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vendredi 1 juin 2012

LE TEMPS DE LA DEMERDE ….

Une amie vient de partir. Une amie exemplaire. Elle a connu la fin de la guerre, et puis vingt métiers, des plus émouvants aux plus saugrenus. La période la plus difficile se situa en Algérie, où elle était civile, mais avec des rapports avec l'armée qui devait savoir où elle était, ne serait-ce que pour ne pas lui tirer dessus par erreur. Pour rendre hommage au courage avec lequel elle a toujours affronté la vie, je reprends ici l'un de ses derniers posts, racontant son enfance. A bientôt, La Pecnaude !


LE TEMPS DE LA DEMERDE ….

Posté par lapecnaude le 5 janvier 2012



            En ces nouveaux temps où l’on voit se profiler à l’horizon de notre avenir la disette et les jours de « vaches maigres », il vaut mieux se préparer à apprendre ou réapprendre le « système démerde » que nous pratiquions allègrement dans ma jeunesse.

« La dèche », les fins de mois difficiles, de celles où il fallait soigneusement explorer tous les tiroirs de la maison afin de trouver de quoi acheter le paquet de Celtique du père, j’ai connu cela durant presque toute mon enfance, ambiance de fin de guerre, de « réfugiés » dans son propre pays …
Très tôt, vers mes 8, 10 ans j’ai compris qu’il me fallait faire quelque chose et j’ai exploité les possibilités de mon entourage, le commerce, activité intéressante et vivante m’a attirée, je me suis créé mes jobs et ma foi les clients sont venus presque par obligation. Çà ne rapportait pas gros, mais j’arrivais à me payer mon « Tarzan » chaque semaine (double page, illustration de Burroughs ?) et mettre « à compte » chez mes employeurs de quoi acheter le tissu nécessaire pour faire la « robe du dimanche » de l’année et des fois, une paire de chaussures avec. On ne me payait pas lourd, c’était normal.
Au départ, mon travail consistait à arroser les plantes grasses de la fleuriste d’en face, la Marie-Louise, puis lorsqu’il y avait de la presse, à monter les fleurs au fil de fer sur des clous pour les piquer sur les formes en paille pressée, ce qui donnait les « coussins fleuris » du 14 juillet et autres fêtes, les enterrements aussi. Pour aller plus vite dans les arrosages, tant pis si cela piquait, je mettais les cactus dans un panier à salade et hop 10 d’un coup, moins fatigant quoi.
Plus tard, je suis passée à l’étalage extérieur, exposer les plantes, les soigner, les vendre. Gros rapport à la Toussaint, en ai-je vendu des chrysanthèmes à grosses tête et des cinéraires bleu intense. On s’étonnait de voir rester les cyclamens roses tendre, si fragiles que c’était une misère d’aller les faire geler sur les tombes. J’argumentais, je choisissais presque pour les clients (qu’est-ce que çà peut chipoter une mémé qui ne s’occupe de la tombe familiale qu’une fois par an !), puis je les accompagnais à la caisse. Vite fait, bien fait, là j’étais « au pourcentage », 5% s’il vous plait, plus tard j’ai réclamé plus.
Avant le cimetière, il y avait les enterrements. Faut dire qu’en ces années, j’ai vu beaucoup plus de personnes agées disparaître que de jeunes, il y avait eu la précédente et il y avait l’Indochine, alors pas souvent de jeunes, moins de voitures peut-être. Pour moi, plus le client était socialement important, plus il était intéressant. Les sentiments … je n’en avais guère à force d’entendre  » ben, c’est un bon âge pour mourir », il m’était évident que quand on enterrait un ancien Maire ou un médecin retraité, la population émue l’accompagnait avec … des fleurs. J’y ai appris le cynisme en prenant les commande  » avec beaucoup de vert, surtout », le coussin étant compté au nombre de fleurs, le feuillage consistant en verdure arrachée au lierre des ruines du chateau ou aux cyprès du jardin ne comptait pas, mais les clients voulaient bien compatir, mais pas pour trop cher quand même !
Pour moi, je gagnais sur deux tableaux, à monter les fleurs et les feuillages au temps passé, et aussi, là c’était plus intéressant, en effectuant le portage des produits. Je m’arrangeais pour les amener une par une au fur et à mesure de leur création et là commençait un autre boulot. Fallait avoir la manière, se frotter les yeux avant d’arriver afin d’avoir un « air de circonstance » (les yeux rougis, c’est mieux), murmurer le nom du donateur même s’il y avait une carte, histoire de dire « je suis au courant, je participe … » et ne pas oublier le pourboire à chaque fois. Certains enterrements ont été de belles affaires pour moi.

