Une lectrice du Grand Soir, dans le fil d'une discussion, avait donné le lien vers ce billet. Avec l'accord de l'auteur, Azhour Schmitt, je le reproduis ici tant cette affaire du viol fait débat.
En 1987, j’ai été victime de viol. Battue
jusqu’à l’évanouissement (provoqué par strangulation). Inconscience de
plusieurs heures. Vagues souvenirs de ce qui s’est passé par la suite.
Ma fuite de l’appartement dans lequel j’avais été violée. Ma course
folle dans les escaliers et les couloirs. Mes hurlements et le tapage
sur les portes des voisins. Enfin une dame qui m’ouvre la porte. Des
policiers dans l’appartement dans lequel j’avais été violée. Mon visage
méconnaissable en passant devant le miroir. Mon pantalon déchiré gisant
sur le sol. Ma culotte. Le sang.
Autres flash. Le commissariat (comment
suis-je arrivée là ?). Audition devant deux policiers : un homme et une
femme. Mes gémissements et cris douloureux lors de l’examen
gynécologique à l’hôpital et puis plus rien… Je ne me rappelle pas la
fin de l’examen, a-t-il eu lieu alors que j’étais consciente ? Je
saurais 24 ans plus tard que je suis restée 3 jours à l’hôpital. Un
vague souvenir de la confrontation avec le violeur (Comment
s’appelait-il déjà ?). Et surtout des souvenirs du « gentil » juge
d’instruction qui va tout faire pour me convaincre d’accepter la
correctionnalisation.
En réalité, il ne prononcera jamais ce
mot. Il me dit simplement que c’est mieux pour moi que le viol soit jugé
dans un autre tribunal que la Cour d’Assises. Que la Cour d’Assises, je
ne la supporterais pas, parce que très impressionnante, que l’avocat de
l’auteur va me poser beaucoup de questions etc. Je ne comprenais pas ce
que cela impliquerait la transformation du crime en agression sexuelle.
Que le violeur serait lavé de son crime puisque considéré par la
justice comme un délinquant. Je ne savais pas non plus que dans ce
tribunal la peine maximale encourue était de 5 ans au lieu de 15 ans en
Cour d’Assises. Je me souviens très bien lui avoir répondu que l’avocat
de la défense pouvait me poser toutes les questions qu’il souhaitait que
je n’avais rien à me reprocher (comme si les victimes de viol avaient
quelque chose à se reprocher). Puis, il me parle de l’enquête de
voisinage (enquête de personnalité), impérative dès qu’il y a procès en
Cour d’Assises. Idem je lui réponds que l’enquête révélera que je suis
une fille « sage », n’ayant même jamais eu de flirt. Puis tout à coup je
pose une question qui va tout changer : Est-ce que les voisins vont
savoir ce qui m’ait arrivé ? Et, sans hésitation il me confirme que oui.
Voilà comment il obtient mon accord pour correctionnaliser le viol. Je
ne voulais pas que les gens sachent. Je ne voulais pas que mes parents
sachent que les voisins savaient… La culture de « l’honneur » que le
juge connaissait bien et dont il a profité pour me faire admettre la
correctionnalisation.
Le procès a lieu 8 mois plus tard. Je
suis seule. L’auteur est évidement assisté d’un avocat. L’audience va
durer quelques minutes. Retour pour le prononcé de la peine : 4 ans de
prison ! La peine maximale n’a pas été prononcée parce qu’il y avait une
« excuse » psychiatrique.
JUSTICE A-T-ELLE ETE RENDUE ?
Un viol qui échappe à la qualification
de crime est un viol qui n’en est plus un. Un viol qui échappera aux
statistiques. Un viol nié purement et simplement…
Pendant 24 ans j’ai fait une parenthèse
sur ce crime, une parenthèse avec tous les symptômes (ou presque) décrits par la Docteure Muriel Salmona .
Paradoxalement, je ne ressens
qu’indifférence pour l’auteur du viol. Toute mon incompréhension, mon
mépris se porte sur le juge d’instruction. J’ai l’impression d’avoir
été violée une deuxième fois. Ce juge m’a délibérément trompée pour se
débarrasser de mon dossier. J’admets que le traitement dont j’ai
bénéficié est un peu particulier : pas d’avocat, pas d’expertise
judiciaire, pas d’aide d’une association de victimes. Il a même oublié
de me dire que j’avais le droit à indemnisation !
