La ZAD engendre toutes les poésies, tous les renoncements parce qu'elle est une richesse en elle-même, une richesse que "les nantis" ne soupçonnent même pas. Parce qu'elle demande beaucoup, elle rend au centuple. Quel que soit l'avenir, les vies de ceux qui ont décidé de vivre là auront été changées. Quelle joie d'avoir découvert ce matin un texte lumineux sur le site de la ZAD ! Il faut que je vous le fasse partager.
DEFENDRE LA CHATAIGNERAIE
A NOTRE-DAME -DES -LANDES
« Enfin, je dois encore te dire ça : beaucoup d’entre nous
ignoraient la saveur de la liberté, et ils ont appris à la connaître
ici, dans les forêts, dans les marais et les périls, en même temps que
l’aventure et la fraternité (...).
_ Si ce n’est ainsi qu’il faut faire, quoi faire ?
_ Et si ce n’est maintenant, quand alors ? »
(Primo Levi, Maintenant ou jamais)
A l’ouest de la Lande de Rohanne, dans la Châtaigneraie, un petit
village a été bâti dans le temps d’une semaine, sans autorisation
préalable. Cet ensemble de maisons de bois se divise en deux parties :
l’une destinée à dormir et à soigner, l’autre composée d’une grande
cuisine, une salle de réunion, une taverne et une manufacture. Près de
quarante mille personnes rassemblées le 17 novembre contre un projet
d’aéroport et pour la ré-occupation du bocage que dépeuplaient les
forces de l’ordre depuis le 16 octobre, en rasant des maisons anciennes,
confluèrent de Notre-Dame -des -Landes vers la forêt. Dès lors
commença, plus qu’un chantier : une oeuvre, une oeuvre commune. Tel jour
au son d’un duo de saxo et d’accordéon grimpé sur un toit, tel autre
sous une pluie battante ; toujours dans la boue et sous les espèces
d’une fraternité communicative. Un de ces moments de pur bonheur où l’on
pourrait croire qu’un tel déploiement de forces libres est facile et
durerait toujours. Pourtant, tout a été accompli sous la pression jamais
relâchée des gendarmes, des hélicoptères, des déclarations menaçantes
des notables, et dans la conscience que le reste du monde n’avait pas
changé, qu’il regorgeait de dispositifs hostiles, braqués contre nous
dès lors que nous démontrions par l’exemple que nous n’avions pas besoin
d’eux pour nous conduire.
Une telle œuvre est le fruit de ce qui, autrefois, portait le
beau nom d’émotion populaire : un ébranlement d’être qui engendre ce
cri : ça suffit ! On a tout supporté jusque-là, les mutilations et les
prothèses, la mise à l’encan de tout ce qui vit, le bétonnage des sols,
la programmation et la traçabilité de tous les déplacements, des
sentiments et des gestes, et les discours des imposteurs pour faire
avaler tout cela. Mais il aura suffit qu’à Notre-Dame-des-Landes les
machines de l’État viennent ravager, sous haute protection policière et
après des années de tension, le potager du Sabot, les cabanes des bois
de la Saulce et de Rohanne, des Cent chênes et de la Bell’ich, les
vieilles fermes du Rosier, des Planchettes, de La Gaité et quelques
autres, pour que la colère remonte des profondeurs. Autant de
destructions, autant de blessures, autant de raisons d’apporter dans la
Z.A.D. ( Zone d’ Aménagement Différé, devenue Zone A Défendre) tout ce
que nous avions de meilleur : matériel pour reconstruire, vêtements,
nourriture, literie, forces, rêves et pratiques qui se conjuguent pour
figurer une conception concrète du monde, foncièrement opposée à celle
de l’entreprise Vinci dont les édifices ( aéroports, parkings,
autoroutes ...) reposent sur la dévitalisation froide, préalable, des
territoires qu’elle occupe, pour plaquer ses décors en béton massif.
Auprès d’eux, quoi de plus frêle que ces assemblages de bois, de paille
et d’argile, que nous façonnons : des châteaux de cartes gonflés de
sève, de vie, qui ressemblent à nos rêves mais sculptés dans la matière,
et que nous défendrons comme on défend sa peau.
Un « kyste », déclare l’Etat chirurgical ; une « zone de
non-droit » selon les barons du département. Est-ce en vertu de tels
commentaires qu’il existe des juges pour exécuter la sentence de Vinci –
faire table rase – en bannissant systématiquement ceux qui
comparaissent en justice pour faits de résistance aux gendarmes ? Mais
ceux qui distribuent si généreusement leurs forces sont chez eux dans la
Z.A.D., et c’est une manière de crime de les arracher à un sol et à un
milieu qui redonne le souffle et la vie à toutes sortes de déracinés. Ce
bocage, ainsi habité, est un refuge et un commencement.
« Mes bottes me manquent » a écrit un jeune tailleur de pierres
emprisonné pour cinq mois. Les bottes et la boue, la vie commune, les
animaux de rencontre, les coups de griffe des ajoncs, l’épuisement, le
pain de chaque jour, les feux dans la brume, les barricades habitées,
les planches transportées et cloutées, les frondes forgées, la
nourriture offerte ... C’est la vie même, sous la forme d’une brèche aux
mille contours par où s’engouffrent les mille visages de l’avenir, que
veulent canaliser ou anéantir les spéculateurs du vivant.
Cette brèche, il faudra la tenir ouverte et pour cela, défendre ce
lieu « jusqu’à l’extrême limite » ; parce qu’il incarne l’un des
terrains que nous offre la vie pour éprouver nos forces effectives et
mesurer ( la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure ) nos chances de
faire de notre passage d’enfants perdus sur la terre une aventure
directe, âpre, éblouissante.
Patrick Drevet, à la Châtaigneraie,
le 7 janvier 2013
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Ouah ! ça donne trop envie de venir ! Très belle description. Si je n'étais pas enchaînée à mon job, je viendrais bien !
RépondreSupprimerIl est merveilleux ce texte, il rend justice à ce peuple de la boue et honte à ceux qui se vautrent dans le plastique de leur vie en toc ! Pensons à eux, ou mieux, allons-y demain, 15 janvier, car il semble qu'il va y avoir une nouvelle tentative d'expulsion...
RépondreSupprimerOh oui, la ZAD, il faut contribuer à la défendre. C'est un combat humaniste essentiel, dans l'anti-civilisation qui nous salit chaque jour.
RépondreSupprimerJe pense que les "autorités" ont peur : cette opposition qui s'organise de mieux en mieux, jour après jour, en mettant de côté tous les oripeaux de l'anti-civilisation, est difficilement atteignable parce qu'elle est à la fois partout et nulle part. Chaque grand coup de griffe maladroit la renforce. Il faut être prudent, car le prédateur est blessé, et peut devenir très méchant. Cependant, il faut persévérer, et persévérer encore.