Nouvelle année, mais dangers toujours aussi présents. Dans deux mois nous "célèbrerons" le triste second anniversaire de la pire pollution par l'homme de la planète entière, par manque de prévoyance. Pollution d'autant plus dangereuse, qu'elle est parfaitement insidieuse, et que sa source n'est aucunement tarie. Il faut rappeler toujours que les doses minimes de radiation, considérées officiellement comme "acceptables", ne sont pas pour autant anodines. Jamais. Un cancer peut se voir déclenché par une exposition dite "négligeable" - ou pas. C'est une question de "chance".
Merci à Pierre Fétet, en ce début d'année, de nous rappeler les enjeux de cet accident majeur, et de ses conséquences. Il nous faudra penser également que pratiquement toujours, les autorités cachent ou minimisent ce genre d'accident, comme au complexe Mayak près de Novosibirsk, en 1957. Les gains des financiers, à cette échelle, sont tellement mesquins : eux-mêmes, ou leurs enfants si pour eux ils ont une "valeur", risquent de ne pas en "profiter". Funeste inversion des valeurs.
Jeudi 3 janvier 2013
Bientôt
22 mois se sont écoulés depuis mars 2011, date à laquelle la
catastrophe de Fukushima a commencé.
2011-2013… Les évènements précis ont tendance à s’effacer de nos
souvenirs. On se souvient pourtant, il y a eu des explosions dans une
centrale nucléaire du Japon. Un territoire a été évacué. Le
nom de Fukushima est à jamais marqué dans les mémoires sans que
certains ne sachent vraiment à quoi il correspond exactement. Est-ce un
territoire ? une ville ? seulement le nom d’une
centrale ? un évènement ? Il y a quelque chose d’effroyable dans ce
souvenir diffus et précis à la fois, dans ce nom de Fukushima. Notre
corps frissonne encore de ces moments d’angoisse
de mars 2011. On se souvient surtout de la terreur qu’avaient
provoquée ces explosions, de la fuite des occidentaux hors du Japon, de
l’inquiétude mal cachée des dirigeants et des scientifiques.
On est encore mal à l’aise avec ces souvenirs embarrassants, car il
persiste en nous un doute, un énorme doute, sur ce qu’il s’est passé
réellement et sur ce qui se passe encore aujourd’hui. Pour
dissiper ces interrogations, il est nécessaire de revenir sur ces
évènements régulièrement, de prendre du recul, de faire le point.
Surtout ne jamais banaliser. C’est nécessaire, car ce qui est
arrivé en mars 2011 est la catastrophe nucléaire la plus importante
jamais arrivée sur cette terre, mais c’est aussi peut-être salutaire car
comprendre ce qui se passe, affronter la réalité, même
inconcevable pour beaucoup il y a seulement 2 ans, permet de
dépasser ses propres angoisses et aller de l’avant pour que cela ne
recommence pas ailleurs.
Fukushima signifie littéralement
« île du bonheur ». La centrale qui a été touchée par le séisme, puis
par le tsunami est appelée Fukushima parce qu’elle
est située dans la préfecture de Fukushima, qui est un territoire
équivalent à une petite région française. Elle est aussi appelée Daiichi
(= n°1), car il y a une autre centrale, Fukushima Daini
(= n°2), à 12 km au sud de la première. Mais Fukushima est aussi le
nom d’une ville située à environ 60 km de la centrale de Fukushima
Daiichi. Aujourd’hui, Fukushima est surtout connu pour la
catastrophe nucléaire en cours, et les dictionnaires encyclopédiques
devront plancher sur une définition beaucoup plus large, englobant à la
fois les évènements factuels du mois de mars 2011 et
leurs conséquences sanitaires, démographiques, politiques et
économiques sur le long terme.
Que s’est-il passé le 11 mars 2011 ?
(ou petit résumé pour ceux qui n’auraient pas suivi ?)