J’espère qu’aujourd’hui, une victime de viol ne sera plus seule face à un juge d’instruction…
Vingt cinq ans plus tard, j’aurais été
en droit d’espérer, d’attendre d’une démocratie, qu’une telle pratique
soit révolue ! Malheureusement, cette pratique indigne, contraire aux
principes généraux de notre droit, a été consacrée par Loi Perben II du 9
mars 2004. Le législateur a donné un blanc-seing aux juges qui ne se
privent pas pour faire de la correctionnalisation un usage outrageant.
Plus de 50% des viols, certains avancent un taux de 80%, sont transformés en agression sexuelle.
En France, il existe une classification
tripartite des infractions pénales : les contraventions, les délits et
les crimes. Les peines encourues sont fixées en fonction de la gravité
des infractions. Les crimes étant les infractions les plus graves, les
peines encourues sont les plus importantes. Le viol est un crime
définit par l’article 222-23 du Code Pénal : « Tout acte de
pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la
personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un
viol… » Il est passible de 15 ans de prison jusqu’à la réclusion
criminelle à perpétuité. (Art. 222.23 ; 222-24 ; 222-25 ; 222-26). En
temps de guerre le viol est considéré comme un crime contre l’humanité.
L’agression sexuelle est un délit défini
par l’article 222-27 « Les agressions sexuelles autre que le viol sont
punies de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ».
Érigé par le code pénal au rang de crime,
il est disqualifié, déclassé en agression sexuelle constitutive d’un
délit en cas de correctionnalisation.
A l’évidence, la correctionnalisation
minimise le viol et remet en cause cette classification tripartite des
infractions et par conséquent l’échelle des peines. Elle méconnaît les
règles de la procédure pénale ainsi que le principe d’égalité devant la
justice.
Je vais à présent parler des raisons
couramment avancées pour justifier la correctionnalisation. Elles ne
sont pas très nombreuses. Elles sont connues des victimes et des
avocats. Mais la raison pratique jamais avouée aux victimes, c’est le
désengorgement des Cours d’assises (I).
Pour éviter une remise en cause de la correctionnalisation le législateur a validé cette pratique par la loi du 9 mars 2004 (II)
I – LES RAISONS DE LA CORRECTIONNALISATION DU VIOL
Le viol est LE crime qui « profite » le
plus souvent de la correctionnalisation. Sans doute, parce que dans
l’esprit des juges, il est un crime d’importance moindre. Les raisons
données aux victimes sont toujours les mêmes (A). En réalité, cette
correctionnalisation n’a qu’une raison bien pratique : celle de
désengorger les Cours d’Assises (B)
A – LES RAISONS OFFICIELLES DE LA CORRECTIONNALISATION
1° La rapidité dans le jugement
et la plus grande sévérité des juges professionnels, contrairement aux
jurés populaires soupçonnés de clémence ou au contraire de trop grande
sévérité avec les violeurs présumés.
La rapidité de traitement ne peut pas
être niée, une affaire renvoyée devant le tribunal correctionnel sera
beaucoup plus vite jugée qu’un crime qui fera l’objet d’une longue
instruction avant d’être jugé par la Cour d’Assise.
Sur ce point des explications toutes récentes (Rapport du Sénateur Yves Détraigne) :
Il arrive en effet souvent que
l’autorité judiciaire requalifie un viol en agression sexuelle en
passant sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction,
ce qui permet de juger les auteurs plus rapidement devant une
juridiction correctionnelle plutôt que devant une cour d’assises. […] [1]
Le rapporteur, sénateur de son état, semble avoir oublié que le viol est un crime…
2° La sévérité des juges
professionnels, l’agression sexuelle est un délit passible de 5 ans de
prison, alors que le viol (hors causes d’aggravations) est punissable de
15 ans de réclusion criminelle. En Cour d’Assises, la peine moyenne
prononcée serait de 7 ans.
Réflexion de Maître Laurent Epailly :
les qualités respectives des uns et des autres, sont exactement
inverses. Ainsi, les juges professionnels ont pour eux d’être
professionnels, donc d’avoir l’expérience de tels faits et d’avoir une
jurisprudence personnelle. L’inconvénient, c’est que la récurrence et la
comparaison avec d’autres délits, qu’ils jugent chaque semaine, font
qu’ils peuvent aussi relativiser, ce qui se ressent sur la peine.
