On se souvient de la première partie de la conséquente étude, par Robert Bibeau, sur le déclin de l'impérialisme contemporain. Joie, la suite arrive, tout aussi ardente.
ROBERT BIBEAU
Le stade ultime – impérialiste – du système
d’économie politique capitaliste se particularise par le mélange de huit
(8) caractéristiques dont nous avons présenté les six premières la semaine dernière .
Voici les deux derniers traits spécifiques de l’impérialisme contemporain :
7) Avant-dernière trait prégnant de l’impérialisme contemporain à l’agonie ; on observe partout une concentration de la richesse sociale collective entre les mains d’une ploutocratie de plus en plus restreinte en
nombre de familles et en nombre d’individus et de plus en plus
puissante par cette richesse détenue en propriété privée. Dans certains
pays comme la France, 200 familles environ détiennent le quart de toutes
les richesses de la nation. Même constat en Italie, au Chili et dans de
nombreux autres pays impérialistes dépendants comme Israël. En Chine
puissance impérialiste majeure – bientôt première puissance économique
mondiale – le nombre de milliardaires s’accroit de façon rapide et
inexorable, particulièrement parmi les hauts dirigeants du Parti
«Communiste». Aux États-Unis une petite fraction de un pourcent de la
population détient le tiers des richesses nationales (9).
Un réseau sélect et compact de grands oligarques, souvent cooptés à
la direction et aux conseils d’administrations des grandes corporations,
tient entre ses mains le capital financier, et tout le pouvoir
économique, politique et militaire afférant. Cette concentration du
capital et du pouvoir se produit au détriment de toutes les autres
classes et sections de classe de la nation, y compris aux dépens des
fractions non monopolistes de la bourgeoisie qui se rebiffent et
tentent, impuissantes, d’entraver ce processus monopoliste
inévitable (10).
Ces fractions de classes bourgeoises dans leur
résistance à la monopolisation se constituent en partis politiques
sociaux-démocrates et même Communiste-révisionnistes.
La démocratie électorale bourgeoise n’est qu’une mascarade visant à
confier à la population la sélection de la représentation à
l’administration politique de l’appareil d’État. Ainsi, aux élections
américaines de 2012, la population votante des États-Unis avait le choix
entre la faction Républicaine des « fiscalistes » et la faction
Démocrate des « monétaristes » ; une faction souhaitait transférer le
fardeau de la crise sur le dos du peuple en haussant les taxes de la
classe dite moyenne – ne touchant surtout pas à leurs frères de classe
milliardaires – et en réduisant les services étatiques ; l’autre
faction, d’accord avec cette orientation, souhaitait néanmoins y
adjoindre quelques mesures vigoureusement inflationnistes d’émission de
monnaie (dollars de pacotille) de façon à réduire le coût de la force de
travail (la fraction du travail nécessaire) des ouvriers américains.
L’impérialisme c’est la guerre
8) La militarisation de l’économie nationale et
internationale est le huitième trait caractéristique de l’économie
politique impérialiste. Les pays impérialistes développent ou
collaborent au développement de l’industrie militaire (Israël et le
Canada sont parmi les plus importants sous-traitants de l’industrie de
guerre américaine) ; ou encore, les universités et les laboratoires des
pays impérialistes participent à la recherche-développement d’armes
sophistiquées, armes de destruction massive, armes pour terroriser les
populations civiles locales et celles des pays néo-colonisés (au Liban,
en Palestine, au Congo, au Mali, etc.). Ces pays que la « communauté
internationale » des pays impérialistes dominants accusent via leur
paravent – le Conseil «d’insécurité» de l’ONU – de terrorisme,
d’intégrisme, d’islamisme, de nationalisme excentrique (l’Iran refusant
de laisser ses richesses en hydrocarbure être pillées par les majors
américaines et britanniques du pétrole ou encore la Syrie coupable
d’être alignée sur Moscou plutôt que sur Washington) et aussi –
anciennement – ces communautés coupables du crime de communisme (ça
c’était pendant l’ère du Maccarthysme et de la guerre froide).
