Vu sur Le Grand Soir, voici un manifeste exemplaire, face à un système que l'on voit appliqué (avec plus ou moins de vigueur) partout dans le monde désormais. Respect à ceux qui luttent pour défendre leurs compatriotes et tous les citoyens du monde. Cette lutte est d'autant plus méritoire, que le plus souvent les simples mortels n'en sont même pas avisés.
13 juin 2012
Par cohérence et dignité.
Enrike Kuadra Etxeandia
Lettre
ouverte de Enrike Kuadra Etxeandia , prisonnier politique du Parti
Communiste Espagnol reconstitué, à Jorge Fernández Díaz, Ministre de
l’Intérieur du Gouvernement espagnol à l’occasion de l’annonce du plan
intégral pour faciliter la réinsertion des terroristes.
Monsieur le Ministre,
Récemment, vous avez fait savoir que "les prisonniers de l’ETA, GRAPO
et d’autres organisations politiques pouvaient bénéficier d’une
réinsertion à la condition expresse de se dissocier de leur groupe
terroriste », vous avez ensuite détaillé le parcours du combattant
nécessaire pour mériter cette réinsertion, pour être digne de la
générosité magnanime de votre gouvernement et autres « palmes
politiques ». Face à cette annonce et en tant que bénéficiaire potentiel
de cette mesure, je me dois de vous répondre par cette lettre ouverte.
Je l’écris également au titre de testament politique puisque vous
m’avez condamné à mort sans faire de bruit Monsieur le Ministre,
reconnaissons l’évidence. Pour ma part, j’ai intégré cette vérité.
Je vais avoir 62 ans, je viens de subir une opération pour un cancer
et j’ai la santé hésitante. Voilà 16 ans que je suis emprisonné en
Espagne et il me reste 14 ans à purger sans tenir compte de
l’augmentation liée à l’application de la doctrine Parot , auxquels il
faudra plus que probablement ajouter la révision de la perpétuité.
Vous voyez, Monsieur le Ministre, je n’y arriverai pas. J’essaierai
de résister le plus possible, hissant le drapeau de la cohérence et de
la dignité, de l’exemple à suivre pour les générations futures de
révolutionnaires qui demandent qu’on leur montre le chemin. C’est la
dialectique de la vie.
En vous écrivant ces quelques lignes, je ne peux éviter de jeter un
regard rétrospectif sur le processus de compromis social et politique
qui a marqué mon existence.
Il y a 43 ans, lorsque je me suis engagé dans la lutte syndicale aux
Hauts fourneaux de Viscaye, je n’aurais jamais imaginé que ma vie
prendrait ensuite cette tournure. C’est en 1973 que j’établis le contact
avec l’Organisation des Marxistes Léninistes d’Espagne qui travaillait
alors à la reconstruction du Parti Communiste, opposée au Parti
communiste réformiste de Santiago Carillo. Le Congrès de juin 1975
donnerait naissance au Parti Communiste d’Espagne (reconstitué), dans
lequel je m’engage en tant que militant.
Le 3 mars 1976 alors que je m’adresse à mes camarades des Hauts
fournaux de Vizcaye lors d’une assemblée à l’extérieur de la fabrique de
Ansio, nous apprenons que la police vient d’assassiner 4 ouvriers à
Vitoria. C’est la goutte qui fera déborder le vase de la répression dont
étaient victimes les travailleurs et le peuple en général. Notre parti
appelle à la grève générale et invite à « chercher des armes et
apprendre à les manipuler ». Quelques mois plus tard, les Groupes de
Résistance Antifascites Premier Octobre (GRAPO) faisaient leur apparition
publique. Ces faits auront une transcendance historique dans le devenir
du processus révolutionnaire en Espagne.