L’autre inconvénient étant qu’ils seront parfois monolithiques… Les
jurés eux, sont souvent plus sévères ou pas assez, parce que, justement,
l’émotion ou la morale personnelle, compense largement le défaut
d’expérience. Cela ne les empêche pas, par ailleurs, de rendre aussi des
verdicts équilibrés. [2]
Le gouvernement de François
Fillon, n’avait-il pas pour projet d’introduire des jurés populaires
dans les tribunaux correctionnels parce qu’il considérait que les juges
professionnels n’étaient pas assez sévères ?
Selon le rapport du sénat précité, la correctionnalisation :
permet d’éviter d’exposer la victime au traumatisme d’une audience criminelle suivie d’un acquittement
Quelle hypocrisie. Pourquoi partir du
principe que cette audience criminelle serait suivie d’un acquittement ?
Et, le traumatisme de voir la gravité du traumatisme, de la victime
violée, nié, amoindri, minimisé, rangé au rang de délit qui ne mérite
pas le budget nécessaire pour être traité en tant que crime. Il arrive
en effet souvent que l’autorité judiciaire requalifie un viol en
agression sexuelle en passant sous silence certains des éléments
constitutifs de l’infraction.
Le rapporteur admet que la justice passe
« sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction. »
Autrement dit les éléments constitutifs de CRIME. Il reconnaît que les
viols font l’objet d’une correctionnalisation à outrance.
En réalité, la rapidité de juger qui
serait un bénéfice pour les victimes et avant tout un moyen pour
désengorger les Cour d’Assises au mépris des droits des victimes de
viols.
Autre argument : les
représentants de magistrats, ont souligné que cette pratique était
paradoxalement souvent profitable à la victime, notamment lorsque
certains des éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à
établir et qu’une requalification des faits en agression sexuelle permet
d’éviter d’exposer la victime au traumatisme d’une audience criminelle
suivie d’un acquittement. Les magistrats (juges
d’instruction) qui utilisent une facilité (la correctionnalisation) ne
vont pas admettre que la correctionnalisation est surtout une procédure
qui leur permet de gagner du temps sur les nombreux dossiers qu’ils ont à
instruire. Il est vrai que les « éléments constitutifs du viol
paraissent difficiles à établir. » Mais dans combien de cas ?
« Difficiles à établir » ne signifie pas impossible. A-t-on au moins
enquêté ? J’en doute et quoi qu’il en soit, ces cas dont les preuves
seraient tellement difficiles à apporter représentent-ils 50 à 70 % des
viols (taux de correctionnalisation des viols) ?
Il n’est pas surprenant que la
présidente du Collectif féministe contre le viol, l’association la plus
représentative des victimes de viols, s’élève contre la
correctionnalisation des viols. Mais nous avons UNE Association face à
DES représentants des magistrats !
La cause est entendue, le désencombrement des Cour d’Assises peut continuer au détriment des victimes de viol.
B- LE DÉSENGORGEMENT DE LA COUR D’ASSISES : RAISON D’ÊTRE DE LA CORRECTIONNALISATION DU VIOL
Que disent les représentants du peuple à propos de la correctionnalisation ? :
Elle répond pour l’essentiel
aujourd’hui à l’objectif de décharger les cours d’assises qui, compte
tenu de la lourdeur de la formation des jurés et de la lenteur des
procès, se trouvent, en particulier dans les départements urbains, très
encombrées [3].
Est-ce un hasard si le domaine dans
lequel il y a le plus de correctionnalisation c’est le viol ? Comment
peut-on dire à la fois qu’il faut lutter contre les violences sexuelles
et faire subir un tel traitement aux personnes qui ont vécu la plus
grave des violences ?
Certains avocats qui participent à cette
mascarade, prétendent respecter la volonté des victimes qui préfèrent
éviter la Cour d’Assise :
Récemment, notre Cabinet a été
confronté à plusieurs reprises à cette question : dans un premier cas,
nous avons refusé une correctionnalisation de l’affaire compte tenu de
la spécificité des faits et de leur particulière violence, dans un
second cas, nous l’avons acceptée en raison de la volonté clairement
affirmée de la victime d’éviter un procès devant une Cour d’Assises [4].
