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vendredi 26 septembre 2014

Retour après l'aide à une auto-édition

Bonjour les amis. Voilà un moment que je n'ai plus donné signe de vie. J'ai aidé bénévolement une amie à auto-éditer trois ouvrages qu'elle avait sous le coude.

Depuis cette nuit, ils sont enfin disponibles chez Lulu.com, ce site qui imprime au fur et à mesure des commandes les livres qui ont été déposés chez lui. Avantage par rapport avec des éditeurs classiques : l'auteur reste le seul maître de son ouvrage jusqu'au bout. 

Trop d'éditeurs en prennent largement à leur aise avec le manuscrit original, et comme les droits leur sont transférés,  l'auteur ne peut que s'opposer en bloc aux modifications envisagées.

Donc, ces trois œuvres sont, ou vont être très rapidement disponibles.

- "Et l'espérance jaillit du gang", un roman se passant dans les glauques rues et taudis du Bronx des années 80. Les faits, romancés bien entendu, sont partis de situations et péripéties réelles. Les acteurs principaux du drame existent réellement.
 




- "Au cœur de la pègre américaine", une étude sur la faune des quartiers défavorisés, sur la police, sur les intervenants sociaux divers. Étude très fouillée, car l'auteur a eu la chance peut-être unique de pouvoir étudier les archives de la police new-yorkaise, même les plus confidentielles, les plus "privées". Elle explique pourquoi. Elle a également accompagné les patrouilles de police, vécu avec les missionnaires qui sont souvent les seuls soutiens de ces habitants, et aussi avec certains intervenants sociaux "laïcs" ; elle a bien entendu pu discuter directement avec les marginaux, souvent jeunes, qui survivent de façon souvent violente.





La création de ces deux ouvrages lui a pris dix ans.

Quant au troisième opus, il s'agit d'une autobiographie. Elle en avait déjà écrit une grand partie à la fin des années 70. En l'état, déjà, Laffont était prêt à la publier. Deux comités de lecture successifs avaient donné leur feu vert, mais le patron de l'époque avait opposé son veto, parce qu'elle était trop jeune encore pour cet exercice (elle avait une trentaine d'années). C'est donc ce manuscrit, revu, corrigé et complété, qui est proposé maintenant.




Il faudra noter que je ne partage pas toutes les options, opinions et croyances de l'auteur. Cependant, suffisamment de façons de voir les choses nous rapprochaient, pour tenter l'aventure ensemble. Et c'est une aventure ! Ceux qui se sont lancés déjà dans l'auto-édition comprendront. D'autant qu'il y avait là trois ouvrages à préparer à la fois.

L'auteur souhaite avant tout faire partager à tous ses aventures, ses expériences, ses passions, ses coups de cœur. Des coupeurs de têtes du nord de l'Amazonie aux clochards parisiens, des "beaux quartiers" de Paris où elle passé son enfance aux gangs de rue ou à moto (émules des Hell's Angels de San Francisco), de la région de Las Hurdes, située en Espagne, mais que les Espagnols eux-mêmes souvent ignorent - voir le film de Buñuel qui leur a été consacré - à l'ambiance de FR3 Alsace où elle a été longtemps journaliste, c'est tout un monde improbable qui se déploie au gré des trois ouvrages.

Ajoutons que, journaliste, elle a écrit d'autres ouvrages, dont l'un fut couronné par l'Académie Française. Ce qui lui donna l'idée, en 1976, d'avoir la hardiesse de briguer le fauteuil de Robert Aron à cette même Académie. Bien que ce fût l'Année de la Femme, elle fut bien entendu recalée (bien trop jeune, femme, politiquement engagée, c'était beaucoup). C'est Maurice Rheims qui obtint plus tard le droit de porter l'habit vert à cette même place.





