La nef
Reporterre a levé l'ancre ! Soutenons-la de toutes nos forces. Et pour commencer,
voici son billet de ce matin. Tout frais. Signé
Hervé Kempf bien entendu.
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Le jour où Reporterre a largué les amarres
Hervé Kempf (Reporterre)
dimanche 8 septembre 2013
Le récit relatant les raisons qui m’ont poussé à quitter le quotidien du soir où je
travaillais depuis 1998 a rencontré un intérêt inattendu :
Adieu Le Monde, vive Reporterre a été lu plus de 60 000 fois sur le site du
"quotidien de l’écologie", et de nombreuses fois, sans doute, sur les sites qui l’ont reproduit (la reprise des articles de
Reporterre est libre, les sites repreneurs étant invités à respecter les règles de
Creative Commons).
Il a suscité une foultitude de tweets et des centaines de courriels.
Les uns et les autres exprimaient dans leur immense majorité un soutien à
la démarche entreprise. Je remercie chaleureusement toutes et tous, et
tâcherai de répondre directement à chaque courriel.
Le journal
Le Monde a réagi à mon récit par un communiqué et par un article du médiateur du journal, Pascal Galinier, intitulé
"Verts de rage".
Pour ceux qui n’auraient pas le temps de le lire, en voici un bref résumé : « …
départ très médiatisé… écolo-chroniqueur vedette… petite musique
dissonante, militante… rupture soigneusement mise en scène…
réquisitoire… site internet écologiste militant… vraie-fausse ‘clause de
conscience’… quant à la conscience… examinons les faits… ex-confrère… a
été sur place en payant son voyage [là, j’adore : ‘voyage’]…
complotite… insinuation délirante et infamante… vieux confrère… ses
critiques… sûrement pas complètement étranger… fanatisme idéologique…
bon débarras… ».
Je n’ai pas de commentaire à ajouter à cette analyse.
Je remercie Pascal Galinier de l’hommage indirect qu’il rend à mon
article : il a sans doute jugé que celui-ci était parfaitement clair et
informé, puisqu’il n’a pas pensé utile de me passer un coup de téléphone
pour vérifier tel ou tel point, demander une précision, poser les
questions que pouvait soulever telle ou telle phrase.
J’assure par ailleurs Pascal Galinier qu’il reste, malgré la
différence de points de vue qui semble s’être esquissée entre nous, mon “confrère", et non mon "ex-confrère".
La qualité de journaliste ne découle pas de l’appartenance à tel ou tel
média, mais de la détention de la carte de journaliste. Et c’est
pourquoi j’ai l’honneur, suivant l’usage qui fait tout le charme de la
comédie humaine, de le saluer confraternellement, ainsi que tous les
confères et consoeurs, quel que soit leur employeur, qui se sont
intéressés à cet événement.
Les
nombreux commentaires qui suivent le texte du
"médiateur"
sont instructifs. Pour ceux qui n’auraient pas le temps de les lire
tous, permettez-moi d’en citer deux qui expriment les jugements opposés
que peut susciter cette affaire :
Max Lombard 05/09/2013 - 23h15
« Excellente décision de sa part, il faut distinguer journalisme et
militantisme sectaire, qu’il rédige de nombreuses motions chez EELV ils
ne demandent que ça. Demain je fais trois fois le tour de la ville avec
mon diesel à fond juste pour acheter une côte de boeuf que je dégusterai
saignante avec des frites et pas du soja ou des scarabées. »
Eric Thuillier 07/09/2013 - 09h00
« On aime beaucoup l’argument selon lequel H K n’avait jamais été
censuré. Il fait pensé à un discours du genre ’Messieurs les jurés,
n’oubliez pas que ma victime a vécu pendant 55 ans, alors que je ne l’ai
tué que pendant une minute…’ »
Par ailleurs, on trouvera diverses réflexions sur Internet.
