Hiroshima, Nagasaki, c'était il y a soixante-sept ans, c'était hier en somme. Si le Japon se souvient, on n'entend pas grand-chose côté US. Et même le Japon en assume-t-il les conséquences ? Le redémarrage d'un ou deux réacteurs après l'arrêt intégral peut faire penser que non, les lobbies nucléo-industriels n'entendent pas baisser les bras malgré les risques. Les responsables ne sont pas sanctionnés. Beaucoup sont plus responsables, et plus motivés que jamais. C'est dans ce contexte qu'un manifeste de Jean-Marc Royer doit être lu. Découvert sur le blog Fukushima, il en dit beaucoup, d'autant que ses sources sont nombreuses, et explicites.
Jeudi 9 août 2012
6
et 9
août 1945, deux dates qui font frémir. Les commémorations actuelles
nous rappellent que le monde a changé en profondeur sur la base de
l’horreur nucléaire. Jean-Marc Royer, par l’article suivant,
nous explique très clairement l’historique de ces programmes
militaires et les effets impitoyables de la bombe A. On sait aujourd’hui
que ces faits militaires d’une horreur sans nom n’étaient pas
nécessaires pour mettre fin à la guerre…
Merci à l’auteur de contribuer à ce travail de mémoire encore
inachevé.
______________________
LA BOMBE ATOMIQUE, UN PUR PRODUIT DE LA TECHNOSCIENCE
par Jean-Marc Royer
Les
rappels qui suivent se veulent une aide au travail de mémoire qui
reste, soixante-sept ans après les bombardements
atomiques, encore très incomplet. L’autre motivation de ce texte
réside dans le fait qu’il ne peut y avoir de conscience pleine et
entière de ce qui s’est passé à Hiroshima, Nagasaki puis à
Tchernobyl et Fukushima sans que l’on soit en mesure de s’en faire
une représentation [1].
Puisse ces lignes y aider le lecteur. Pour cela, il
lui faudra le courage de ne pas reculer devant la douleur dont il
est question. A cette seule condition, il en sortira grandi en humanité.
Les " découvertes scientifiques " à l'origine de la bombe
atomique
Il n’est pas sans conséquences philosophiques majeures de constater que la bombe atomique est un produit direct de la
science occidentale [2]. On constatera que la réponse ne fait plus de doute lorsque l’on examine, même rapidement, l’histoire de cette
" invention " et de ses prémisses.
En 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité naturelle.
Niels
Bohr présente en 1913 la première théorie qui expliquait ce phénomène :
la matière est constituée d'atomes, eux-mêmes formés
d'électrons " tournant autour d'un noyau ". Certains de ces atomes
ne sont pas stables et se décomposent en émettant des rayonnements.
En 1905
Albert Einstein publie la théorie de la relativité. Pour lui, matière
et énergie sont liés par l’équation qu'il note E = mc²
et qui permet d'affirmer qu'une petite quantité de matière peut
devenir une énorme quantité d'énergie… ce qui est le principe de la
bombe atomique.
En 1934, Frédéric et Irène Joliot-Curie s'aperçoivent que l'on peut transformer un élément stable en un autre instable, en le
bombardant de particules : c'est la radioactivité artificielle.
En
décembre 1938, Otto Hahn et Fritz Strassman comprennent que le noyau
d'uranium, bombardé de neutrons, se casse en deux en libérant
deux neutrons et une énergie considérable : l'énergie nucléaire.
En 1939, Frédéric Joliot comprend que les neutrons libérés, peuvent fracasser à leur tour d'autres atomes d'uranium : c'est une
réaction en chaîne. Celle-ci peut donner naissance à une grande source d'énergie.
Ainsi, dès 1939, tous les éléments scientifiques préalables à la bombe sont découverts.
