Décidément, nos amis les blogueurs de gauche se déchaînent. Voici encore un document essentiel, à verser au crédit de JPD le Petit Blanquiste.
21 février 2013
Vigné d'Octon et les crimes coloniaux de la République
A
un moment où l’armée française nous rejoue sans gloire la prise de
Tombouctou, le moins qu’on puisse faire est de rappeler comment, à une
autre époque, d’autres soldats de la République ont martyrisé cette
région d’Afrique.
Paul Vigné d’Octon, médecin de la Navale, affecté au Sénégal puis en Guinée dans les années 1880, en a été le témoin révolté.
En 1885, il accompagne une colonne
d’infanterie de marine chargée de consolider le contrôle de la France
sur la région des Rivières du Sud (Guinée actuelle) alors divisée par
des rivalités entre deux chefs locaux. La mission est d’appuyer un camp
contre l’autre en supprimant trois villages et en faisant disparaître
leurs chefs. Les villages sont effectivement brulés et leurs chefs
abattus avant que la troupe française se replie abandonnant le terrain à
ses supplétifs qui torturent et achèvent les blessés. [1]
Ecœuré par cet épisode et par bien
d’autres, et désireux de témoigner de tout ce qu’il voit, Vigné expédie
d’abord des articles à des journaux sous des pseudonymes divers puis
démissionne finalement de l'armée.
Peu après, il se présente à la députation dans sa circonscription de l’Hérault. Il est élu et sera réélu deux fois. [2]
A la Chambre des députés, il accuse la
politique coloniale de la France et s'oppose à l'octroi des crédits
destinés à financer les expéditions militaires.
Quand il interpelle le chef du
gouvernement c'est pour lui demander de mettre fin à la politique de
conquête coloniale, cause de « ces actes abominables » qui « porteraient
à croire que les véritables sauvages ne sont pas au Soudan ». [3]
C'est lui encore qui dénonce le massacre
perpétré dans le village d’Ambike à Madagascar. Un adjoint de Galliéni,
gouverneur de l’île, commande ce meurtre de nuit contre une population
endormie. Mitraillées ou éventrées à la baïonnette, les victimes (femmes
et enfants compris) se comptent entre 2.500 et 5.000.
« Quand il fit grand jour, la ville
n’était plus qu’un affreux charnier dans le dédale duquel s’égaraient
les Français, fatigués d’avoir tant frappé », raconte Vigné.
En 1899, il sera celui qui révèle les
crimes que l’armée française est en train de commettre en Afrique où,
durant une mission de reconnaissance sur des territoires situés entre le
Niger et le Tchad, deux officiers, le capitaine Voulet et le lieutenant
Chanoine, se livrent à des massacres monstrueux jonchant leur parcours
de milliers de cadavres, et de villages dévastés et incendiés.
Le gouvernement finira par ordonner
l’arrestation des deux officiers mais l’affaire est enterrée par la
Chambre des députés qui rejette à une écrasante majorité la commission
d'enquête demandée par Vigné.
En 1910, Vigné obtient du gouvernement
l'autorisation de conduire une mission d'information en Afrique du Nord
au désagrément des milieux coloniaux qui le redoutent, certains le
considérant « plus dangereux que les criquets »...
Persuadé que le gouvernement allait censurer ses rapports, Vigné les fait publier dans les colonnes du journal antimilitariste La Guerre sociale, puis les regroupe dans une brochure intitulée La Sueur du Burnous.
Il y dénonce notamment les spoliations des meilleures terres
tunisiennes : « On ne compte plus le nombre de tribus qui après avoir
été chassées des terres assez fertiles qui les nourrissaient et
refoulées sur un sol ingrat, en ont été dépouillées le jour même où l’on
y découvrit des richesses minières à exploiter... »
Après la guerre 1914-1918, il publie un
nouveau pamphlet où il condamne entre autres les atrocités de la guerre
menée en Syrie et au Liban lors de l’expédition du général Gouraud.
C'est
aussi à cette époque, qu'un jeune vietnamien Nguyen Aï Quoc (le futur
Ho Chi Minh) demande à le rencontrer. De leur travail en commun à la
Bibliothèque nationale, celui qui conduira les guerres de libération de
son pays contre la France et les Etats-Unis puise des éléments qui
contribueront à l’écriture de deux de ses brochures : Les opprimés et Procès de la colonisation. [4]
Il est devenu de bon ton d’affirmer que
les crimes et exactions qui accompagnèrent les conquêtes et les
occupations coloniales se sont déroulées dans un silence complice
généralisé et que ce serait un archaïsme d’affirmer le contraire.
L’exemple de Paul Vigné d’Octon nous montre que c’est faux. Même à
contre-courant, il y a toujours eu des opposants à l'impérialisme
français et à ses crimes. Aujourd'hui, encore !
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[1] Le même scénario semble se reproduire aujourd’hui quand, après
avoir pris le contrôle d’une ville, l’armée française la livre à l’armée
malienne qui y procède à des exécutions sommaires de Touaregs et
d’Arabes.
[2] La base de données de l’Assemblée nationale ne lui consacre aucune biographie.
[3] Il s’agit, au temps de l’Afrique occidentale française, du «
Soudan français » ou « Soudan occidental » devenu aujourd’hui le Mali.
[4] En exergue de ce dernier écrit, Ho Chi Minh place une citation de
Paul Vigné d’Octon : « Après avoir volé des terres fertiles, les
requins français prélèvent sur les mauvaises terres des dîmes cent fois
plus scandaleuses que les dîmes féodales. »
Excellente page d'Histoire, merci de la relayer...
RépondreSupprimerL'étouffoir de la mémoire des rares témoins anti-coloniaux ne peut fonctionner à 100%...
Je ne connaissais pas (malgré mon vieil intérêt à trouver de tels témoignages engagés) l'action de Vigné d'Octon... sinon la citation qu'en fait "l'Oncle Ho" dans "Procès de la Colonisation" !
Mon cher Rem*, je ne remercierai jamais assez Jean-Pierre de faire ressurgir la personnalité de Paul Vigné d'Octon : il lui a sûrement été très difficile de s'élever constamment contre cette tendance colonialiste, "esclavagiste", cruellement dédaigneuse des droits et de la vie des humains ainsi envahis et opprimés, tant ce qu'on n'appelait pas encore "le lobby" de la supériorité implicite et de la rapacité officielle devait être puissant.
RépondreSupprimer"Tintin au Congo", nettement plus tard, continua à mettre le doigt là-dessus sans qu'on sache vraiment à quel point Hergé le dénonçait.
Et aujourd'hui, au XXIe siècle, rien n'a changé, et un président se fait commis-voyageur de profiteurs, justificateur de leurs actions, et complice de ce qui se passe actuellement au Sahel en contribuant à organiser un efficace black out des actions de "son" armée.