Nombre des pays impérialistes moins puissants consacrent une portion
importante de leur budget gouvernemental aux dépenses militaires et à
l’armement. Les pays impérialistes, même ceux qui ne sont pas très
puissants, sont impliqués dans le commerce licite ou illicite d’armes de
toute nature (les monopoles de la Suisse-pacifiste sont de grands
fabriquant d’armement (!) Le Canada fabrique des mines anti
personnelles, etc.). Les pays impérialistes maintiennent sur pied de
guerre des corps expéditionnaires tout équipés d’armes sophistiquées de
destruction massive, ce qui pèse lourdement sur les finances publiques
et enrichit l’industrie de guerre nationale (parfois sous-traitante) et
internationale dans laquelle les milliardaires locaux (grecs par
exemple) font d’important investissements très payant, exempts d’impôts,
alors que les ouvriers grecs sont harcelés par la « Gestapo fiscale »
pour crime de « travail au noir » contre une poignée d’euros; de même en
République tchèque, en Italie et en Belgique.
Les pays dépendants, dominés par une alliance impérialiste ou par une
autre sont contraint de consacrer une portion importante de leur budget
d’État, parfois famélique, à l’achat d’armes dispendieuses et au
maintien d’une force de sécurité chargée de réprimer toute velléité de
souveraineté véritable de la part d’une portion ou d’une autre de la
bourgeoisie nationale aliénée. Évidemment, ces armées d’opérettes
coûteuses, réactionnaires et parfois mafieuses – s’adonnant au trafic
d’armes, de drogues et au pillage des ethnies minoritaires – ont aussi
pour mission d’écraser dans le sang tout soulèvement ouvrier ou
populaire qui viserait à renverser la chape de plomb dominatrice qui
écrase les peuples opprimées.
Le triomphe de l’impérialisme moderne a eu pour conséquence directe
l’éclatement constant de conflits larvés. Les États-Unis notamment ont
mené plus de cent invasions militaires depuis 1890. Les grandes
puissances impérialistes ont mené ces guerres d’agression soit à l’échelle locale (Nicaragua, Haïti, Colombie, Côte d’Ivoire, Soudan, Libye, Syrie, Mali, etc.). soit à l’échelle régionale
(Guerre de Corée, Guerre du Vietnam et invasion de l’Indochine,
Cachemire-Pakistan-Inde, Afghanistan-Pakistan, Irak-Koweït-Iran,
Israël-Palestine-Liban-Égypte, ex-Yougoslavie, etc.) ; et, par deux fois
dans l’histoire contemporaine, des guerres mondiales
ont saccagé la planète pour une nouvelle répartition des marchés, le
contrôle des gisements de matières premières et des puits d’énergie, et
pour le repartage des sources de surtravail, de plus-value et de profits
entre les puissances impérialistes en conflit (11).
La Grande Guerre (1914-1918) a entraîné l’élimination d’une immense
force productive (20 millions de morts et autant de blessés), une
baisse de plus du tiers des capacités de production des puissances
européennes et un repartage des zones coloniales d’exploitation dont
l’Allemagne a été exclue. L’Allemagne Nazi tentera vingt ans plus tard
de se tailler un nouvel empire colonial en Europe de l’Est et en Union
Soviétique socialiste – avec le succès que l’on sait –. Un jour à
Stalingrad les peuples soviétiques ont brisé pour toujours la machine de
guerre impérialiste NAZI des Krupp, Messerschmitt et de l’IG Farben.
Le krach boursier de 1929 et la Grande Dépression qui suivit entraîna
une chute de production encore plus sévère, soit 40 % des forces
productives dilapidées aux États-Unis seulement. La Seconde Guerre
mondiale avec 50 millions de morts, des dizaines de millions d’estropiés
et d’énormes destructions civiles et militaires provoqua l’élimination
d’immenses forces productives, une chute drastique de la production de
marchandises et le repartage des zones d’influences à travers le monde
(12).
Le mouvement de libération nationale et de décolonisation qui suivit
la Seconde Guerre mondiale (1949, libération de la Chine ; 1959,
libération de Cuba ; 1962, libération de l’Algérie ; 1975, victoire du
peuple Vietnamien ; 1979, Révolution iranienne ; 1989, effondrement du
social-impérialisme soviétique, marquant le deuil définitif de
l’utopique coexistence pacifique (entre deux systèmes sociaux
antagonistes, doctrine que l’Union Soviétique avait proclamé vers 1956),
modifia l’équilibre des forces géostratégiques mondiales et entraîna
la redistribution des sphères de contrôle, d’exploitation et de
militarisation. Les agressions impérialistes visant la néo-colonisation
de ces pays provoquèrent un brassage des alliances et des zones de
contrôle des ressources naturelles et énergétiques, des marchés, des
secteurs d’exportation de capitaux et de surexploitation du travail
salarié, de la plus-value et de confiscation des profits – toujours se
rappeler – s’il n’y a pas exploitation du travail salarié – il n’y a pas
de plus-value et par conséquent il n’y a pas de profits.