Qui a soufflé à la victime que le procès
en Assise serait à ce point insupportable ? En 1987 je n’ai pas eu
d’avocat, j’étais donc seule face au juge d’instruction. J’ai pendant
longtemps pensé que le fait d’avoir un avocat m’aurait permis de
résister à la volonté du juge d’instruction. Que son mensonge aurait
été démenti en présence d’un avocat…
Il
n’y aurait pas autant de viol correctionnalisé si de nombreux avocats
n’étaient pas un appui, au juge d’instruction, à convaincre la victime
de viol d’accepter la décriminalisation de ce qu’elle a subit.
Le choix de la politique pénale n’est
pas un choix individuel. Depuis quand est-ce à la plaignante de
qualifier les violences dont elle a été la victime ?
Les viols sont à l’origine de graves
conséquences sur l’intégrité physique et psychique directement liées à
l’installation de troubles psychotraumatiques sévères (dont l’état de
stress post traumatique) qui, s’ils ne sont pas pris en charge
spécifiquement et si les victimes ne sont pas secourues, crues et bien
accompagnées, peuvent se chroniciser et durer de nombreuses années,
voire toute une vie, et avoir un impact très lourd sur la santé des
victimes. Les viols ont le triste privilège d’être avec la torture
celles qui vont avoir les conséquences psychotraumatiques les plus
graves, avec un risque de développer un état de stress post traumatique
chronique très élevé, avec jusqu’à 80 % de risque de les
développer alors que lors de traumatismes en général il n’y a que 24 %
de risques. Lors de viols, la mise en scène de meurtre de l’agresseur
associée à sa volonté de faire le plus souffrir la victime, de la
dégrader, de l’humilier et de porter atteinte à sa dignité, génèrent
chez les victimes un sentiment de mort psychique, elles se perçoivent comme des survivantes et même, pour certaines, comme des « mortes vivantes »
Comment la victime de viol peut-elle
être en mesure de faire un choix si même celui qui l’a défend lui
recommande d’accepter la « proposition » du juge. Combien de victimes se
rendent vraiment compte que ce qu’elles ont subi va être nié …
Savent-elles seulement que le viol dont elles ont été les victimes sera
rangé dans la case délit :
La correctionnalisation n’en soulève
pas moins des difficultés de principe. Elle déforme assez largement les
informations des casiers judiciaires » [3]
Savent-elles que leur violeur,
lorsqu’il violera une seconde fois ne sera pas considéré comme
« récidiviste » parce que la première fois il n’a pas été condamné pour
viol mais pour agression sexuelle. Je doute qu’une victime de viol
veuille participer à un tel mensonge ! Et, si mon violeur avait violé
une autre femme après moi ? Et, si encore une fois il avait été jugé en
correctionnelle pour agression sexuelle… Et, si, malgré moi j’avais
participé à ce que mon violeur viole une autre femme parce que la
justice lui avait dénié son crime ?
Le magistrat soutenu parfois par
l’avocat fait peur à la victime pour que celle-ci admette la
correctionnalisation, on lui demande d’accepter que son violeur ne soit
qu’un délinquant et pas un criminel ! Il s’agit de faire peur (parfois
même de tromper, mais n’est-ce pas toujours une tromperie ?) à la
victime pour qu’elle participe à la négation du crime dont elle a été
l’objet !
Cette correctionnalisation participe de
l’ignorance et ou de l’indifférence dont la société fait preuve dès lors
qu’il s’agit de violences sexuelles. Comment peut-on admettre que les
violeurs dont la loi a fait des criminels seront dans la majorité des
cas considérés comme des délinquants ? 70 000 femmes violées par an ne portent pas plainte. Elles sont encouragées à le faire !
En quoi faire du viol un non crime encouragerait des victimes brisées à sortir de leur silence ?
Quel est l’impact de cette correctionnalisation sur l’inconscient collectif ?
Comment la société pourrait-elle prendre
conscience des dégâts considérables provoqués par les viols lorsque ces
viols sont minimisés, décriminaliser par la justice et le législateur ?
Le viol est-il encore un crime quand dans 50 à 70% des cas il est correctionnalisé ?