LE PROJET MANHATTAN [3]
Le 2 août 1939, le président Roosevelt reçoit une lettre signée d’Albert Einstein
(reproduite plus loin) qui le met
en garde contre les recherches effectuées par les Allemands dans le
domaine de la recherche atomique et l'enjoint de lancer les Etats-Unis
dans l'aventure nucléaire. Cette lettre est en fait
écrite par un autre physicien, le hongrois Léo Szilard qui cherche à
mobiliser les alliés contre la menace nazie et convainc Einstein, dont
la célébrité est immense, de signer cet appel au
président américain. Une lettre qu'Einstein regrettera quelques
années plus tard, lorsqu'il verra la bombe atomique exploser à Hiroshima
et Nagasaki et qui en dira : " Ce jour-là,
j’aurais mieux fait de me couper les doigts de la main ".
Le 16 décembre 1941, neuf jours après l’attaque de Pearl Harbour, le président Roosevelt lance officiellement le
projet Manhattan.
Eté 1942,
la certitude est acquise d'une possibilité de réaction en chaîne ; les
recherches de base et leur
développement sont faits ; il n'y a plus qu'à établir un plan pour
créer une force opérationnelle. Le général Groves est alors placé à la
tête d'un groupe de techniciens et de savants qui compte
plusieurs prix Nobel.
Le 2 décembre 42, au-dessous des gradins de Stagg Field à l’Université de Chicago, une équipe menée par Enrico Fermi
initia la première réaction en chaîne nucléaire auto-entretenue.
Début 1943,
le projet Manhattan entre dans une nouvelle phase. Il s'agit de trouver
un élément qui soit capable de
servir à la création d'une arme qui utiliserait l'énergie libérée
par la fission nucléaire. Celui-ci doit répondre à deux critères : la
facilité de production et la possibilité d’en produire une
grande quantité. Deux voies se dessinent pour l'obtention d'un tel
élément :
- Celle de l'uranium. Niels Bohr a calculé qu'une seule variété (isotope) de l'uranium peut " fissionner ", il s’agit de
l'uranium 235. Mais celui-ci est rare : il faut le séparer du reste de l'uranium naturel 238U. L'obstacle paraît alors infranchissable.
- Celle du plutonium. Elément récemment découvert (inexistant dans la nature), il vient d'être obtenu en bombardant de
l'uranium.
Le
problème principal reste la rareté de ces deux éléments fissiles. On
construisit donc deux énormes complexes
industriels : l'un à Oak Ridge, dans le Tennessee, pour la
production d'uranium 235. L'autre à Hanford, près d'un petit village sur
les bords du Columbia, dans l'Etat de Washington pour la
production du plutonium. [4]
Depuis mars 1943,
date à laquelle fut mise en service le centre top secret de fabrication
de l’arme nucléaire à Los
Alamos (dans le désert du Nouveau-Mexique près de Santa Fé), une
équipe de savants, sous la direction de Robert Oppenheimer, se livre à
l'étude de l'architecture de la bombe elle-même.
L'Allemagne capitule le 8 mai 1945 mais le projet Manhattan n’arrive à son terme qu’en juillet
1945 [5].
Son succès confirme
les deux filières (uranium 235 et plutonium). Les savants se
trouvent donc en possession de deux types de bombe: l'une fonctionnant
grâce à l'uranium (celle qui sera larguée sur Hiroshima),
l'autre grâce au plutonium (produite en deux exemplaires : celle de
l'essai " Trinity " et celle de Nagasaki).
Le 16 juillet 1945,
alors que les
bombes Little Boy et Fat Man, destinées au Japon sont en route vers
l'île de Tiniam pour y être assemblées, on a mis en place au sommet
d'une tour, à Alamogordo, dans le désert " Jornado del
Muerto ", dans l’État du Nouveau-Mexique, un des trois engins déjà
fabriqués. L'explosion a lieu à 5 heures 30 du matin : un éclair
aveuglant, insoutenable jusqu’à 35 Km, suivi d'une énorme
détonation perceptible à 300 Km. L’explosion dégagea une force
équivalente à 21 000 tonnes de TNT, c'est-à-dire la puissance
destructrice de 2300 avions bombardiers B29 de
l’époque, mais concentrée dans le temps (une fraction de seconde) et dans l’espace.