Par exemple, des tweets de Véronique Maurus, journaliste au Monde pendant 37 ans, et qui en a été la "médiatrice" entre 2007 et 2011, juste avant notre confrère Pascal Galinier :
On trouvera d’autres points de vue sous la plume de
Patrick Piro, de Politis, de
Gilles Luneau, de Global Magazine, de
Guillaume Malaurie, du Nouvel Observateur, de
Jean-Luc Porquet, du Canard enchainé, de
Jade Lindgaard, de Mediapart, ainsi que deux entretiens avec
Marine Jobert, du Journal de l’Environnement, et
Isabelle Hanne, de Libération.
Il m’a aussi été donné de participer à une discussion très stimulante
avec Eric Dupin, Jean-Marc Manach et Daniel Schneidermann,
diffusée par Arrêt sur Images autour des questions :
« Qu’est ce qu’un journaliste neutre ? Qu’est-ce qu’un journaliste
"impavide" ? Qu’est-ce qu’un journaliste engagé ? L’objectivité
existe-t-elle ? »
Les ZAD informatives
Je n’attendais pas que mon texte reçoive un tel écho. Il visait
d’abord à informer les lecteurs qui suivaient la "Chronique Ecologie",
les visiteurs de
Reporterre, ainsi que les lecteurs
de mes ouvrages. Les informer de mon départ et de la nouvelle aventure que nous entreprenions : un média sur l’écologie.
Et c’est cela qui importe aujourd’hui. Les amarres sont larguées. Le
canot, construit avec des amis dans les heures de loisir, s’est préparé à
la haute mer. Malgré des moyens insignifiants, il n’en est pas moins
soigneusement caréné, accastillé, équipé. Il a fait des sorties modestes
dans la rade, gagnant de jour en jour l’estime d’amateurs devenus
souvent fidèles. Et voici qu’il franchit la jetée qui protégeait la rade
de la houle et des tempêtes de l’océan. Sur le quai, une foule
inattendue a crié des vivats, a fait sonner la sirène, certains ont même
chanté des "oh hé, hé hisse hé ho", encourageant l’équipage et ceux qui s’y sont embarqués.
Mais c’est un bateau magique que celui-là, comme tous les canots qui
tentent la traversée de l’océan parce qu’à terre, il y a trop de liens
et de sujétions ligotant les marins libres. C’est un bateau qui peut
grandir, qui peut embarquer en pleine mer de nouveaux passagers, qui
peut gagner les îles où d’autres pirates ont créé des ZAD informatives -
zones autonomes de diffusion informatives -, et naviguer de conserve
dans les mers bleues de la liberté...
Connaissez-vous Hakim Bey ?
« Au XVIIIe siècle, les pirates et les corsaires créèrent un ’réseau d’information’
à l’échelle du globe : bien que primitif et conçu essentiellement pour
le commerce, ce réseau fonctionna toutefois admirablement. Il était
constellé d’îles et de caches lointaines où les bateaux pouvaient
s’approvisionner en eau et nourriture et échanger leur butin contre des
produits de luxe ou de première nécessité. Certaines de ces îles
abritaient des ’communautés intentionnelles’, des micro-sociétés
vivant délibérément hors-la-loi et bien déterminées à le rester, ne
fût-ce que pour une vie brève, mais joyeuse. »
Hakim Bey comprend
le net comme l’espace privilégié
où peuvent apparaître et disparaître les zones d’autonomie temporaire
qui sont selon lui le nouveau mode de mise en oeuvre des rébellions
actuelles. A vrai dire, le projet de
Reporterre se sépare de
cette vision, parce qu’il espère bien ne pas être temporaire, afin de
contribuer à dissoudre les sujétions paralysantes qui dominent sur le
continent. Mais l’image du réseau pirate convient assez bien à ce que
l’on pourrait imaginer à l’avenir : que des sites autonomes par rapport
au système médiatique oligarchique parviennent, en coopérant, à
reproposer aux citoyens une vision cohérente de cet autre monde
possible, celui du post-capitalisme.
Mais je m’arrête ici. Nous sommes dans notre petit canot, et pour
l’instant, il nous faut seulement assurer notre survie sur l’océan
immense. Voici les outils qui vont permettre notre navigation.
Règles de navigation pour survivre dans l’océan médiatique
Le premier outil, c’est une boussole toute simple : Reporterre
est un instrument d’information. S’il produit et diffuse de
l’information nouvelle et utile, il restera à flot et poursuivra sa
route. Sinon, il coulera.