Je suis heureux d'avoir pu contribuer, en amateur souvent perplexe pour résoudre les petits ennuis qui ont émaillé cet "accouchement", à ce que je considère comme une triple réussite. Et merci, Chantal, de m'avoir permis de partager cette aventure.

mardi 10 juin 2014

Vladimir Poutine défenseur de la paix : y en a-t-il que cela embarrasse ? (lettre ouverte)

Monsieur Vladimir Poutine
Président de la Fédération de Russie
MOSCOU _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _   CECI EST LA COPIE DE LA LETTRE
aux bons soins de                                                                      

Monsieur l'Ambassadeur de Russie
40, boulevard Lannes
75116 PARIS




Xxxxxx le 10 juin 2014



Monsieur le Président,





Il y a quelques jours , malgré un emploi du temps très chargé, vous avez accepté de vous prêter à une interview par des journalistes français. Nous, Français, ne vous remercierons jamais assez pour cette mise au point au grand jour de votre politique.

Ce remerciement sera d'autant plus appuyé, que "pour des questions d'horaires" cette entrevue fut tronquée à la diffusion. Heureusement le verbatim complet a pu nous être communiqué par vos services. Rien que cette anomalie fait que je n'hésite pas à dire "J'ai honte". J'ai honte pour mon pays, pour le système qui dirige la France, pour les médias qui ne cessent de biaiser l'information, au point d'en retourner souvent la signification.

Oui, nous sommes quelques-uns, en France, à savoir que les agressifs ne sont pas dans le camp fustigé par le déchaînement médiatique permanent. Nous savons que quand vous agissez, en bon joueur d'échec vous avez plusieurs coups d'avance sur ce qui ne manquera pas de suivre. Nous savons que le glacis autour de la Russie est attaqué en permanence par l'entité, au-delà de l'océan, qui veut étendre sa domination partout. Entité qui n'hésite jamais à menacer, à acheter, à tuer ceux qui s'opposent à "sa marche triomphale". George Herbert Bush n'a-t-il pas affirmé qu'il ne présenterait jamais ses excuses au nom de son pays ?

Je note, dans l'entrevue, que quand vous réaffirmez ne pas avoir de visées expansionnistes, mais voulez développer votre pays à l'intérieur de ses frontières, cette partie du dialogue est coupée. Dérangerait-elle ceux qui poussent à vous présenter comme une menace ?

De la même façon, une série de questions à propos d'une prise du pouvoir violente en Ukraine ne fut pas diffusée. Très logiquement, vous répondiez combien la coalition de politiciens "Occidentaux" avait soutenu, suscité, provoqué un coup d'État au nom d'intérêts commerciaux pour eux. Au point d'avoir envoyé des mercenaires "ne parlant qu'anglais" pour... dirait-on... "soutenir leurs compatriotes" ? Hum...

Je ne soulignerai qu'un dernier point (ah, ce fut coupé aussi) : poser la question de la légitimité de M. Porochenko fut de la part de vos questionneurs soit très provocateur, soit... maladroit ?

Il serait pourtant si constructif pour tous que les coopérations internationales dans la bonne entente et sans la hargneuse visée expansionniste de quelques-uns (craindraient-ils donc tant leur chute, qui manifestement viendrait de l'intérieur, et non d'adversaires extérieurs supposés, voire inventés ?) Habitant non loin de Saint Nazaire, j'ai pu constater l'avancée des travaux pour les deux bâtiments de projection et commandement que vos chantiers ont commandés. Bel exemple de coopération : parlant en mon nom strictement personnel, j'ajouterai qu'ils peuvent être utiles dans un avenir que j'espère le plus lointain possible, face au seul véritable ennemi (celui de tout le monde) : le Pentagone et ses "sponsors" industriels et financiers.

Sachez, Monsieur le Président, que de nombreux Français apprécient votre action, votre solidité qui est bien le meilleur point d'amarrage pour la paix mondiale actuellement. Nous en avons terriblement besoin. Il y a soixante-dix ans, c'est votre pays qui a sauvé le monde : sous votre conduite solide et éclairée, ce sera probablement la même chose aujourd'hui. A nous de nous prendre en main de notre côté. Retrouver une équipe de commandement réaliste et intègre dans notre pays est notre souhait, auquel nous sommes quelques-uns à consacrer nos efforts face au rouleau compresseur médiatique. Ce sera, si nous y parvenons, l'occasion de nouer des dialogues bien plus fructueux qu'actuellement.


Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma plus profonde considération, et de mon plus grand respect.


bab


(simple citoyen français)

dimanche 7 juillet 2013

Syrie - La représentation du conflit par les médias internationaux est dangereusement imprécise (LGS)

Au grand dam de certains qui ont choisi leur camp, voici ce qu'on peut considérer comme un témoignage direct de ce qui se passe actuellement en Syrie. Aussi bien ces certains que moi-même ne sont pas sur place actuellement, et par conséquent ne sont guère en mesure d'en dire plus. Rien n'est jamais rose, mais quand c'est toujours le même camp qui déroule ses arguments l'objectivité n'est pas possible. Longue vie au peuple syrien, ainsi qu'à tous les autres, et mort à la propaganda Occidentale. Merci au Grand Soir qui donne à lire et à réfléchir. L'important là-dedans est que ce sont les médias occidentaux qui n'écoutent qu'une partie, ce qui leur retire toute crédibilité.




Syrie : La représentation du conflit par les medias internationaux est dangereusement imprécise (The Independent)

Il est naïf de ne pas admettre que les deux parties sont capables de manipuler les faits pour servir leurs propres intérêts.

Je vous livre ce papier de Patrick Cockburn à peu près tel quel. Cockburn attire notre attention sur l’information propagande en Syrie d’où qu’elle vienne, même s’il observe qu’à ce jeu les « rebelles » sont bien plus compétents que le pouvoir en place et bénéficient d’oreilles pour le moins complaisantes dans les médias occidentaux.

Ce n’est pas que je n’aimerais pas commenter un peu plus cet article, mais je suis crevé du fait de mes activités professionnelles très denses en ce moment. J’ai d’ailleurs renoncé à traduire les quelques vers de Milton en fin d’article (traduire de la poésie est un exercice d’une difficulté redoutable).

Mounadil al Djazaïri
http://mounadil.wordpress.com/2013/07/01/syrie-information-de-terrain-...

La représentation du conflit par les médias internationaux est dangereusement imprécise

source : http://www.independent.co.uk/voices/comment/foreign-media-portrayals-o...
Chaque fois que je viens en Syrie, je suis frappé par la façon dont la situation sur le terrain diffère de la façon dont elle est dépeinte à l’étranger. Les informations sur le conflit syrien données par les médias étrangers sont certainement aussi inexactes et trompeuses que tout ce que nous avons vu depuis le début de la Première Guerre mondiale. Je suis incapable de penser à une autre guerre ou une autre crise parmi celles que j’ai couvertes dans laquelle des sources propagandistes, tendancieuses ou de seconde main ont été aussi facilement acceptées par les journalistes comme attestant de faits objectifs.

Une conséquence de ces distorsions est que les politiciens comme le consommateur ordinaire de journaux et d’informations télévisées n’ont jamais eu ces deux dernières années une idée claire de ce qui se passe à l’intérieur de la Syrie. Pire encore, des plans à long terme sont basés sur ces idées fausses. Un rapport sur la Syrie publié la semaine dernière par l’International Crisis Group basé à Bruxelles, affirme que « une fois confiant en une victoire rapide, les alliés étrangers de l’opposition sont allés vers un paradigme dangereusement déconnecté de la réalité ».

Les slogans remplacent la politique : les rebelles sont représentés comme les gentils et les partisans du gouvernement comme les méchants ; si on lui donne plus d’armes, l’opposition peut soi-disant remporter une victoire décisive ; soumis à une pression suffisante militaire, le président Bachar al-Assad acceptera des négociations pour lesquelles une des conditions préalables est la fin du régime. Un des nombreux inconvénients de la rhétorique diabolisatrice à laquelle se sont adonnés Susan Rice, nouvellement nommée conseillère à la sécurité nationale des USA, et William Hague, c’est qu’elle interdit des négociations sérieuses et un compromis avec le pouvoir en place à Damas. Et comme Assad contrôle la plus grande partie de la Syrie, Rice et Hague ont mis au point la recette pour une guerre sans fin tout en arguant de leur souci humanitaire pour la population syrienne.

