JLM_FDG_1.jpg Depuis dimanche, on me questionne. Comment Jean-Luc Mélenchon a-t-il accueilli la désignation de François Hollande comme candidat du PS, dans sa dimension personnelle ? Comment voit-il venir ce duel politique qui s’annonce à gauche, avec un homme avec lequel il s’est si souvent confronté dans le passé ? Pas de méprise. L'adversaire commun et principal reste la droite, c'est une évidence. Il faut chasser Nicolas Sarkozy et ses amis. Je souligne pour les étourdis que personne au Front de Gauche ne met un signe égal entre le PS entre la droite. Ceci étant précisé, il y aura une saine confrontation entre le candidat du Front de gauche et celui du PS.

Alors, quid entre Mélenchon et Hollande ?

« Nothing personal » comme disent nos amis anglais. C'est ma première réponse. Mais, à la réflexion, elle est insuffisante. Les idées s'incarnant dans des hommes et des femmes, qui ne sont pas de marbres, je pense aussi qu'ils ne s'apprécient guère. Même si, bien entendu, Jean-Luc respecte François Hollande. Au passage, je souhaite que la réciproque soit vrai. Trop de différences entre eux. Une certaine idée de la gauche, du socialisme, d'une façon de servir son peuple, les opposent. Radicalement, presque frontalement, psychologiquement. Gardons la tête froide néanmoins, entre eux, le désaccord est avant tout politique au sens pur du terme. 

Comme dit une chanson populaire française que j'aime : "le hasard est curieux, il provoque les choses, et le destin pressé un instant prend la pose". En effet, le hasard a parfois de l’humour, et il y a, c'est vrai,  comme un curieux pied de nez pour l’histoire de la gauche française de ces 25 dernières, que de les voir à nouveau l’un face à l’autre. Prenons la pose pour en dire quelques mots.

D'abord, je dis tant mieux. Car, ils sont tous les deux, je le crois, à leur place, les champions de leur camp, d’une certaine idée de ce que doit être la gauche. C’est un affrontement paradigmatique qui s’annonce. Du moins je souhaite qu’il ait lieu ainsi, dans la clarté. Cette élection peut être le moment d’une belle bifurcation pour la gauche française. La fin d’une époque, celle de ces 20 dernières années, et le départ d’une nouvelle. Une sorte d’apocalypse symbolique. Notre peuple se saisira-t-il de cette occasion ? Il le faut. Je l'espère.

en-quete-de-gauche-230046.jpgPour savoir ce que pense Jean-Luc Mélenchon de François Hollande, il existe un livre. Jean-Luc fait  partie de ces personnes pour qui écrire un livre n’est jamais un acte innocent. Pour ceux qui s’intéressent à la cohérence de la pensée « mélenchonienne », cet ouvrage est incontournable. Rédigé au lendemain de la campagne que nous avions mené pour le "non" au TCE en 2005, il a joué un rôle majeur dans mon parcours militant et dans ceux de beaucoup d'autres.  Il faut lire ou relire ce livre de Jean-Luc « En quête de gauche » (entretien avec le journaliste Michel Soudais, Editions Balland, paru en 2007) et particulièrement son chapitre deux. Le titre de ce chapitre important, est tout un programme « Pour être modernes, soyons démocrates ». Cette formule est la reprise du titre d’un texte signé dès 1984 par François Hollande (qui en est le principal rédacteur), Jean-Pierre Mignard, Jean-Yves Le Drian, Jean-Pierre Jouyet (qui sera Ministre de Sarkozy) et Ségolène Royal