Le cap est fixé : rendre compte de la crise écologique et de ses
causes, par les informations et par les réflexions. Le drapeau est
déployé visiblement : nous pensons que la crise écologique est le
facteur dominant l’époque, autour duquel doivent se réorganiser les
activités humaines, qu’elles soient culturelles, politiques, ou
économiques.
Mais la seule façon pour en convaincre et être utile, c’est de produire des informations exactes et des idées pertinentes.
Ces informations, nous les organisons en cinq volets :
Infos proprement dites. Elles sont de deux catégories : produites par nous ou à notre demande (et alors
Reporterre
est indiqué après le nom de l’auteur, ou envoyée par des associations
ou des organismes et que nous reprenons parce qu’elle apporte une
nouvelle originale - même si on y trouve un point de vue marqué : la
mention
Reporterre ne figure alors pas dans la ligne indiquant,
sous le titre, quel est l’auteur. Titres et chapô sont de nous, et il
arrive que l’on corrige l’orthographe du texte.
Tribunes.
Elles développent une analyse ou une réflexion originale et stimulante.
Elles expriment l’opinion de son signataire, et cet espace accueille
des points de vue qui peuvent être contradictoires : c’est un lieu de
débat, une plate-forme de réflexion sur les thèmes écologiques.
Alternatives.
Il s’agit d’informations, mais qui expriment une initiative, une
solution ou une innovation sociale ou technique. Parce qu’on ne peut pas
seulement, même si c’est indispensable, relater la dégradation de
l’environnement et enquêter sur ses agents, mais qu’il faut aussi
montrer la créativité et l’énergie que déploie la société pour vivre
sans saccager la planète.
Cette rubrique vient de susciter deux réactions : « S’il vous
plait, pouvez-vous arrêter de mettre systématiquement la photo de
l’auteur de l’article : on se fait un avis sur l’allure qu’elle (il) a /
avant de lire, alors que tout dépend de la photo / et qu’il vaudrait
mieux que tout dépende des arguments de l’article ! », écrit B.B. Bon, on va discuter de cette idée en rédaction.
Deuxième réaction : l’
interview de Luc Guyau, ancien président de la FNSEA, suscite le courroux de M.P. :
« Une agriculture ’qui nourrirait le monde’ ne sera pas avec lui
biologique. Tout au plus pourra-t-elle selon lui s’en inspirer. Ben
voyons ! Depuis plus de quarante ans que l’on nous bassine, malgré de
nombreuses études, avec ce mensonge pour faire la belle vie à
l’agroindustrie, aux Pharmalobbies (qui se rèjouissent de nos maladies)
et aux complexes militaro-industriels ! Bien dommage que voulant faire
de l’info vous vous fassiez mine de rien ( et inconsciemment j’espère)
le relais de telles mafias criminelles ».
Ceci nous permet de redire que vont s’exprimer sur
Reporterre
beaucoup de gens qui ne partagent pas notre analyse de la situation,
mais qu’il est quand même intéressant d’entendre, ne serait-ce que parce
que leurs idées évoluent. Et quand les choses ne sont pas claires,
comme en 2010 à propos du gaz de schiste, eh bien on recueille les
différents points de vue, tel que celui-ci
en faveur de l’exploitation de ce combustible.
Sur plein de sujets, on accueillera les points de vue divergents, et
sur d’autres, où la pensée dominante a plein de lieux pour s’exprimer,
on ne se sentira pas obligé de lui faire une place.
Pas de règle absolue, on écoutera ce que vous nous direz sur planete (arobase) reporterre.net, on en discutera en rédaction, et la qualité de l’information finale étant le critère principal.
Ainsi, nous entamons aujourd’hui même, en public, sous vos yeux, la négociation avec M. Ayrault pour qu’il vienne faire son coming out sur Reporterre : "Oh oui, désolé, c’était trop bête, cette idée d’aéroport, je vire écolo pour la France de 2025". Bienvenue sur Reporterre, Monsieur Ayrault...