Il est difficile de prouver la véracité ou la fausseté de toute généralisation sur la Syrie. Mais m’appuyant sur mon expérience de ce mois-ci, à voyager dans le centre de la Syrie entre Damas, Homs et la côte méditerranéenne, il est possible de montrer à quel point les informations dans les médias s’écartent nettement de la réalité sur le terrain. Ce n’est que par la compréhension et la prise en compte de l’équilibre réel des forces sur le terrain qu’on pourra arriver à un progrès quelconque vers une cessation de la violence.

Le mardi je suis allé à Tal Kalakh, une ville de 55 000 âmes, juste au nord de la frontière avec le Liban, qui était un bastion de l’opposition. Trois jours auparavant, les troupes gouvernementales ont repris la ville et 39 chefs de l’Armée Syrienne Libre dirigeants (ASL) avaient déposé les armes. Après avoir parlé avec des officiers de l’armée syrienne, avec un transfuge de l’ASL et avec des habitants de la ville, il semblait évident qu’il n’y avait pas eu de passage instantané de la guerre à la paix [dans la ville]. C’était plutôt qu’il y avait eu une série de trêves et de cessez-le-feu arrangés par des notables de Tal Kalakh tout au long de l’année précédente.

Mais au moment même où je me trouvais dans la ville, Al Jazeera arabophone relatait des combats sur place entre l’armée syrienne et l’opposition. De la fumée était supposée s’élever au-dessus de Tal Kalakh comme les rebelles combattaient pour défendre leur place forte. Heureusement, cela apparaissait comme l’œuvre de l’imagination et, pendant les quelques heures que j’ai passées dans la ville, il n’y a pas eu de tirs, aucun signe que des combats avaient eu lieu et pas de fumée.

Bien sûr, toutes les parties dans une guerre prétendent qu’aucune position n’est perdue sans une défense héroïque contre un ennemi à la supériorité numérique écrasante. Mais un fait important a été occulté dans les comptes rendus dans les médias de ce qui s’est passé à Tal Kalakh : l’opposition en Syrie est fluide dans ses allégeances. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les 11 membres des soi-disant « Amis de la Syrie », qui se sont réunis à Doha la semaine dernière, veulent armer les rebelles qui ne sont pas des fondamentalistes islamiques, mais l’écart n’est pas si grand entre ces derniers et ceux qui ne sont pas liés à Al-Qaïda. Un combattant du Front al-Nosra affilié a Al-Qaïda a expliqué avoir fait défection pour un groupe plus modéré parce qu’il ne pouvait pas combattre sans cigarettes. Les fondamentalistes paient plus et, compte tenu de l’extrême paupérisation de nombreuses familles syriennes, les rebelles seront toujours en mesure faire de nouvelles recrues. « L’argent a une part plus importante que l’idéologie », m’a dit un diplomate en poste à Damas.

Alors que j’étais à Homs, j’ai eu un exemple de la raison pour laquelle la version des événements par les rebelles est si souvent acceptée par les médias étrangers de préférence à celle du gouvernement syrien. Elle est peut-être biaisée en faveur des rebelles ; mais souvent il n’y a aucune version gouvernementale des événements, ce qui laisse un vide comblé par les rebelles. Par exemple, j’ai demandé à aller dans un hôpital militaire dans le quartier al-Waar de Homs et j’en ai obtenu la permission, sauf que quand je me suis rendu sur place, on m’a refusé l’entrée. Pourtant, des soldats blessés au combat contre les rebelles seraient probablement des défenseurs éloquents et convaincants du camp gouvernemental (j’avais visité un hôpital militaire à Damas où j’avais pu parler avec des soldats blessés). Mais l’obsession du gouvernement pour le secret signifie que l’opposition aura toujours une longueur d’avance quand il s’agit de faire un plaidoyer convaincant.