La correctionnalisation est un viol de
la Loi, pourtant le législateur a consacré l’illégalité de ce qui
n’était qu’une vilaine tradition judiciaire
II – LA CORRECTIONNALISATION : DE LA PRATIQUE JUDICIAIRE A LA CONSÉCRATION LÉGISLATIVE
Avant d’être consacrée par le
législateur, la pratique de la correctionnalisation a été condamnée à
plusieurs reprises [5] par la chambre criminelle (A) : c’est
probablement ces condamnations qui sont à l’origine de la Loi Perben II
(B)
A – LA CORRECTIONNALISATION AVANT SA CONSÉCRATION PAR LE LÉGISLATEUR
Pour que la procédure de
correctionnalisation puisse aboutir il faut le consentement de toutes
les parties, victime, ministère public et auteur.
L’auteur ? Comment pourrait-il ne pas
consentir alors que la correctionnalisation est tout à son avantage ? A
l’évidence le criminel préférera toujours descendre au niveau de
délinquant avec la peine elle aussi toujours plus faible. De criminel,
il devient délinquant. En tant que criminel il risque 15 ans de prison.
Comme délinquant, il en risque 5.
Chaque partie peut soulever
l’incompétence du Tribunal correctionnel (le crime étant de la
compétence de la Cour d’Assises) le Tribunal Correctionnel peut relever
cette incompétence d’office (anc. art.469 CPP) :
Si le fait déféré au tribunal
correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner
une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se
pourvoir ainsi qu’il avisera.
En réalité, l’incompétence du Tribunal Correctionnel a été peu soulevée (mais assez pour faire réagir le législateur ?)
La victime devait sans doute même
ignorer cette possibilité. Moi je l’ignorais. Quant à l’auteur, il n’y
avait aucun intérêt. Autant dire que le message envoyé à l’auteur du
viol est digne d’un pardon judiciaire.
Cette correctionnalisation est pourtant
contraire aux règles de procédures pénales. Une atteinte à la
compétence des juridictions en vertu de laquelle, les crimes sont jugés
exclusivement par les Cours d’Assises, les délits par les Tribunaux
Correctionnels et les contraventions par les Tribunaux de Police. Cette
règle de compétence matérielle des juridictions est d’ordre public [5].
Illustration par une décision de la Chambre criminelle :
Doit être cassé l’arrêt de la cour
d’appel qui, pour les déclarer coupables d’agressions sexuelles, relève
que les prévenus ont sodomisé la victime et se sont fait pratiquer des
fellations par elle, de tels faits constituent des pénétrations
sexuelles et se trouvent justiciables de la cour d’assises.
Des faits criminels renvoyés devant le
tribunal correctionnel ! Il y a eu pénétration « sodomie » et
« fellations », des faits constitutifs du crime de viol, seule la Cour
d’Assise est compétente pour juger des crimes. Ici, la chambre
criminelle a eu l’occasion de se prononcer sur l’illégalité de la
pratique. Mais combien de viols ont échappés à la qualification de
crime ? Combien de victimes se sont vues nier dans leurs droits pour
désencombrer les Cours d’Assises.
Combien de temps encore va-t-on traiter le viol comme un crime mineur quand il n’est pas simplement déclassé au rang de délit ?
Les viols disqualifiés en agressions sexuelles ne feront jamais parties des statistiques « viols ». Les chiffres sont faussés :
- 10 % seulement des victimes de viol portent plainte
- 3% feraient l’objet d’un procès (procès en Cour d’Assises seulement)
- 1% seulement font l’objet d’une condamnation.
Ici encore il s’agit de 1% de
condamnation en Cour d’Assises. On ne peut parler de viols disqualifiés
puisque statistiquement ils font partie du délit d’agressions sexuelles
et non du crime de viol ! Les victimes qui ont soi-disant acceptées la
correctionnalisation savent-elles qu’elles sont niées jusqu’à être hors
statistiques ?
Et, si les viols n’étaient plus correctionnalisés ?
[…] on retient l’estimation basse de 50% des viols correctionnalisés.
Les viols correspondant à la moitié des
affaires jugées aux assises, l’activité des cours d’Assises devrait donc
être augmentée de 50% [6]
Le législateur en a décidé autrement :
une correctionnalisation, une négation de crime pour de basses raisons
budgétaires ; une correctionnalisation contraire aux principes
fondamentaux du droit.