En constatant la puissance phénoménale engendrée par la bombe, Oppenheimer se rappela l'un de ses passages préférés d'un texte
Sanskrit : " Maintenant je suis Shiva, le destructeur de mondes ". Plus prosaïquement, son adjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra : " À partir de
maintenant, nous sommes tous des fils de pute ". Rares sont les
scientifiques qui regretteront ce qu’ils ont fait. Dans un livre de
conversations sur ses souvenirs de Los Alamos,
Richard Feynman explique :" Après l'explosion, il y eut une formidable excitation à Los Alamos. Tout le monde faisait la fête (...). Je me souviens que Bob Wilson était assis là
et semblait broyer du noir. A quoi penses-tu lui ai-je demandé ? C'est terrible, ce que nous avons fait là, a-t-il répondu. "
Bob Wilson
était-il le seul physicien de Los Alamos, au soir du 16 juillet
1945, à broyer du noir ? Pas loin, si l'on en croit le physicien Richard
Feynman : " ce qui nous est arrivé à
tous est que nous avons commencé à faire quelque chose pour une
bonne raison. Ensuite nous avons travaillé très dur pour y parvenir,
avec plaisir, avec excitation. Et nous avons cessé de
réfléchir. Bob Wilson était le seul qui continuait à réfléchir ".
Il faut tout de même préciser que des scientifiques du projet
Manhattan, qui connaissaient les effets des deux bombes,
suggérèrent de larguer les bombes dans des zones isolées afin de
montrer la puissance des Etats-Unis en faisant le moins de victimes
possible. Mais cette éventualité avait été envisagée par la
présidence puis écartée.
En mai 1946 est créé le Comité d’Urgence des Scientifiques Atomistes, groupe anti-nucléaire dont tous les membres
avaient participé à la construction de la bombe, sauf Albert Einstein.
LES BOMBARDEMENTS D’HIROSHIMA ET DE NAGASAKI
HiroshimaHiroshima. La puissance dégagée est estimée à 13 000 t de TNT. C’est une énergie
transformée pour 85% en lumière, en chaleur, en souffle et pour 15% en radiations. Chacun de ces effets est dévastateur.
Dès les premiers millionièmes de seconde, l’effet aveuglant de l’éclair est suivi de l’énergie
thermique libérée qui transforme l’air en une boule de feu
atteignant un kilomètre de diamètre en quelques secondes au-dessus
d’Hiroshima. Au sol, la température atteint plusieurs
milliers de degrés sous le point d’impact. Dans un rayon d’1 km,
tout est instantanément vaporisé et réduit en cendres. Jusqu’à 4 km de
l’épicentre, bâtiments et humains prennent feu
spontanément ; les personnes situées dans un rayon de 8 Km souffrent
de brûlures au 3° degré (Voir les témoignages des docteur Michihiko Hachiya et Shuntaro Hida).
Après la chaleur, c’est au tour de l’onde de choc (troisième effet)
de tout dévaster : engendrée par la phénoménale
pression due à l’expansion des gaz chauds, elle progresse à une
vitesse de près de 1 000 km/h, semblable à un mur d’air solide. Elle
réduit tout en poussières dans un rayon de 2 km. Sur
les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 sont entièrement détruits.
Encore très méconnu en 1945, et spécifique à cette arme, le quatrième effet est celui des rayonnements
immédiats. Suivant la dose, il entraîne la mort en quelques
jours, quelques mois, ou des années après l’explosion. Les femmes
enceintes au moment de l'explosion donnent naissance à des
" bébés-monstres ". Le nombre de tués sur le coup est estimé à
80 000 ; dans les semaines qui suivirent, plus de 130 000 personnes ont
succombé. A la fin de 1945, le
total des morts est de 150 000. Le mémorial de la paix comporte
221 000 noms de personnes mortes des conséquences directes ou indirectes
de l'explosion, mais l'estimation
" finale " du nombre de morts se situe autour de 260 000 : ce
dernier chiffre concerne autant les suites de ces effets que ceux
produits par le cinquième effet, la
contamination par inhalation ou ingestion.