Tout a commencé le 11 mars 2011 à
14h46 avec le séisme le plus fort jamais enregistré au Japon, au large
de Sendai. Ce tremblement de terre de magnitude 9 a été
ressenti à la centrale de Fukushima Daiichi moins d’une minute
après, provoquant l’arrêt automatique des trois réacteurs en activité à
ce moment-là, les réacteurs n° 1, 2 et 3. Le séisme a
également fait des dégâts immédiats, créant des fissures dans le
béton, déformant les murs et les portes, bousculant les kilomètres de
tuyauteries, ce qui a conduit par exemple à une fuite
d’eau au 4ème étage du réacteur n°1. Cet évènement a été considéré
comme un accident de perte de réfrigérant primaire, bien avant que la
vague n’atteigne la centrale. Le séisme a aussi été
responsable de la perte de l’alimentation électrique provenant de
l’extérieur, ce qui a entraîné la mise en route des générateurs diesels
de secours. En outre, la détection de xénon 133
immédiatement après le séisme prouve que la centrale japonaise
rejetait déjà des éléments radioactifs avant l’arrivée du tsunami. A
15h37, une vague de 14 à 15 mètres de hauteur a submergé le
site nucléaire, mettant hors d’usage les générateurs situés au
niveau de la mer. Trois quarts d’heure après le séisme, les réacteurs 1,
2, 3 et 4 de la centrale de Fukushima Daiichi étaient donc
totalement dépourvus d’électricité, ce qui a provoqué des
catastrophes nucléaires en série.
1) La fusion des
cœurs 1, 2 et 3
La fusion d’un cœur (appelée aussi meltdown)
est provoquée par l’absence de refroidissement du combustible. En
effet, une centrale nucléaire ne s’arrête
pas comme une ampoule avec un interrupteur. Il est toujours
nécessaire de refroidir le cœur qui conserve une température résiduelle
importante due aux produits de fission. S’il n’est pas
refroidi, le cœur d’un réacteur fond en quelques heures seulement.
La fonte du combustible et de ce qui l’entoure produit une matière que
l’on nomme « corium ». Ce nom n’est pas très
utilisé dans la communication de l’industrie nucléaire car il est le
corolaire du mot « accident nucléaire ». On en connaissait deux
exemples jusque là : celui de Three Mile Island
en 1979 et celui de Tchernobyl en 1986. Cette matière a donc été
inventée par l’homme il y a plus de 30 ans mais n’avait jamais fait
l’objet d’une publication de vulgarisation, c’est pourquoi
j’ai tenté d’expliquer cette matière en publiant un articleavec les connaissances dont je disposais en août 2011, suivi d’une mise au point en novembre 2011 pour donner des précisions et corriger quelques manquements de la première version.
Jamais l’homme n’avait produit autant
de corium d’un coup. Three Mile Island, c’était une vingtaine de
tonnes, Tchernobyl entre 50 et 100 tonnes (difficile encore
aujourd’hui d’aller vérifier). Fukushima, c’est 64 tonnes pour
l’unité 1 et deux fois 94 tonnes pour les unités 2 et 3, soit un total
d’environ 250 tonnes de combustible fondu, sans compter les
dizaines de tonnes supplémentaires de matériaux divers mêlés à ce
magma.
Comme le Japon, la France de 2012 ne possède aucune centrale équipée d’un récupérateur de corium. Selon l’IRSN,
« dans les réacteurs actuels, si un accident grave menant à la fusion
du cœur
survenait, les matériaux fondus pourraient percer la cuve et
s’écouler sur le radier en béton. La percée de ce dernier pourrait en
résulter, ce qui conduirait à un relâchement de produits de
fissions dans l’atmosphère ».
Tepco savait qu’un meltdown avait eu lieu dès le 12 mars 2011. Pourtant l’opérateur a choisi de n’informer le public que deux mois plus tard. Le doute
s’est alors installé durablement dans le public envers l’honnêteté de cette entreprise et l’ensemble de sa communication.
2) Les
explosions des unités 1, 2, 3 et 4.
Jamais un site nucléaire n’avait subi
autant d’explosions, touchant 4 bâtiments réacteurs différents. Voici
le rappel de ces 7 explosions qui ont eu lieu en
l’espace de 4 jours :
- Samedi 12 mars, réacteur 1 à 15 h
36 : explosion de la partie supérieure du bâtiment. Le toit s’est
effondré, produisant une propagation horizontale des
nuages de poussière grise.
- Lundi 14 mars, réacteur 3 à 11 h
01 : explosion en deux temps, une première visible sur le côté sud de
manière horizontale avec un flash de lumière, et quasi
simultanément une seconde qui souffle le toit de manière verticale
produisant une colonne de poussière noire de plusieurs centaines de
mètres de hauteur.