B – UNE PRATIQUE ILLÉGALE VALIDÉE PAR LA LOI (CONTRA LEGEM)
La correctionnalisation ne porte pas
seulement atteinte à la compétence matérielle des juridictions pénales.
Elle est aussi contraire au principe d’égalité devant la Loi. Rappelons
que le principe d’égalité
devant la loi figure à l’article 6 de la Déclaration Universelle des
Droits de l’homme. Le Conseil Constitutionnel l’a consacré dès 1975 en
affirmant que le principe d’égalité de tous les individus devant la justice possède une valeur constitutionnelle. Une violation dénoncée par le Professeur Rebut :
il y a là une situation qui est
résolument contraire au principe d’égalité des justiciables devant la
justice. On sait certes que celui-ci peut souffrir des exceptions. Mais
celles-ci ne doivent pas procéder de discriminations injustifiées. On
peut préciser que c’est le cas pour la correctionnalisation dont la mise
en œuvre dépend pour beaucoup de circonstances fortuites relatives au
nombre d’affaires renvoyées devant la cour d’assises ». [3]
Dès lors nous aurons plus de violeurs
(et de victimes de viol) à Trifouilly-les-Oies qu’à Paris. L’exception
dont parle Monsieur le professeur Rebut n’en est effectivement plus une
lorsqu’il s’agit de la correctionnalisation appliquée au viol.
L’exception aujourd’hui c’est le viol non correctionnalisé, non
disqualifié en délit. L’exception c’est le viol condamné en tant que
crime. Sachant qu’il y a environ 10% de plaintes pour viol (75 000 par
an) et 1 à 2% des viols condamnés (Cour d’Assises). Y’ aurait-il 8% de
correctionnalisation ?
Selon V. Goaziou et L. Mucchielli :
Du côté des statistiques administratives, l’on relève une
multiplication par cinq des faits de viol (ou tentative de viol)
constatés par les services de police ou de gendarmerie en l’espace de 40
ans : dans les années 1970, autour de 1 500 viols par an sont
enregistrés alors que l’on atteint aujourd’hui la barre des 10 000.
Enfin, les statistiques judiciaires montrent une nette augmentation du
nombre de personnes condamnées pour viol entre les années 1980 et
aujourd’hui, ainsi qu’une sévérité accrue de la justice : de 1984 à
2008, la part des peines de 10 à 20 ans de prison pour les auteurs de
viols a crû de 16 à 40 % [7]
Serait-ce cette « inflation » des
plaintes pour viol qui a décidé le législateur à légaliser une procédure
contraire à tous les principes généraux de notre droit ? En effet, la
Loi Perben II du 9 mars 2004 a quasiment permis la légalisation de la
correctionnalisation des crimes en délit. Elle fixe des conditions qui
limitent les droits des victimes à faire appel de la décision de
renvoi :
La personne mise en examen et la
partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le
premier alinéa de l’article 179 dans le seul cas où elles estiment que
les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime
qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation
devant la cour d’assises.
Autrement dit, si la victime ne dénonce
pas la disqualification pendant le temps de l’instruction, elle ne
pourra plus soulever le moyen de l’incompétence (art.186-3 CPP). C’est
bien calculé, une victime de viol traumatisée et fragile pourrait se
faire convaincre assez facilement de correctionnaliser son viol surtout
si son avocat le préconise. Quelque temps plus tard elle pu se
reprendre, avoir eu d’autres conseils, et quand arrive le procès elle
prend conscience qu’elle a été trompée… Trop tard ! La Loi Perben II lui
interdit de faire application de son droit à ce que le crime soit
considéré comme un crime.
La loi empêche aussi le Tribunal correctionnel de relever sa propre incompétence :
Lorsqu’il est saisi par le renvoi
ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, le
tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d’office ou à la
demande des parties, des dispositions du premier alinéa, si la victime
était constituée partie civile et était assistée d’un avocat lorsque ce
renvoi a été ordonné.
Si la victime est partie civile au
procès et qu’elle a bénéficié de l’assistance d’un avocat. Le tribunal
Correctionnel ne peut soulever sa propre incompétence lorsque l’affaire
lui est renvoyée par le juge d’instruction. Alors que le Tribunal
correctionnel constate que les éléments sont constitutifs d’un crime et
qu’il est par conséquent incompétent pour en juger (principe d’ordre
public), il se doit d’obéir à une loi contraire à la Loi.