Le
nombre de victimes civiles peut être comparé à d’autres bombardements,
mais il porte une lourde charge symbolique,
liée à la vision d'Apocalypse de l'explosion et aux effets à très
long terme de l'exposition aux radiations. Leó Szilárd, qui était
impliqué dans le développement de la bombe, dira après la
guerre : " Si les Allemands avaient largué des bombes atomiques à
notre place, nous aurions qualifié de crimes de guerre les
bombardements atomiques sur des villes, nous aurions
condamné à mort les coupables allemands lors du procès de Nuremberg
et les aurions pendus. " [6]
NagasakiNagasaki.
Le 9 août 1945, le B-29 " Bockscar " piloté par Charles Sweeney, partît
de Tinian dans les îles Mariannes du Nord, en se dirigeant vers la
cible initiale, Kokura, qui était sous les nuages. Conformément à la
consigne " no see, no bomb " (" pas de visibilité, pas de bombe "),
Bockscar se dirige alors vers Nagasaki
où la couverture nuageuse se déchire, le temps pour le B29 de
larguer " Fat Man ", à 11h 02. Cette bombe est une bombe au plutonium, différente de celle d'Hiroshima (Uranium
235), mais semblable à celle de l'essai Trinity, réalisé à Alamogordo, le 16 juillet 1945 (20 000 tonnes de TNT).
Le
scénario d'Hiroshima se reproduit, à peine moins meurtrier. En effet, la
topographie de Nagasaki en fait un site plus ouvert alors
que les collines ceignant Hiroshima avaient amplifié les effets
dévastateurs de l'explosion. Une seconde grande ville du Japon vient
d'être rasée en quelques secondes.
Les conséquences du bombardement
La ville abritait, en 1945, 250 000 habitants, le nombre de tués sur le coup est estimé à 35 000 et le nombre des décès
directs et indirects se situe entre 75 000 et 130 000.
Le bombardement de Nagasaki est différent de celui d’Hiroshima par plusieurs aspects :
- L’arme utilisée étant plus puissante, les dommages proches de l’hypocentre ont été plus profonds.
-
L’habitat y étant plus diffus, la violence des incendies fût plus
limitée : ils mirent deux heures pour prendre des proportions
importantes et quelques heures pour se généraliser.
- L’arme étant un modèle au plutonium, la répartition des rayonnements gamma et neutroniques fut différente, ce qui a modifié la
fréquence et la nature des leucémies observées.
Etant
donné l’extrême toxicité radioactive du Plutonium, il serait logique
d’avancer que l’ensemble des effets radioactifs a du être
plus important qu’à Hiroshima, mais nous ne possédons pas de
documents à ce sujet …
LA SPECIFICITE DE LA BOMBE A, UNE HORREUR DANS L’HORREUR
" Je ne sais pas comment sera la 3ème guerre mondiale, mais je sais qu’il n’y aura plus beaucoup de monde pour
voir la 4ème. " A. Einstein
Les
plus brillants savants occidentaux collaborèrent à " l’invention de la
bombe A " sans pour autant que leur sens moral ne
les en détourne. Précisons tout de même ceci : le propre de la
technoscience est de produire des " objets " dont la puissance dépasse
l’entendement, la sensibilité et l’imagination
humaine y compris de leurs auteurs (Cf. leurs réactions devant la 1ère
explosion) ; précisons que l’entreprise Manhattan demandait justement
que ces savants mobilisent de manière
exclusive pour ce projet toute leur intelligence, leur énergie, et
même tout leur être ; précisons aussi que pour cette réalisation, des
lieux de résidence spécifiques avaient été construits
(des villes secrètes identiques en URSS et aux Etats-Unis, sorte de
campus de luxe où séjournaient également tous les personnels en charge
des infrastructures et les familles des uns et des
autres), les isolant ainsi de manière étanche du vulgum pecus, du
sens commun ou de la " common decency " comme l’écrivait George Orwell ;
précisons également que ce
" Manhattan project " était vécu comme la " conquête de la dernière
frontière scientifique " figure emblématique de l’aventure moderne avant
que la " conquête
spatiale " prenne le relais ; précisons enfin que les services
spécialement dédiés à leur encadrement de tous les instants (y compris
socio-affectif), rendaient difficile tout retour en
arrière. L’exemple à la fois unique et admirable du physicien Joseph
Rotblat, qui dût déployer des trésors de ruse pour s’enfuir de Los
Alamos, montre que cela était difficile, mais pas
impossible.