   Ce qui m’embêtait parfois, c’était dans le cas des femmes. Ma mère étant la couturière du pays, je les avais pratiquement toutes vues en petite tenue lors des essayages … J’étais bien compatissante, surtout quand on me disait « Tu l’as bien connue, viens lui dire au revoir … », là je la revoyait avec son corset armé de baleines et de jarretières à boutons et une combinaison en indémaillable -toujours rose saumon -- essayant de cacher les bourrelets qui tentaient de s’échapper de partout Je sentais presque cette odeur de suri agrémenté d’un zeste de sueur et d’un halo d’Eau de Cologne … Le pire du pire, c’est quand un jour on m’a dit « elle t’aimait bien, tu sais, viens lui donner un dernier baiser … » Ils l’ont vraiment bien payé le bisou !
Puis il y a eu Madame Lambert, elle devait approcher les 90, 92 ans, elle était vieille, c’est rien de le dire, mais elle ne voulait pas vivre avec sa fille,  La Marigadigue. Chaque jour vers 13 heures je lui portais ses repas dans ces sortes de gamelles à étages en aluminium et chaque jour elle me donnait un sous, un de ces sous troués qui n’avaient plus cours depuis longtemps et Marigadigue me les échangeait contre des francs, au cours bien sûr. Cela faisait vraiment une trotte d’environ deux kilomètres aller-retour et je n’avais pas le temps de trainer pour être à l’heure au Collège. La dernière fois, c’était pendant les vacances, au mois d’août, en pleine chaleur, trois aller-retour parce que Marigadigue partait 3 jours chez son fils. Quand elle est revenue, j’ai repris la navette et suis restée devant la porte … elle habitait une petite maison entourée d’un jardin au bord de La Blaise. J’ai demandé aux voisins et l’un a senti comme une odeur de gaz, tout le monde s’est esbigné en vitesse et l’un d’eux a sauté sur son vélo pour prévenir les gendarmes … Madame Lambert avait oublié de fermer le gaz.
Pour moi, ce fut le pire des enterrements, non seulement je l’ai fait gratis, j’aimais bien Marigadigue, mais comme récompense celle-ci m’a demandé -insigne honneur- de porter la croix derrière le corbillard !!!  D’ordinaire c’était la charge d’un des enfants de choeur, mais j’ai supposé là une certaine malignité du curé qui avait, certes, quelques broutilles à me reprocher … Non seulement cet engin pesait autant qu’un âne mort, mais le chemin jusqu’au cimetière en passant par l’église était d’une longueur ! Qui plus est, tenant la croix à deux mains je n’avais pas la possibilité, comme l’ensemble des gens formant le cortège, de porter sous mes narines un mouchoir bien imbibé d’eau de senteur !! 
En dehors des mois les plus froids, chaque mercredi soir je préparais des bouquets de fleurs coupées que je chargeais sur un chariot-banc d’étalage pour aller « aux Halles » les vendre le lendemain martin, jeudi jour de marché. J’étais « au pourcentage » à 10%. C’est là que j’ai commencé à vraiment vendre et à apprendre les ficelles du métier de camelot.
J’ai eu d’autres ressources, bien sûr, mais j’étais heureuse car j’étais libre et çà, çà n’avait pas de prix pour moi.

3 commentaires:

  1. Très bonne idée de faire connaître ce beau récit d'enfance, si émouvant ! D'autant plus que c'est, je crois, le dernier texte qu'elle ait publié sur son blog "La Pecnaude".
    On constate que les vieux "retombent dans l'enfance", péjorativement. Mais c'est positivement qu'il faudrait le constater, comme "une boucle qui se boucle" voir mieux, un anneau de Moebius (?) où se balader pour l'éternité utopique !

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  2. j'étais friand de ses textes. elle avait du style et un humour ravageur.

    Toutes mes condoléances à ses proches.

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