La métaphore du boulanger
Au fait, pas de forum, sur Reporterre. On ne sait pas s’il y
en aura un jour, mais ce qui est certain, c’est que c’est aujourd’hui
impossible. Pourquoi ? Parce que cela requiert du temps à gérer, lire,
modérer, etc. Et le temps disponible, on veut le consacrer à la
recherche d’informations et à sa présentation. Nous sommes une bande de
personnes de bonne volonté. Moi, d’abord, nouveau chômeur, et Thierry,
Joseph, Pascale, Véronique, Olivier, Barnabé, qui ont des boulots
ailleurs, et ne peuvent consacrer que peu de temps au site.
Donc, tout le temps disponible, on le consacre à l’information. On
lira vos courriels, on essaiera d’y répondre, mais si vous voulez vous
exprimer sur Reporterre, le mieux est d’écrire des textes réfléchis et soupesés que l’on sera ravis de publier en Tribunes...
Et l’on voudrait étendre ce temps disponible, embaucher un jeune
journaliste à mi-temps pour quatre mois (tout prochainement, c’est quasi
bouclé), publier les camarades journalistes qui nous proposent avec
enthousiasme des bons sujets, embaucher telle autre journaliste
expérimentée, embaucher le rédacteur en chef - votre serviteur -, etc.
Sans compter qu’il faut payer le téléphone, les billets de train pour
les reportages (ah non, pardon, les "voyages"), les cartouches
d’imprimantes, des locaux... On fait tout dans la sobriété heureuse,
mais sobriété ne veut pas dire "air du temps".
Autrement dit, pour produire de l’information, il faut du travail, et
le travail, il faut le payer. Il est normal de payer son pain parce que
le boulanger a travaillé pour le faire et a acheté de la farine ; de
même, il est normal de payer l’information parce que les journalistes
ont travaillé pour la produire. Nous faisons le pari qu’une large part
de nos recettes viendra du soutien des gens qui enverront autant d’euros
qu’ils l’estimeront juste, car ils comprendront que c’est utile. A nous
de produire l’information, à vous de lui permettre d’être libre.
Pour les modalités de dons, merci d'
aller sur le site de Reporterre.
Il a tout simplement oublié d’être à gauche. C’est bête, non ?
Bien entendu, il entraînera dans sa chute les autres formations du FdG, qui pour le moment ont encore besoin de se renforcer pour contribuer à lui imposer des choix de gauche, et non des compromissions funestes. Déjà, Jean-Luc Mélenchon aurait besoin d’être "recadré", en particulier dans ses choix pour l’Europe peu clairs et manifestement insuffisants, donc velléitaires face à une A. Merkel intransigeante et se préparant à être reconduite pour une législature.
Tout est prêt pour un retour en force de la Droite globale, car malgré les coups de pouce locaux du PCF les élus solfériniens se préparent à une belle déroute, comme à Nantes assez probablement. L’électeur préfère toujours l’original à la copie.
Quel gâchis ! "On a les dirigeants qu’on mérite". Ce sera vrai, une fois de plus, hélas.
Ah, je vois poindre une pancarte "Et le FN ?" Le FN n'est que l'une des pointes à droite de la droite, la plus habile sans doute, mais non la seule. La plus habile, parce qu'elle se donne des postures de recours, de solution neuve alors qu'elle n'est que l'un des soutiens de la politique du Capital, et même de l'Europe. Pour preuve, cette magnifique boîte à outils offerte par Médiapart.
Quelle solution ? Une seule, voter à gauche toute au premier tour, remettre la sauce au second tour ou aller à la pêche : à droite du FdG c'est le lobby néolibéral de A à Z, et il n'aura pas ma voix. Plus jamais.
Résultat de ces futurs scrutins : la Gauche va pouvoir se compter vraiment. Probablement le vieux parti de Thorez et de Marchais en sortira-t-il laminé, en raison de ses compromissions. Ce sera sans doute le fond du gouffre, à partir duquel une nouvelle Gauche se nourrira des détritus d'un désastre pour se reconstruire. Se reconstruire sur les vraies idées de Karl Marx, de Rosa Luxembourg, de Pierre-Joseph Proudhon, d'Élysée Reclus, de Michel Bakounine, de Nestor Makhno, de Pierre Kropotkine, mais certainement pas de Lénine et Trotsky.