Tous les historiens sérieux sont maintenant d’accord là-dessus, l’argument des cinq cent mille vies nord-américaines
[7] soi-disant
épargnées par le largage de bombes Atomiques sur Hiroshima et Nagasaki
fût inventé de toutes pièces par le gouvernement des
Etats-Unis en direction de l’opinion publique nord américaine et
internationale, illustration supplémentaire du fait que l’histoire est
toujours écrite par les vainqueurs.
Pour le
dire très vite, le Japon n’a pas tant capitulé suite à
Hiroshima-Nagasaki que suite à la déclaration de guerre de Staline en
date du 8 août. Les japonais redoutaient plus que tout l’occupation
et les appétits territoriaux soviétiques lesquels étaient en train de
retourner leur immense armée vers ce front. Par ailleurs,
les Etats-Unis avaient compris que cette arme terrible devait être utilisée pour prouver aux yeux du monde leur supériorité militaire et scientifique.
Les
historiens ont qualifié le 6 août 1945 comme premier acte de la guerre
froide, ce qui est exact, mais largement insuffisant :
il s’est agi du premier acte d’une guerre déclarée à l’ensemble du
vivant et de la planète.
Si l’on
accepte cette réalité historique maintenant démontrée, réalité qui est
la clé de l’analyse (tout comme l’acceptation de
l’existence des camps de la mort est une des clés de l’analyse du
nazisme) alors, plus rien ne peut voiler le regard sur cet évènement.
Des conclusions incontournables en découlent.
Son premier caractère est qu'il constitue un crime contre l'humanité [8].
Mais il a été perpétré contre un peuple
dont l’armée et ses dirigeants politiques se sont eux-mêmes rendus
coupables de crimes du même type sur le continent et ont ensuite été
défaits. Ce qui explique en partie que cette
" leçon " de l’histoire ne pût être tirée par l’humanité, aucune
" institution " située du côté des vaincus n’étant en mesure d’en
supporter la mémoire, dans tous les sens du
terme.
Horreur dans l’horreur.
Les " hibakusha ", témoins vivants de la défaite et assimilés aux
pestiférés par peur d’une
contagion fantasmée, furent l’objet de la honte publique,
décourageant ainsi la plupart des rescapés de participer à un quelconque
travail de mémoire, témoignage dont on a vu avec, entre autres,
Primo Lévi, Robert Antelme, David Rousset, Marcel Ophüls,
l’importance capitale dans l’Europe intellectuelle de l’après-guerre et
encore maintenant. Alors que les oreilles étaient encore bien
bouchées à la cire, que les bouches étaient closes par des lèvres
pincées, que les mémoires étaient recousues au fil de la honte, que les
inconscients étaient forclos par de vieux barbelés
rouillés, ces artistes hors du commun nous ont permis de penser
l’histoire européenne d’après 1945.
Horreur dans l’horreur.
Les responsables japonais procédèrent à une " reconstruction " rapide
de la ville qui eût
pour but avoué d’effacer méticuleusement toutes les traces de ce
crime effroyable. Comme si à la place d’Auschwitz s’élevait maintenant
un mémorial design affublé d’une sorte de parc d’attraction
pour la paix. Plus de traces, telle est le credo commun à tous les
criminels et négationnistes. (Cf. ce qu’en dit précisément Günter
Anders).