Certains disent que la loi a mis un
garde-fou qui serait ce fameux consentement de la victime avant toute
correctionnalisation. Sauf qu’il ne s’agit que de « l’accord au moins
tacite », nous sommes loin d’un accord libre et éclairé.
Dans le rapport (supra [1]), les membres
de la Commission, pour rejeter l’allongement du délai de prescription
pour les agressions sexuelles, font particulièrement référence à la
qualification tripartite des infractions
- M. Jacques Mézard « Notre droit pénal est fondé sur une hiérarchie entre crimes, délits et contraventions »
- M. Alain Anziani « La distinction des crimes, délits et contraventions est au fondement de notre système pénal »
- M. Nicolas Alfonsi « je suis férocement hostile à ce texte, qui porte atteinte aux principes généraux du droit »
En effet, Monsieur Alfonsi, la
correctionnalisation porte plus qu’une atteinte à la compétence des
juridictions pénales, elle viole aussi un principe à valeur
constitutionnelle, cela ne semble pourtant pas vous déranger.
Le rapporteur de la Commission, le sénateur Yves Détraigne,
« Notre droit pénal établit une distinction claire entre le viol et la
tentative de viol, crimes [...] et les autres agressions sexuelles,
délits … »
Comment ça Monsieur le sénateur ?
Pensez-vous que la Loi Perben II maintienne cette distinction « claire »
entre le crime (viol) et le délit (agression sexuelle). Bien sur que
non… Serions nous dans la « logique » du deux poids, deux mesures.
Rappeler les principes fondamentaux pour rejeter l’allongement de la
prescription et les oublier lorsqu’il s’agit de minimiser le viol ?
Comment peut-on permettre que la Loi viole la Loi ?
Aujourd’hui, le viol n’est un crime que
par la volonté d’un magistrat. A fortiori si ce magistrat ne rencontre
aucune résistance de la part de l’avocat de la victime.
Les avocats qui soutiennent cette
correctionnalisation ont une très grande responsabilité dans la
minimisation du viol. Où est passé l’avocat vu comme le dernier
« rempart contre l’arbitraire » ? Il en reste quelques-uns heureusement,
on aimerait juste les entendre un peu plus.
Alors soyons clairs : les victimes
ont moins besoin d’un gadget de JUDEVI (juge des victimes), de CRPC aux
Assises, d’imprécations sur fond d’arrière-pensées politiques, la main
sur le cœur, « les victimes ! Les victimes ! Un avocat à l’AJ, là, tout
de suite, maintenant », que de la possibilité réelle, matérielle et
budgétaire, de voir l’auteur de leur viol passer aux Assises et pas
devant un Tribunal Correctionnel [2]
Il serait, en effet, temps de respecter
les victimes de viol dans leurs souffrances qui perdureront bien
longtemps après que le violeur sera sorti de prison.
Il est temps de mettre fin à cette farce juridique
RÉFÉRENCES
[1] http://www.senat.fr/rap/l11-249/l11-249.html
[2] http://avocats.fr/space/laurent.epailly/content/a-quoi-reconnait-on-une-democratie–_2657AC69-89DC-41C1-97A4-F6CE867B110
[3] http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110502/lois.html#toc6
[4]http://cabinetarpej.eu/dotclear/index.php/post/2010/06/24/Correctionnalisationd%E2%80%99opportunit%C3%A9-%3A-savoir-respecter-le-choix-de-la-victime
[5] http://fxrd.blogspirit.com/archive/2008/11/13/la-correctionnalisation-judiciaire.html
[6] http://mobile.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-deni-de-la-violence-sexuelle-en-101699
[7] http://www.criminologie.com/article/viol
[3] http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110502/lois.html#toc6
[4]http://cabinetarpej.eu/dotclear/index.php/post/2010/06/24/Correctionnalisationd%E2%80%99opportunit%C3%A9-%3A-savoir-respecter-le-choix-de-la-victime
[5] http://fxrd.blogspirit.com/archive/2008/11/13/la-correctionnalisation-judiciaire.html
[6] http://mobile.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-deni-de-la-violence-sexuelle-en-101699
[7] http://www.criminologie.com/article/viol