Le texte de cette poignée de jeunes ambitieux, remis à la lumière fort utilement par ce livre, mettait par écrit il y a 27 ans des choses qui sont depuis devenues des rengaines, usées jusqu’à la corde, avec lesquelles un certain personnel politique et médiatique nous bassine depuis près de trop longtemps. Il annonçait un virage idéologique pour la gauche, qui amènera bien des défaites électorales et politiques et des reculs sociaux coûteux pour notre peuple. Sur le fond, pour commencer, ce texte « hollandais » s’en prend bien sûr (déjà !), aux clivages droite / gauche, assurant qu’il faut « affirmer, au-delà du clivage droite gauche, les principes sur lesquels notre société doit impérativement reposer ». C'est cette pensée qui sert de prétexte aux éventuelles alliances avec le Modem. Il propose ensuite que la gauche change d’objet. Rien que cela. Ils disent « Disons le tout net, au risque de provoquer, la conception dogmatique de la classe ouvrière, l’idée que le lieu du travail pourrait être aussi un espace de liberté, la notion d’appartenance des individus à des groupes sociaux solidaires, l’affirmation d’un programme politique atemporel, tout cela doit être abandonné. » Depuis, d'autres ont répété cette thèse. Du Terra nova (le think tank strauss-kahnien) avant l'heure, en quelque sorte. Ce groupe autour d'Hollande s’est attelé à cette tâche, il l'a répété inlassablement : la gauche doit abandonner l’objectif de représenter la classe ouvrière, ses revendications, ses espoirs. D’ailleurs, selon eux, la classe ouvrière n’existe pas (ou plus). Elle a été placée dans l'angle mort d'une représentation médiatique du monde. 

Tout le reste de ce texte est de la même eau frelatée. Le lecteur attentif aura compris : pour Hollande et ses amis, finies les références à la gauche de combat, au marxisme, au socialisme historique. Place à un « nouvel individualisme ». On a vu le résultat, en France, en Europe, dans le monde. Cette ligne s’adaptera parfaitement à l’évolution blairiste de la gauche européenne. Elle en sera même sa meilleure déclinaison «  à la française ». A la différence de la Grande Bretagne, où Margaret Thatcher avait sévi, dans notre pays, il existera toutefois de forts éléments de résistance. Un mouvement ouvrier organisé et combatif, des syndicats debout, un peuple ayant la passion de l’égalité, un parti communiste encore vivant, des partis trotskystes actifs et …un courant de gauche au sein du PS encore en dynamique. 

JLM_FDG_2.jpgC’est dans ce cadre-là, parce qu'il est porteur de cette orientation bien particulière à gauche, que François Hollande durant onze années va s’affronter à Jean-Luc Mélenchon, principal dirigeant du courant du PS « la Gauche socialiste ». Hollande veut briser ce pôle de résistance. Il le gêne. Il va s’y employer avec constante et opiniâtreté durant les années 90 et au début des années 2000. Et ce n’est pas avec des méthodes de « flamby » qu’il va le faire, mais avec la poigne de l’apparatchik qui triche et qui méprise. Oui, la triche et le mépris sont aussi une des marques du système hollandais à la tête du PS de 1997 à 2008. Elle n'ont pas commencé au congrès de Reims de 2008. Désolé de décevoir certains.

S'il fallait la dater, je crois qu’entre eux, le début de la rupture définitive s’est produit en novembre 1997, lors du Congrès du PS de Brest. Depuis quelques mois, Lionel Jospin est Premier Ministre. Il plane au dessus de ce congrès. Pour la GS, ce congrès est difficile, rugueux, mais ce courant continue à défendre ses convictions. J'en étais alors un des jeunes militants parisiens. Dans ce contexte, la GS obtient 10,21 % des suffrages. C’était un résultat inattendu et spectaculaire car nous étions alors en plein « jospinisme triomphant ». Quand à elle, la motion majoritaire conduite par Hollande (et dans laquelle tous les courants de la majorité, jospinistes, fabiusiens, rocardiens… se retrouvent) avait obtenu 84,07 % !

Après les motions, vient ensuite, un autre suffrage, pour le poste de Premier secrétaire. Jean-Luc Mélenchon sera seul candidat face à François Hollande. Pour cela, lors du congrès de Brest, devant les délégués rassemblés, Jean-Luc fera peut-être un de ses plus beau discours. Un moment énorme, unique, inoubliable pour les présents. 

Mais, depuis quelques jours, dans les couloirs de Solférino, le bruit court que la GS a obtenu trop de voix sur sa motion, elle sera punie lors du vote pour le poste de Premier secrétaire. La direction de la GS s’en inquiète. Pascale Le Néouannic et Delphine Batho (depuis, nos routes ont divergé, Delphine est devenue une proche de Ségolène Royal, mais reste toujours d'une grande valeur humaine selon moi) seront nos deux représentantes dans la commission du recollement des votes. Elles avaient été choisies en raison de leur grande qualité d’opiniâtreté et de rigueur. Ces qualités ne suffiront pas. Outrées, pour protester, elles choisiront de quitter la commission tellement les résultats des votes qui remontaient n’avaient aucune sincérité.