Horreur dans l’horreur.
Peu connu aussi, est le fait que les Nord-américains ont activement
contribué à ce processus, soit
par leur " aide à la reconstruction " ; soit en menant sur place et
avec l’aide des autorités japonaises, des études militaires sur toutes
les conséquences de ce bombardement, y
compris quant aux suites médicales des radiations nucléaires pour
les générations à venir. Mais " la raison d’Etat " primant sur les
souffrances de milliers d’innocents, celles-ci
furent versées dans des archives secrètes nord-américaines,
accessibles seulement depuis peu. Ceci n’était d’ailleurs que la suite
des essais effectués, à leur insu, sur des patients dans une
aile de l’hôpital de Rochester : on inoculait du plutonium à ces
" Human products " (ce fût leur nom de code) à l’aide de seringues
spécialement conçues [9].
Horreur dans l’horreur.
Contrairement à ce qui s’est produit pour la Shoah [10], vainqueurs et
vaincus se sont associés pour
aveugler l’humanité, avec succès jusqu’à ce jour, sur la nature des
crimes commis à Hiroshima et Nagasaki. Le travail de mémoire fût ainsi
forclos à plusieurs titres, de la même façon que l’on
tente d’enfermer un déchet radioactif : on sait pertinemment qu’on
en repasse la dangerosité aux générations suivantes.
Horreur dans l’horreur.
Le largage des bombes atomiques fût non seulement un crime contre
l’humanité, mais fait nouveau, un
crime contre la Nature, ce que l’on appellerait aujourd’hui un
Ecocide. Le refoulement de cette catastrophe systémique pour l’écosphère
ne sera pas non plus sans conséquences pour l’avenir de
l’humanité et la manière d’en écrire l’histoire. Les peuples qui
refusent leur histoire la traînent comme un boulet.
Horreur dans l’horreur.
Alors que cette " invention " était porteuse de la mort généralisée du
vivant sur la
planète, les gouvernements et la plupart des médias occidentaux ont
tout fait pour la recouvrir d’un épais manteau d’admiration et de
dévotion devant le génie et la puissance des chercheurs, se
prosternant devant la science, la technique, l’industrie, les
militaires et la nation nord-américaine. Un nouveau dieu est apparu ─ à
la puissance inquiétante certes, comme tous les dieux – et à
la gloire duquel de nouveaux hymnes devaient être forgés sur le
champ. Entre les deux blocs idéologiques de cette époque, Joseph
Rotblat, Albert Einstein, Bertrand Russel, ultra minoritaires,
furent parmi ceux qui tentèrent de faire entendre la vérité.
On a beaucoup insisté, et à juste titre, sur le travail de mémoire [11] nécessaire
pour maintenir vivant le souvenir de ceux qui sont morts dans les camps
nazis. Mais le travail concernant Hiroshima et Nagasaki [12] rencontre
de
puissants obstacles : ceux qui ont été érigés par les
ex-belligérants eux-mêmes en s’excluant, dès leur création, des
poursuites possibles de toute juridiction internationale ; ceux mis
en place par les autres puissances atomiques, qui voudraient effacer
toute trace non seulement des victimes, mais du danger que cette
technoscience fait courir à de tout le vivant sur notre
planète.
Aujourd’hui est venu le temps de dire que les
bombardements d’Hiroshima, de Nagasaki et les soixante-cinq millions de victimes [13] de l’industrie nucléaire doivent faire l’objet d’un
travail de mémoire au moins aussi important pour l’avenir de notre humanité.
Sources :
A voir :
- Le documentaire d’une heure en vidéo sur le bombardement atomique " Rain of ruin "
qui bien qu'entièrement aligné sur les thèses officielles américaines
(millier de vies américaines sauvées, refus du Japon de se rendre etc.)
est très instructif
sur la préparation et les infrastructures mises en place pour
arriver aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.