D’un côté, le Congrès reconstituant du Parti ratifie la thèse selon
laquelle « le monopole financier tend à la réaction politique, à la
suppression des libertés et non à la démocratie ». Conséquent avec cette
thèse, le parti maintient que « devant la pression des masses ouvrières
et populaires, l’oligarchie a mis en marche le changement selon ses
vieilles méthodes de domination ». Ils avaient juste nettoyé la façade
de l’édifice de l’Etat du vieux régime à travers leur réforme politique
« changeant quelque chose pour que tout reste pareil » ce qui rendait
impossible toute changement en profondeur dans les causes économiques,
politiques et sociales qui étouffaient les familles de travailleurs et
opprimaient les peuples d’Espagne. A ce jour, les faits objectifs nous
ont donné raison. Cette imposture politique qu’impliquait la transition
vers la « démocratie » était visible sur les calicots des dernières
manifestations populaires : « ceci n’est pas une démocratie, c’est une
dictature ».
Par ailleurs, nous étions conscients qu’en nous situant à la tête du
mouvement de résistance populaire, en offrant notre soutien moral et
politique au mouvement guerillero, nous serions le point de mire de la
colère répressive de l’Etat. Ses conséquences ne se firent pas attendre.
Les limiers de votre ministère reçurent des ordres précis et se sont
armés en conséquence pour ce qui seront les années de plomb, de longues
nuits et jours passés dans les commissariats et les casernes de la
« démocratie » à peine rôdée, pendant lesquels plus d’un y est resté,
tel España Vivas, sympathisant du PCE(r) que vous avez tué en le rouant
de coups. Le 20 avril 1979, vous avez assassiné Delgado de Codex,
Secrétaire général, lors de l’arrestation de l’ensemble du Comité
central à la sortie du II Congrès de parti. Deux mois plus tard,
Francisco Javier Martín Eizaguirre, Président du Parti, tombait à son
tour. Ce furent les premiers d’une longue liste.
Entretemps, en 1977, le Tribunal Suprême, antre du franquisme et de
l’injustice, refuse d’appliquer l’amnistie politique à plusieurs
militants des GRAPO et du PCE(r). C’est le prélude à d’autres obstacles
construits par ce tribunal pour les prisonniers politiques.
La vague de répression lancée contre le parti conduit beaucoup de
militants et de sympathisants en prison où nous ne seront pas à l’abri
de l’orgie répressive. Nous sommes transférés par petits groupes à la
prison d’extermination de Herrera de la Mancha et soumis à un régime
pénitentiaire extrême. En dernier recours, nous décidons de mener une
grève de la faim pour dénoncer et résister à cette situation. Le 19 juin
1981, Crespo Galende « Kepa », militant du parti, trouve la mort après
90 jours de grève de la faim. C’est le premier, il y aura d’autres
grèves et d’autres morts et blessés.
Complémentairement à cette campagne de harcèlement et
d’anéantissement à l’encontre de notre mouvement, vous avez invité vos
plumitifs, désignés parmi le terrarium de votre ministère, à donner des
instructions visant à nous isoler par le silence et la manipulation. Et
vous continuez obstinément dans cette voie.
L’objectif de cette stratégie de la terreur n’est autre que
l’élimination du parti. Il ne fallait permettre sous aucun prétexte que
la classe ouvrière nous identifie comme son organisation d’avant-garde,
son parti politique. C’était le temps où votre ministère était investi
par la portée de phalangistes des Martín Villa, Rosón, … Ce dernier
affirmait que « sans en finir avec le PCE(r), on ne pourra pas penser à
l’élimination des GRAPO ».
Nous savions que cette bataille était démesurée, mais nous ne
pouvions pas nous esquiver si nous voulions être ce que nous
revendiquions. Nous ne pouvions pas trahir notre classe et notre peuple y
nous convertir en imposteurs politiques.