Ulcéré par ces manoeuvres, Jean-Luc fait le choix de rencontrer François Hollande pour le mettre en garde contre toutes formes de triches. Nous savions que dans la mesure où, notre motion avait obtenu plus de 10 %, qu’un autre courant (d’ex poperénistes) avait lui aussi obtenu plus de 5 % mais ne présentait pas de candidat, que beaucoup de cadres et militants de la majorité ne voulaient pas donner trop de poids à Hollande et éprouvaient une réelle sympathie pour Jean-Luc, nous devions en conséquence obtenir plus de 15 % des suffrages. C’était un minimum. Mais, dans l’appareil socialiste, la rumeur courait avec obstination : la GS sera punie, elle ne fera pas ses voix. Dans le bureau de Hollande, Jean-Luc le met en garde fermement. Hollande promet. Il n’y aura pas de triche. Mélenchon fera au moins 15 % des voix. Il s’y engage. Il avait donné sa parole…

Et puis après ? Après… plus rien. Pendant trois semaines, les résultats de ce vote ne seront pas proclamés officiellement. Jusqu’au jour où, 3 semaines plus tard (!) j’insiste, le score est annoncé. Jean-Luc Mélenchon a obtenu seulement  8, 8 % des voix. Pas plus. Moins que la motion qu'il défendait. Impossible. Quand Jean-Luc demandera à Hollande une explication, s’indignant qu’il n’est même pas tenu parole, ce dernier lui répondra par un éclat de rire au visage. Au-delà de l’affront, je pense que ce jour là, Jean-Luc a compris la vraie nature du « hollandisme ». Derrière les sourires, les bons mots et les rondeurs, c’est le visage de l’homme d’appareil qui blesse ses opposants et qui brise avec des méthodes troubles, ceux qui l’empêchent de mettre en application ses plans d’adaptation de la gauche à la modernité, ou, dit autrement, au « blairisme » hexagonal.

J'ai voulu illustrer par cette anecdote, mais il en existe beaucoup d'autres, que cet homme, quand il était Premier secrétaire du PS, n’était pas un gentil. Pas de méprise à son encontre. Ce n’est pas un mou ni un « flou ». Je parle de François Hollande bien sûr sur le plan politique. Je ne le connais pas sur le plan personnel. Là n’est pas le sujet. Il est peut être charmant dans sa vie privée. Je parle bien ici de sa façon de faire de la politique, de ses méthodes. Rien que de cela.  Donc, que personne ne se trompe à son égard. Il sait mentir, enfumer, tricher, etc.. Il est même un expert de toutes ses disciplines. C’est là je pense une différence de marque de fabrique avec Lionel Jospin. Ce dernier était un rugueux, ô combien, mais il tenait parole. Il avait été formé à une autre école. Celle qui donne de l'importance à la confrontation idéologique, de la valeur aux textes. Quand vous aviez un accord politique avec lui, qui faisait suite à une discussion politique, il tenait parole. Autre temps... François Hollande n’est pas ainsi. Lui, c’est un contorsionniste du débat politique, un illusionniste de la joute verbale.