- Mardi 15 mars, réacteur 2 à 6 h
10 : contrairement aux deux précédentes explosions sur les réacteurs 1
et 3, celle du réacteur 2 n'a pas été visible de
l'extérieur et n'a pas détruit le bâtiment externe. L’explosion a
endommagé la piscine de condensation de l’enceinte de confinement.
- Mardi 15 mars, réacteur 4 à 8 h
00 : dans le hall d'opération du réacteur 4, une ou deux grosses
explosions causent deux brèches d’environ 8 mètres de large
sur l’enceinte extérieure du bâtiment abritant le réacteur. Puis, à 9
h 38, se produit une autre explosion suivie d’un incendie, au niveau de
la piscine de stockage du combustible, qui s’éteint
vers midi. Le 16 mars, à 5 h 45, un nouvel incendie est déclaré. Il
s’arrête vers 9 h 40.
La version officielle de l’origine
des explosions est l’hydrogène qui se combine avec l’oxygène. Or, si la
plupart des explosions peuvent s’expliquer ainsi, celles
qui ont eu lieu le 14 mars dans le réacteur n°3 font encore
aujourd’hui l’objet de discussions.
Par ailleurs, alors de que des
dizaines de caméras étaient braquées sur le site nucléaire en crise, la
vidéo de l’explosion du bâtiment réacteur n°4 du 15 mars 2011
n’a bizarrement jamais été divulguée. Le doute sur la volonté
sincère de l’opérateur à vouloir communiquer en toute transparence se
transforme en méfiance. Qu’est-ce que Tepco refuse de
montrer ?
3) La perte
de confinement des réacteurs 1, 2 et 3
Habituellement, l’industrie nucléaire
explique au public que l’énergie atomique n’est pas dangereuse car il
existe trois barrières pour confiner les radionucléides
et éviter qu’ils se dispersent dans l’environnement. La première est
la gaine de zircaloy, alliage composé principalement de zirconium, qui
sert à enfermer les pastilles de combustible sous forme
d’un long tube de 4 m de long. La seconde est la cuve en acier du
réacteur d’une épaisseur de plus de 20 cm, et dont l’ouverture est
recouverte d’un couvercle boulonné. Les tuyaux du circuit
primaire font aussi partie de cette deuxième barrière. La troisième
est l’enceinte de confinement qui est constituée de murs en béton d’une
épaisseur dépassant le mètre et doublée d’une paroi en
acier.
A Fukushima, ces trois barrières ont failli pour les 3 premiers réacteurs. Lors d’un meltdown,
la gaine de zircaloy fond et laisse s’échapper les pastilles
d’oxyde d’uranium ou de plutonium. La première barrière est donc
détruite rapidement en cas de surchauffe, d’autant plus qu’il a été
démontré que les gaines de zircaloy commencent à éclater entre
700 et 900 °C.
La seconde barrière, la cuve du
réacteur, si elle est épaisse n’en est pas moins fragile : percée de
dizaines d’ouverture ménagées pour diverses fonctions ‒
circuit primaire allant vers les turbines, circuits de
refroidissement, trous pour les barres de contrôle (97 dans le réacteur
n°1) ‒ elle n’offre que peut de garantie quand il y a
meltdown. Pire, quand il y a melt-through,
c’est-à-dire quand le corium perce le fond de la cuve ‒ ce qui est
arrivé au moins au réacteur n°1 ‒ c’est l’ensemble du combustible
qui pulvérise cette barrière.
La troisième barrière, faite de béton
armé semble la plus solide. Pourtant en cas d’accident, elle n’en est
pas moins vulnérable à cause de la puissance des
explosions et de la pression exercée. Pour le réacteur n°3, on a
constaté par exemple que de la vapeur radioactive s’échappait du bord de
l’ouverture de l’enceinte. Cette fuite a été prouvée par
une vidéo et par des photos infrarouges, puis dernièrement reconnue
par Tepco. Pour le réacteur n°2, même si on n’a pas pu constater de visu les dégâts dans la piscine torique, on a
mesuré qu’il a provoqué un panache parmi les plus radioactifs des premiers temps de la catastrophe.
Ainsi, en cas d’accident majeur, les
trois barrières de confinement ne sont pas suffisantes pour empêcher une
pollution majeure : à Fukushima, sur trois
réacteurs en difficulté, il y a eu 100 % de défaillance.