La source de toute la richesse sous l’impérialisme contemporain
Sous le système d’économie politique impérialiste
le produit du travail salarié se divise en deux parts inégales et pas
davantage :
A) le « travail nécessaire » – la
valeur de la partie de la journée de travail de l’ouvrier qui assure la
reproduction étendue de la force de travail social. Le salaire de
l’ouvrier doit donc couvrir à la fois le coût de sa propre reproduction
et le coût de son renouvellement en tant que classe sociale (coûts
associés à l’entretien de sa famille ainsi que les coûts associés à la
survie de l’armée de réserve des travailleurs). La valeur du « travail
nécessaire » se divise donc en deux parts inégales : i) le salaire net encaissé par le travailleur pour sa survie immédiate et celle de sa famille, et ii) les taxes et retenues, assurances, cotisations, fonds de pension et impôts
en tout genre dont une partie servira à défrayer le coût des
immobilisations et des services publics (soins de santé, écoles,
universités, garderies, transport, culture, loisirs, etc.).
B) L’autre portion de la valeur produite par le travail salarié est le « surtravail » – c’est la portion non payée de la journée de travail de l’ouvrier que l’on appelle « plus-value
» (ce que le travail vivant de l’ouvrier ajoute en valeur à la
marchandise-matière première morte) avec laquelle le capitaliste paiera
lui-même ses impôts et charges sociales et qui comprend finalement
toutes les formes de profits capitalistes (redevances, rente foncière,
bénéfices sur actions, profit commercial, etc.).
L’impérialisme c’est la crise économique systémique
Avec la résurgence de la crise économique lors du krach boursier de
2008 on constate une surcapacité de production des biens et des services
; d’où l’inévitable destruction des forces productives (fermetures
complètes ou partielles d’usines, délocalisation d’entreprises
industrielles et de services, chômage catastrophique, emploi à temps
partiel et travail précaire ou au noir, destruction ou dilapidation en
pays développé d’une portion des aliments pendant que les populations
des pays sous-développés sont affamées, etc.). On observe également une
baisse drastique des taux d’intérêts payés sur les placements ce qui
entraîne souvent des rendements peu intéressants sur les investissements
et les placements boursiers – pendant que certains monopoles s’en tire
bien on observe une baisse générale des taux de profits moyens et un
grand nombre d’entreprises capitalistes déposent leur bilan ou se font
absorber par leurs concurrents.
Comment les pontes impérialistes ont-ils tenté de faire face à ces
défis économiques récurrents ? Selon les pays, ils ont implanté l’une ou
l’autre ou les quatre mesures suivantes :
I) Afin d’enrayer la baisse moyenne de profitabilité
et pour redresser leur barque économique en train de sombrer, le
premier axe des efforts des oligarchies financières internationales – à
travers les politiques économiques et sociales des gouvernements à leur
solde – a été de rejeter sur le dos des travailleurs le coût total des
services publics qui pourvoient à la reproduction de la force de travail
social (travailleurs et aussi armée de réserve des chômeurs). Il a
suffi pour les gouvernements de réduire la part du « travail nécessaire »
– c’est-à-dire, en définitive, de réduire la valeur relative des
salaires des ouvriers en laissant monter les prix inflationnistes ; en haussant les soi-disant « tickets modérateurs » et les coûts des services publics assumés par les consommateurs et en augmentant les charges fiscales et les retenues à la source grevant les salaires des travailleurs et de tous les employés.
Contre les projets pharaoniques, opposition citoyenne (NDDL) |
II) Le deuxième axe des attaques menées par les
gouvernements au service des riches en vue de réduire la part du
« travail nécessaire » par rapport au « surtravail » – générateur de
plus-value – consiste à réduire drastiquement les services en
saquant du personnel public et parapublic, en éliminant parfois
complètement certains services collectifs nécessaires à la reproduction étendue de la force de travail.
La privatisation des services publics (traitement de l’eau potable,
des déchets et des eaux usées) et l’adjudication exclusive aux
entreprises privées des projets pharaoniques de construction
d’infrastructures publiques sous mode de PPP (partenariat-public-privé)
sont également des mesures de cette nature – c’est-à-dire des mesures de
transfert des fonds publics au travail salarié privé. Toutes ces
mesures ont pour effet de diminuer globalement la portion du « travail nécessaire » et d’augmenter d’autant la portion du «surtravail»
et donc la portion de la plus-value (et des profits) produite par
l’ouvrier pendant sa journée de besogne, sans pour autant augmenter ni
la durée de la journée de travail, ni la quantité de marchandises
produites, ce qui serait nuisible, puisque de toute façon les marchés
sont encombrés de marchandises invendues…inutiles d’en rajouter.