Un autre souvenir me traverse l'esprit... sarkozy_Hollande.jpgJe me souviens très bien de lui, disant en 2005, lors du grand débat sur le TCE, « Le Pen n’a pas besoin de faire campagne pour le non, d’autres le font à sa place.. ». Il parlait de nous par cette injure. La comparaison avec Le Pen, déjà. Cette phrase, blessante, je l’avais prise comme un crachat sur la magnifique campagne que nous menions. Je sais qu’elle avait aussi marqué Jean-Luc, indigné qu’il ose ainsi parler de nous. En même temps qu'il nous flétrissait de la sorte, lui, jugeait pertinent de faire la une de Paris Match aux côtés de Sarkozy (tiens au fait, Paris Match.. c'était qui la journaliste politique qui suivait le PS ? Je m'éloigne de mon sujet...). Il pensait que cette campagne référendaire serait l'occasion d'affirmer son autorité... Raté. Une autre fois, lors d’un Bureau National du PS, à propos d’une discussion très sérieuse, engagée la semaine précédente, sur les questions internationales si rares, concernant des tensions entre la Géorgie et la Russie, François Hollande s’était permis de répondre à Jean-Luc à la volée après avoir dû reconnaitre qu'il avait tort et que Jean-Luc disait des choses justes (soutenues par Louis Mermaz) : « si maintenant, tu condamnes aussi les dictatures, on va pouvoir commencer à s’entendre .. ». Froid dans la salle. Même parmi ses amis. Une insulte inacceptable qu’il fallait encaisser, mais indigne d’un réel parti socialiste et de son premier dirigeant. On ne parle pas ainsi entre camarades. Normalement.  La fraternité élémentaire devrait interdire ce type de phrase. Mais, ainsi était le « système hollande », la blague pour blesser, la triche pour faire plier. C’est aussi avec tout cela que nous sommes nombreux a avoir rompu en quittant le PS en novembre 2008. 

Dans les mois qui viennent, entre les deux hommes, il y aura aussi, peut-être, un duel d'orateurs. Qui sait ? On dit que Hollande n'est pas maladroit dans ce domaine, où, à mes yeux toutefois, Jean-Luc reste un maître. Certains journalistes vantent régulièrement l'humour du candidat PS que l'on dit si décapant, si poilant. Mouais... L'humour, oui, pourquoi pas.. mais pourquoi faire ? Je dis gare. Si Jean-Luc Mélenchon est un homme politique de gauche qui sait faire aussi de l'humour dans ses discours, et il ne s'en prive pas, il ne s'en sert pas comme d'un artifice pour masquer l'essentiel. En revanche, le problème de François Hollande c'est qu'il ressemble plus lui, dans ses discours, à un humoriste qui fait de la politique. Cela tient  parfois plus du "stand up", que de la grande tradition des discours politiques. Croyez moi, ce n'est pas la même chose. Certes, Hollande sait lui aussi captiver un auditoire. Mais, pour moi, la marque de fabrique entre les deux hommes n'est vraiment pas la même. L'un cherche à convaincre, quand l'autre envoûte et hypnotise par des astuces, à faire vire-volter les mots pour qu'ils perdent leur sens. Bah..

Ce sera donc François Hollande le candidat du PS. Banal.

JLM_de_dos.JPGEn définitive, la surprise de ces primaires est qu’il n’y a pas de surprise. Qu’importe. Que les choses sérieuses commencent à présent. Que le débat démocratique s’engage. Il est temps. Notre peuple le mérite. Hollande est le meilleur représentant d’une gauche qui a déjà perdu en 2002 et 2007. Cet homme a un bilan. Il faudra en parler avec lucidité. Nous le ferons aussi durant cette campagne. Jean-Luc Mélenchon porte une autre vision de la gauche. Il est la continuité d’un long fil qui le relie à une tradition qui vient de loin, de très loin. Si loin, qu'il est en réalité porté un élan qui ne s'épuise pas depuis des siècles. Notre gauche, c’est celle des lumières qui a chassé l'ancien régime, celle du partage des richesses, celle de la justice sociale, celle qui ne contourne pas les obstacles, celle qui, en ligue et en procession manifeste… Elle vient de si loin qu'elle est en réalité la seule qui se tourne vers l’avenir. La gauche hollandaise est en réalité une parenthèse, une anomalie, celle de Mélenchon est la continuité d’une longue histoire.

Le premier tour de cette élection peut et doit être au beau moment de clarté. C'est le sens de notre "Offre publique de débat" particulièrement avec le candidat du PS. Le climat est bon. Haut les cœurs ! A gauche désormais, on y voit clair.  La situation est franche. Il y aura un candidat de centre gauche, et un autre, au centre de l’histoire de la gauche. 

Pour battre la droite, je crois fermement que nous sommes plus efficace pour chasser Nicolas Sarkozy. Le peuple de gauche pourra en juger dans les mois qui viennent.