Retour dans le quartier chrétien de la vieille ville de Damas, où je suis installé, il y a eu une explosion près de mon hôtel jeudi. Je suis allé sur les lieux et ce qui s’est passé ensuite montre que rien ne peut remplacer la déclaration d’un témoin oculaire impartial. La télévision d’État prétendait que c’était un attentat-suicide, visant peut-être l’Église orthodoxe grecque ou un hôpital chiite qui est encore plus proche. Quatre personnes avaient été tuées.

Je pouvais voir une petite indentation dans le trottoir qui m’avait paru très semblable à l’impact d’un obus de mortier. Il y avait un peu de sang à proximité immédiate, quoiqu’à environ une dizaine de mètres de l’impact. Alors que j’étais en train de regarder dans les parages, un second obus de mortier s’est abattu sur le toit d’une maison, tuant une femme.
L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), si souvent cité comme source par les journalistes étrangers, dira par la suite que ses propres investigations montraient que l’explosion avait été causée par une bombe laissée dans la rue. En fait, pour une fois, il était possible de savoir avec certitude ce qui s’était passé, parce que l’hôpital chiite a une caméra de surveillance qui montre l’obus de mortier quelques fractions de secondes dans les airs juste avant de toucher le sol, puis la chemise blanche d’un passant qui a été tué par l’explosion. Ce qui venait de se produire était probablement un de ces habituels bombardements de mortier faits au hasard par les rebelles dans le quartier proche de Jobar.
Au milieu d’une guerre civile féroce, l’idée des journalistes selon laquelle l’une ou l’autre des parties au conflit, gouvernement ou rebelles, ne va pas concocter ou manipuler des faites relève d’une crédulité intéressée. Pourtant, une bonne partie de la couverture de presse étrangère se fonde sur une telle hypothèse.

Le plan de la CIA et des Amis de la Syrie pour chercher en quelque sorte la fin de la guerre en augmentant la fourniture d’armes est également absurde. La guerre n’amènera que plus de guerre encore. Le sonner de John Milton, écrit pendant la guerre civile anglaise de 1648 en hommage au général parlementariste Sir Thomas Fairfax qui venait juste de s’emparer de Colchester, montre une plus profonde compréhension de ce à quoi ressemblent les guerres civiles que n’importe quoi qui a pu être dit par David Cameron ou William Hague. Il écrivait :
For what can war but endless war still breed ?
Till truth and right from violence be freed,
And public faith clear’d from the shameful brand
Of public fraud. In vain doth valour bleed
While avarice and rapine share the land.


Patrick COCKBURN
traduction : Mounadil Mounadiloun http://mounadil.wordpress.com/2013/07/01/syrie-information-de-terrain-...
source The Independent (UK) 30 juin 2013 http://www.independent.co.uk/voices/comment/foreign-media-portrayals-o...
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vendredi 1 février 2013

Nadir Dendoune enfermé, l'Irak détruit, Washington grimaçant

C'est le billet du Cri du Peuple de ce matin qui me fait tressaillir. Un journaliste français est incarcéré en Irak par les militaires. Pas de visites, pas d'interlocuteurs aux autorités consulaires françaises, le néant. Et selon les rumeurs, aucun chef d'inculpation.

Il y a presque dix ans, sous des prétextes plus que puérils, navrants, la coalition Tony Blair-GW Bush jette toute ses forces sur un pays dont la moitié est un désert, et l'autre, le "paradis terrestre" pour reprendre une expression connue. Après avoir tout détruit, y compris la géographie même du pays, les hordes de ces modernes Attila repartent enfin huit ans plus tard. Elles avaient trouvé un pays certes très affaibli par leurs embargos, mais encore vivable. Quand elles repartent, ces hordes, le désert a envahi tout le pays, il ne reste rien.

