Jocelyne cite Pensez Bibi à propos de Lordon, et celui-ci cite à son tour Spinoza (1632-1677) en son "Traité Politique".
«Il n’est pas étonnant que la plèbe n’ait ni vérité ni jugement, puisque les affaires de l’Etat sont traitées à son insu, et qu’elle ne se forge un avis qu’à partir du peu qu’il est impossible de lui dissimuler. La suspension du jugement est en effet une vertu rare. Donc pouvoir tout traiter en cachette des citoyens, et vouloir qu’à partir de là ils ne portent pas de jugement, c’est le comble de la stupidité. Si la plèbe en effet pouvait se tempérer, suspendre son jugement sur ce qu’elle connaît mal, et juger correctement à partir du peu d’éléments dont elle dispose, elle serait plus digne de gouverner que d’être gouvernée».
J'aime bien cette façon de désarçonner l'accusation de "conspirationnisme". Oui, sous les ors de la République, comme dans les brain drains des ministères ou de leurs officines d'application, se prennent des décisions dont le public n'a pas la teneur. Qu'on se rassure, c'est normal : tant de petit choix, voire de choix importants, doivent se prendre sur l'heure, dans l'urgence ou avec un délai court, que rendre compte de tous ces actes prendrait tout le temps des décideurs, et et celui qui devraient en lire les rapports. Ce serait absolument invivable, et c'est même pourquoi le peuple délègue ses pouvoirs à des fonctionnaires qui, en principe en leur âme et conscience, doivent gérer, gérer, gérer. Et à des Représentants du Peuple qui doivent décider de quelle façon telle ou telle chose doit être gérée. Chose plus remarquable, toutes leurs décisions sont publiées, et leurs débats parfois télévisés en direct.
En revanche, ne sont bien entendu pas mises au grand jour les tractations d'avant décision, prises autour d'un verre entre politiciens, ou entre ceux-ci et des représentants de forces pressions (l'anglicisme à la mode est lobby, institutionnel dans les pays anglo-saxons où il n'a pas la même forme, honteux chez nous où le climat culturel et légal est différent).
conspiration des nounours |
Ce contexte particulier alimente les accusations de conspiration. Elles sont à la fois justifiées, et pas justifiées. Pas justifiées ? Un métallurgiste est normalement plus compétent à parler de son cœur de métier qu'un dentiste. Justifiées ? Il peut apporter des arguments fallacieux pour l'avantager, lui, au détriment de la communauté. Il peut aussi inciter le parlementaire avec lequel il dialogue à partager son point de vue en lui faisant miroiter des avantages personnels, ce qui constitue une forme de corruption. Il y a tout cela.
Si les métallurgistes (restons dans le milieu, très puissant même aujourd'hui, des Maîtres de Forges) réussissent à s'entendre pour parler d'une seule voix à de multiples décideurs, il y a bien d'une certaine façon conspiration. Est-ce pour autant illégal ? Non. Souhaitable ? Bien moins.
Quand les intérêts économiques s'allient à des intérêts philosophiques, voire religieux, en revanche, la situation peut devenir très délicate. Alors la raison peut se retrouver sous la dépendance de pulsions violentes. Des considérations totalitaires, comme le malthusianisme ou le goût du Pouvoir, ou des concepts s'apparentant de près ou de loin au racisme, peuvent prendre le pas sur le désir de gérer au mieux les affaires de tous. Sans être une conspiration, cela peut être une convergence, provisoire ou non, d'intérêts.
Après, ce qu'on appelle la Trilatérale, le club Bilderberg ou le dîner du Siècle, ne sont que des occasions pour ces gens qui ont de telles ambitions de se retrouver, de discuter, d'échanger des idées, et parfois de s'entendre pour des actions communes. C'est à la fois beaucoup, et en même temps bien moins que ce qu'en peuvent dire des illuminés qui en font le Mal absolu. Pourquoi ne pas se dire que les intérêts des Grands (ceux qui se prennent pour tels) sont nécessairement en partie contradictoires ? Il ne peut y avoir entre eux que des alliances de circonstances, entrecoupées (ou l'inverse) de conflits sanglants.
Des conspirations ? oui. LA conspiration ? Non.
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