- Le DVD " La bombe " de Peter Watkins, tourné en 1965.
- « La face cachée d’Hiroshima » De
Kenichi Watanabe, 1h46. Diffusé le 12 octobre 2011 par France 3 dans
l'émission « l'histoire immédiate ».
http://www.point-zero-canopus.org/archives/videos/nucleaire-militaire/hiroshima-nagasaki-ww2/662-la-face-cachee-d-hirhoshima. Le meilleur film existant sur la genèse
du nucléaire !
[1] Voir à ce sujet « La face cachée d’Hiroshima » De Kenichi Watanabe, 1h46. Diffusé le 12 octobre 2011
par France 3 dans l'émission « L'histoire immédiate ». http://www.point-zero-canopus.org/archives/videos/nucleaire-militaire/hiroshima-nagasaki-ww2/662-la-face-cachee-d-hirhoshima
Le meilleur film existant sur la genèse du nucléaire !
Le meilleur film existant sur la genèse du nucléaire !
[2] Il faut avoir en tête que seule l’approche scientifique pouvait découvrir, puis utiliser la constitution de la
matière comme forme « d’énergie » : aucune technique humaine n’aurait été en mesure de le faire.
[3] http://www.a525g.com/histoire/projet-manhattan.php
http://nezumi.dumousseau.free.fr/japon/nagasaki.htm
http://archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/seconde_guerre_mondiale/clips/11771/
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/raisons.html
http://nezumi.dumousseau.free.fr/japon/nagasaki.htm
http://archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/seconde_guerre_mondiale/clips/11771/
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/raisons.html
[4] Pap NDIAYE, Du nylon et des bombes : Du Pont de Nemours, le marché et l'État américain, 1900-1970, Belin, "
Histoire et société/Cultures américaines ", 2001
[5] Addendum
personnel à la fable de Günter Anders :
Si la bombe avait été prête en janvier 45 selon le programme
initial, aurait-elle été lancée sur Berlin ou sur Dresde ? Quelles
justifications aurait-on invoqué alors ?
[7] « Hiroshima/Nagasaki : une vérité
inavouable », Le Nouvel Observateur, semaine du 28/07/2005.
En
confrontant les archives japonaises, américaines et russes, l’historien
américain Tsuyoshi
Hasegawa démontre que " rien ne justifiait le recours à l’arme
nucléaire en août 1945 ". Tsuyoshi Hasegawa, directeur du Centre d’Etude
de la Guerre froide à l’université de Santa
Barbara en Californie, a publié " Racing the Enemy " (Harvard
University Press).
[8] Il faut faire l’effort d’aller voir la définition établie pour Nuremberg et son évolution dans le droit
international.
[10]
L’usage de ce terme est " une facilité de langage " qui ne doit pas
faire oublier que les opposants politiques, les
" malades mentaux ", les tziganes et tous ceux qui furent
catalogués comme " déviants ", furent tout autant victimes du nazisme
que les juifs.
[11] Les médias et les " piètres penseurs " ont essayé d’en faire un devoir de mémoire pour en désamorcer les
leçons, le muséifier puis le transformer en " marronnier " de magazine.
[12]
Quelques exemples : pourquoi ne parle-t-on jamais de la spécificité du
bombardement au plutonium de
Nagasaki et de ses effets, alors que l’on sait très bien que ce
radioélément est autrement plus dangereux que l’uranium ? Par ailleurs,
la contamination de la faune, de la flore, des
eaux de surface et souterraines, de la mer avoisinante
n’auraient-elles pas existé ? Qui connaît Wilfred Burchett, journaliste
australien indépendant qui fût forcé par les militaires
états-uniens de renier publiquement ses premiers articles
décrivant les horreurs d’Hiroshima ? Et le rôle des trois commissions
militaires qui débarquèrent en septembre 1945 à Hiroshima
et Nagasaki ?
[13] Cf. le rapport du CERR (ou CERI en anglais). http://www.euradcom.org/
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