4) La menace
permanente de la piscine de désactivation n°4
Comme si la fusion de 3 cœurs, les 7
explosions et la perte de confinement de 3 réacteurs n’avaient pas
suffi, l’accident de Fukushima a également dévoilé au grand
jour le problème des piscines de désactivation qui n’ont pas
d’enceinte de confinement. Ce n’est pas par hasard qu’au lendemain de
l’explosion du bâtiment réacteur n°4, les Etatsuniens ont
demandé à leurs ressortissants de s’éloigner de la centrale au-delà
de 80 km. En prenant cette sage décision, ils avouaient implicitement
qu’ils connaissaient les dangers de la perte de contrôle
du refroidissement de la piscine 4. Le gouvernement japonais avait
ensuite même envisagé d’évacuer dans un rayon plus large, avec
l’éventualité de l’évacuation de Tokyo. Car si on n’avait pas
réussi à ajouter de l’eau dans la piscine 4, l’avenir du monde
aurait été sombre, car l’incendie de cette piscine aurait provoqué une
pollution bien pire que celle de Tchernobyl.
Mais on ne peut pas parler de cette éventualité seulement au passé.
Car aujourd’hui, cette piscine, mais
aussi celles des 3 autres unités réformées, sont toujours à l’air libre
et menacent toujours le monde. Elles sont situées entre
20 et 30 mètres de hauteur dans des bâtiments qui ont tous subi des
explosions, et conservent ensemble plus de 3000 assemblages représentant
plus de 500 tonnes de combustible. La piscine du
réacteur n°4 est la plus surveillée car les murs du bâtiment qui
l’abrite ont été fortement endommagés par l’explosion du 15 mars
(souvenez-vous, celle dont la vidéo est censurée). Malgré le
renforcement de la piscine par du béton et de l’acier, elle n’en
reste pas moins une menace permanente, comme une épée de Damoclès sur
l’avenir de l’humanité. N’en déplaise au journaliste
scientifique qui s’est plu à dénoncer il y a quelque temps la
« désinformation » qui régnait à propos de cette piscine dans des
journaux concurrents ou des sites indépendants ne
reprenant pas fidèlement l’information officielle, la menace ‒ qu’il
ne nie pas ‒ est bien réelle et ce n’est pas en recopiant les discours
rassurants de Tepco qu’il réussira à la supprimer. Un
séisme de magnitude 9 est toujours possible au Japon et peu de monde
pense que le bâtiment réacteur 4, déjà fortement ébranlé, résisterait.
L’urgence du transfert du combustible vers une piscine
au sol est donc toujours de mise, et c’est pour cela qu’il est
important de continuer d’alerter
les décideurs pour augmenter la rapidité d’intervention et les chances
de réussite de cette opération.
Tepco a récemment communiqué sur le sujet en prétendant accélérer le
processus de transfert, et en annonçant une fin des travaux pour la
piscine 4 fin 2014. Mais tout le monde n’est pas aussi
optimiste ; le professeur Koide par exemple pense qu’il faudra bien
plus de temps. Il faut espérer qu’il n’y aura pas d’autre tremblement de
terre puissant durant toutes ces années de
travaux et de transfert, sinon il y a une autre solution que
d’attendre, on peut se battre pour que les travaux aillent plus vite.
La conséquence immédiate de ces
multiples désastres est la diffusion massive de radionucléides dans
l’environnement. En décembre 2012, Tepco annonçait que pour
les seuls Césiums 134 et 137, l’ex-centrale rejetait 10 millions de
Becquerels par heure dans l’atmosphère, soit 240 millions de Bq par jour.
Qu’en est-il des plutonium, strontium, américium, neptunium et
autres poisons ? Tepco n’en parle pas. Qu’en est-il de la pollution
de l’eau qui s’infiltre dans les sols ? Pas de nouvelle non plus. La
seule info de la pollution de la nappe
phréatique a été donnée le 31 mars 2011 : à cette date, un
porte-parole de Tepco avait annoncé que la nappe phréatique située à
environ 15 m au-dessous de la centrale avait une teneur en
iode 131 dix mille fois supérieure aux normes autorisées. Depuis,
silence radio sur l’évolution de cette pollution, ce qui est absolument
anormal. Donc nous continuerons notre veille et
nous en parlerons dès que nous aurons des informations sur ce sujet.
En attendant, même si Tepco ne fournit pas les mesures, il est évident
que ces rejets ont provoqué une pollution irrémédiable
des terres, des nappes phréatiques et de la mer.
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