III) Le troisième axe des efforts menés par les
nababs financiers malins pour se sortir du pétrin et mettre fin à la
baisse tendancielle des taux moyens de profits – s’extirper de la
difficulté d’accumuler le capital nécessaire à la reproduction élargie
de leur système déconfit – consiste à prêter des montants astronomiques aux États créanciers
de manière à plomber le service de la dette servant à rembourser le
capital et les intérêts aux banquiers-créanciers. Environ 75 % des
revenus des États impérialistes occidentaux proviennent des salariés
alors que les charges fiscales des entreprises comptent généralement
pour moins de 15 pour cent et vont en diminuant. Ce stratagème a été
rendu possible, sinon grandement facilité, par l’abrogation en 1971 des Accords de Bretton Woods
(signés en 1944 par 44 nations alliées – excluant l’URSS) qui
structuraient le système monétaire impérialiste mondiale autour du
dollar américain assujetti à la convertibilité du dollar US en
valeur-refuge-or.
En abrogeant cette contrainte de convertibilité-or, il devenait
loisible aux États-Unis d’émettre autant de dollars qu’ils le
souhaitaient sans avoir à en garantir la conversion en valeur-or, ce qui
leur était devenu impossible. Les réserves or des américains étaient
largement insuffisantes. Les oligarques financiers se préparaient ainsi à
hypothéquer l’économie du monde « libre » (sic) en repoussant plus
avant le jour de l’effondrement. Depuis quelques années l’euro s’est
engagé sur le même sentier dévoyé pour obtenir les mêmes résultats
délurés (13). Vous ne devez pas vous étonnez si aujourd’hui la France, l’Allemagne l’Équateur, le Venezuela, la Roumanie, l’Iran et la Libye tentent tous de récupérer leur or .
IV) Le quatrième axe des efforts menés par les
riches pour se sortir de la dépression économique et pour contrer la
diminution de la plus-value extraite du travail salarié dans les centres
impérialistes plus anciens (par rapport aux pays impérialistes dits
« émergents ou ascendants » où les salaires sont pour le moment
inférieurs à leurs concurrents) consiste à pousser au maximum la recherche-développement, la mécanisation, l’informatisation et la robotisation de la production.
Observant ce phénomène, qui n’est pourtant pas récent, les
intellectuels bourgeois ont inventé les frauduleux concepts d’« économie
du savoir et des connaissances » et d’« économie des nouvelles
technologies », deux fumisteries. L’économie politique, l’infrastructure
de production et la superstructure idéologique, politique et militaire
ainsi que les classes sociales spécifiques à « l’économie politique du
savoir et des technologies » n’existent tout simplement pas. La
connaissance – la science et la technologie – ont toujours été partie de
l’infrastructure du système de production et de circulation
capitaliste, particulièrement en phase impérialiste.
L’innovation n’est pas une nouveauté et a toujours accompagné le
développement impérialiste. Le soi-disant miracle industriel allemand
dans les années trente s’est construit sur cette capacité d’innover. Le
soi-disant miracle japonais et le miracle étatsunien dans les années
soixante et pendant les Trente Glorieuses ont été basés sur cette
capacité d’innover et de surproduire (accaparant la plus-value extra) en
augmentant la part de capital constant
(mécanisation-robotisation-informatisation) dans la composition
organique du capital, ce qui occasionne justement la baisse tendancielle
des taux moyens de profits.
Par l’innovation scientifique et technologique les capitalistes monopolistes tentent de repousser les limites physiques de l’exploitation du temps de travail et de l’effort salarié
en faisant produire davantage de « valeur marchande » en moins de
temps, ce qui réduit d’autant la portion de « travail nécessaire » par
rapport à la portion de « surtravail » au cours d’une journée de travail
normale, accroissant ainsi la part de plus-value relative et extra qui
s’ajoute à la plus-value absolue et augmente de ce fait la portion des
profits pour une accumulation supplémentaire de capital préalable à sa
reproduction étendue… espèrent-ils…Nous verrons qu’il en va autrement
dans le monde réel.
SEMAINE PROCHAINE:PRODUCTIVITÉ - COMPÉTITIVITÉ DU TRAVAIL SALARIÉ