de l’écoute de toutes les cultures.
Oui,
osons dire que sous l’influence de l’antiterrorisme, la paranoïa a
contaminé la pensée commune, jusqu’à percevoir ceux qui chez nous
prennent en compte la complexité du monde et refusent la pensée binaire
du choc des civilisations, comme des "ennemis" et parfois des complices
du pire. Dans ces amalgames, l’analyste devient un islamiste masqué, le
lanceur d’alerte contre la montée identitaire devient un rouge brun,
l’observateur des ravages du sionisme devient un antisémite, celui que
la cause des femmes pousse à n’en mépriser aucune de quelque culture
qu’elle soit issue se voit protecteur de la charia, celui que la
géostratégie a instruit des pires abominations de l’Empire se voit
traité de complotiste…etc. Et toujours une part de la gauche croit faire
œuvre utile de véhiculer et parfois conforter la diffamation…
Défendre la liberté d’expression ? Est-ce bien raisonnable ? Oui, toute !
Qui
aurait songé en ce début de XXI siècle que ce combat devrait encore
être mené chez nous ? Ne voyons-nous pas les ravages de cette entrave,
là où elle persiste ? Voulons-nous entretenir l’illusion d’un ordre
mondial plus paisible par l’acceptation de "vérités" seules autorisées ?
Avons-nous
oublié que la pensée "qui dérange" est la seule qui nous oblige à
considérer "l’autre" pour ce qu’il est, un "humain" aussi ! Elle est la
seule qui permette, après les réflexions croisées et les échanges, la
symbiose d’un vivre ensemble meilleur demain qu’hier.
Ce travail
symbiotique des pensées croisées n’est pas porteur de la faiblesse que
certains lui prêtent qui postulerait toute pensée "égale" ; il n’est pas
non plus porteur de la soumission à la pensée du plus fort. Il est au
contraire le seul mode par lequel une pensée, même minoritaire, peut
influencer les préjugés communs et parfois changer le monde ! Le seul
mode qui puisse contrarier l’influence des idéologies des dogmes et des
croyances ; car replaçant l’homme, le sujet, au centre de sa propre
pensée qui le fait libre !
C’est ainsi, ce n’est qu’ainsi, que
progresse l’idée de l’émancipation, en rupture parfois douloureuse avec
la pensée dominante et toutes formes d’autorités religieuses ou
profanes. C’est à chacun d’énoncer après l’avoir découvert ce qui est
pour lui et ses proches inacceptable, pas à un prédicateur de vérité,
quel qu’il soit, qui voudrait aussi faire taire certains !
Si la
gauche ne fait plus cette confiance aux hommes et aux peuples elle n’a
plus aucune raison d’être ! Ce sont les tyrans qui ne font pas confiance
aux peuples mais eux, au moins, ont une raison pour cela.
Si
nous devions démissionner dans cette bataille, qui est celle de la
civilisation face à la barbarie, elle serait déjà perdue. Ceux qui
veulent museler la pensée ne sont pas dans notre camp. C’est à ce péril
que nous exposent les imprécateurs et les inquisiteurs nouveaux.
Ils
avancent souvent masqués, derrière des identités multiples ou des
pseudo qui sont leur burqua mentale, ils se croient Don Quichotte ou
justicier ou cavalier de l’axe du bien, ils ne sont que les snipers
mercenaires recrutés pour flinguer la pensée adverse.
Certains sont issus de nos rangs, convertis à l’adversaire ou cherchant leur
"quart d’heure de célébrité",
comme disait Andy Warhol, par un éclat, un crachat calomnieux qui
lancera une rumeur nauséabonde… D’autres ne sont que des aigris d’un
long passé militant pour des causes sources de bien des
désenchantements ; il est des enfants de Staline qui abondent la cause
néo-conservatrice ou sioniste avec la même vigueur qui leur faisait
pourchasser le trotskiste ou le titiste. On ne sort pas toujours
indemne de certaines compromissions et la haine de l’autre est plus
confortable que la haine de soi…Elle peut remplacer la thérapie ou le
retrait que l’on se refuse pour continuer à vivre dans sa peau meurtrie …
D’autres, nouveaux venus qui ont fait l’économie, bien moderne, de
l’apprentissage de tout ce que l’histoire et la philosophie ont pu nous
enseigner rentrent dans la
"politique autrement" comme dans un
club informel sans doctrine ni ligne de conduite éprouvée… Ceux-là se
retrouvent armés souvent d’un clavier sans avoir jamais soulevé un pavé
ni dressé une barricade. Ce ne sont pas les moins redoutables qui
confondent la touche "envoi", sous pseudo anonyme souvent, avec une
rafale de kalachnikov. Ces guérilleros du web découvrent ce que disait
déjà Maïakovski : «
Les mots sont des balles »… Ils tirent,
jusqu’à épuisement de leur chargeur alimenté par les lieux communs, les
poncifs, les préjugés et les peurs ; munitions distribuées gratuitement
chaque jour dans nos médias de l’ordre dominant, brassées de balles
jetées aux chasseurs nouveaux.
Un ordre dominant qui sait, lui, ce qu’il veut, qui il désire protéger et qui il doit neutraliser pour que son règne perdure.
Il est aussi une presse qui se veut impertinente et se croit libre, la
vente du papier est son seul maître. En période creuse on ressort un
"marronnier" pour fustiger, un jour les Roms, un autre jour les
francs-maçons, les riches, les banquiers les pauvres, les islamistes,
les socialistes. Le Grand Soir est jeté en pâture au lectorat bronzant
de l’été 2012… Ce serait pathétique si ce n’était politiquement si
dangereux.
C’est bien de cela qu’il s’agit. La bataille
pour la liberté d’expression que mènent certains sites exemplaires,
suffit à faire d’eux des "cibles". Les attaques menées sont
infatigables car leurs sources disposent de moyens illimités. Nous
pouvons au moins espérer que s’interrompe le recrutement des snipers
dans les rangs du camp "progressiste" ou se revendiquant comme tel ;
mais il faudrait pour cela que certains renoncent à la tentation de
vendre du papier et d’autres de vendre leur âme.
Pour nous, qui
subissons cette inversion des valeurs de la gauche qui la fait nous
vouloir museler, l’attitude ne peut être passive ou seulement défensive.
Nous devons réaffirmer l’importance centrale de la liberté
d’expression, de toutes les libertés d’expression, y compris celle de
nos pires adversaires qui nous offrent l’occasion de déconstruire et
neutraliser leurs discours… Redisons-le, mot par mot, phrase par phrase,
mensonge par mensonge, pour rendre enfin muette ou inaudible la "bête
immonde" qui n’a rien d’autre à nous dire que de nous taire et trouve
des voix complices.
Jacques Richaud.
21 août 2012