Voilà, Monsieur le Ministre, nous continuons, exsangues, avec plus de
blessures de guerre qu’un vieux chien bâtard ; « grapifiés », comme le
propagent vos plumitifs en se référant à notre faiblesse organique. Près
d’un demi siècle de bataille prolongée nous a privé de quelques uns de
nos meilleurs combattants, mais nous avons aussi pu rejeter la scorie du
creuset où se fondait l’acier militant dans lequel se forgeait la lutte
des classes, nous avons souffert et nous continuons à souffrir des
sacrifices et des pénalités inimaginables, mais nous n’avons jamais
cessé de tisser, la main douce et ferme, la ligne politique, le
programme et les objectifs du processus révolutionnaire à court, moyen
et long terme.
Vous nous demandez, Monsieur le Ministre, avec la loquacité qui vous
caractérise, de renier notre passé, notre présent et notre futur. Vous
nous dites que l’exploitation du capital n’existe plus, que c’est le
seul système possible et dès lors la fin de l’histoire. Nous disons,
Monsieur le Ministre, avec notre humble connaissance de l’économie
politique et du matérialisme historique, que le système capitaliste est
caduque et qu’il conduit l’humanité à la barbarie et à l’esclavage
salarié. Le système capitaliste ne peut survivre sans l’extraction de la
plus value de la force de travail et l’appropriation privée des moyens
de production. Pour bien nous faire comprendre : le capital n’est rien
sans les travailleurs, mais les travailleurs sont tout sans le capital.
Monsieur le Ministre, les vôtres nous disent que les droits sociaux
et le droit du travail sont archaïques, que le progrès et la modernité
c’est la compétitivité et la loi du profit. Ils nous disent que la
protection sanitaire et l’éducation gratuite sont des utopies du
communisme, que le droit à un travail, un salaire et un habitat décent
atrophient la flexibilité et la liberté d’exploitation du marché du
travail ou immobilier et que ce n’est pas réaliste.
Ils nous disent que les peuples opprimés n’ont aucun droit à
l’autodétermination, c’est-à-dire, le droit de décider de leur destin.
Que ce concept fut inventé par un certain Lenine pour embobiner les
peuples opprimés par l’empire tzariste et non comme expression politique
d’un droit démocratique.
Ils nous disent aussi que la paix est le reflet terrestre de la
divinité, dispensée à l’humanité par les flottes navales, les avions et
les armées impérialistes.
Pour terminer, Monsieur le Ministre, vous nous demandez que nous
embrassions l’infamie et abandonnions nos principes et nos valeurs de
classe, collectifs et solidaires, exempt d’intérêts personnels. Ce n’est
qu’ainsi que vous consentiriez à nous ouvrir un peu la porte de votre
régime putride, de votre système parlementaire bourgeois où rien n’est
décidé par le peuple et pour le peuple.
Et pour nous aider dans notre réflexion, vous et votre gouvernement
continuez à nous assener à des fins pédagogiques que « la lettre
s’apprend mieux avec du sang ». Nous voici, dispersés, isolés de nos
compagnons, camarades, familles et amis, soumis à des mesures
d’humiliation qui nous empêchent de communiquer avec eux et de mener une
vie digne en prison. Oui, je sais, Monsieur le Ministre, je sais que
c’est la loi, la vôtre et celle de vos coreligionnaires bien sur, la
même à laquelle est soumis l’ensemble de la société et que le bipartisme
qui nous gouverne modifie à l’envi.
Je regrette, Monsieur le Ministre, merci pour votre effort
rédempteur, mais je ne peux renier mon existence, accepter votre
proposition. Par cohérence et dignité politique, nous ne pouvons jeter à
l’eau un seul de nos drapeaux, ils sont essentiels à nos principes, ils
sont la clé de notre classe et de notre peuple, qui ouvrira la porte du
futur.
Enrike Kuadra Etxeandia
Prison de Daroca
Prisonnier politique du PCE(r) y des GRAPO.
Traduction : Sofía del Valle à qui le lecteur voudra bien
pardonner les éventuelles erreurs de traduction de particularismes
locaux ;-)
URL de cet article 16942
http://www.legrandsoir.info/par-coherence-et-dignite.html |
tu m'as fait découvrir cette réalité là de nos démocraties...
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