C'est là qu'un journaliste français, un homme sans peur ni haine, retourne donc dans ce qui reste de cet Irak mythique, celui qui donna naissance à Haroun al Raschid. C'était il y a une quinzaine de jours. Depuis, quelque chose est arrivé, il est au secret. Qu'a-t-il vu, qu'il ne fallait pas ? Le saurons-nous un jour, de préférence de sa bouche même ? 

Quand s'arrêtera de nuire le Ben Laden du monde, la ville de Washington ? C'est en grande partie sous son influence que la Terre est en train, jour par jour, de s'autodétruire. Il faut faire quelque chose !

vendredi 18 janvier 2013

Mission pour l'enfer (suite)

(seconde partie)



Arrivée de l'équipe “fraîche”…

L'équipe fraîche arrive de Paris et il me faut jouer les G.O. à l'aéroport militaire. Un casque bleu pakistanais fouille notre voiture et trouve un revolver planqué sous le siège du chauffeur alors que le garde du corps avait remis sa Kalach ! Le Casque Bleu m'incendie, j'incendie le chauffeur sous l'oeil goguenard des Pakistanais… finalement, grâce à mon statut de femme, on a évité un gros incident diplomatique… le gradé étant vraiment monté sur ses grands chevaux : cet incident prouvait que les femmes sont incapables de gérer… Le repas du soir autour de la bouffe infâme (il n'y a pas grand chose sur le marché) est consacré aux discours “j'étais en coopération en Ethiopie donc je connais bien la Somalie” du journaliste et aux silences du cameraman, qui fut otage au Liban, et sirote son scotch tranquillement. J'essaie d'expliquer que la Somalie est un pays musulman, que c'est l'anarchie qui dirige tout et que, même si la crise passe, l'insécurité règne partout dans la ville… mais rien n'y fait : il connaît, il était en Éthiopie.

Essayons malgré tout de le briefer sur “comment ça fonctionne à Moga, dans la maison, à l'U.E.R. ainsi qu'à la délégation française”. Écoute distante et goguenarde des nouveaux. Ils ont baroudé, eux…

Comme Noël approche le journaliste se vante d'avoir apporté du foie gras pour la circonstance ! Une minuscule boîte alors que nous sommes 4. Le cameraman, lui, a fait le plein de whisky… Il était temps que la maison se remplisse car je me sentais un peu seule… même si, un soir, un dîner avait été organisé à la maison d'à côté par la monteuse, restée elle aussi sur place pendant que ses hommes étaient aussi en voyage avec l'armée française. La nôtre, monteuse, partie quelques jours avec l'ancienne équipe, est revenue avec une équipe de troufions… nous allons donc pouvoir fournir des reportages quotidiens à Paris.
Nouveaux journalistes, nouvelles exigences…

Mes contacts divers et variés permettent d'avoir du grain à moudre. L'UNICEF me propose deux places à bord d'un vol humanitaire qui va à Baidoa. Je bondis sur l'offre et préviens le plus vite possible le journaliste et le JRI qui jouent les baroudeurs et veulent absolument aller tourner au marché aux armes de Moga.

Il y a deux marchés “off” : le marché aux armes et le marché aux caméras et matériel photo piqués aux journalistes. Un cameraman d'une équipe polonaise s'est fait trancher l'avant bras car il refusait de donner sa caméra aux bandits de grands chemins qui avaient coincé leur voiture hors de la ville, dans la zone “dangereuse”. Toutes ces marchandises sont revendues bien sûr à des prix complètement inattendus… car il faut à la majorité des habitants mâles de Mogadiscio de quoi s'acheter du qat. Si les réfugiés ont besoin d'aide humanitaire, faute de denrées comestibles, le commerce du qat est florissant. Il vient du Yémen par on ne sait quel biais… et tous les soirs, à la tombée du jour, tous les Somaliens mâles de Moga commencent à mâchonner et à baver de plus en plus vert, tout en s'endormant sur leur natte.

Les femmes elles, sont rares en ville, elle sont à l'intérieur des maisons… plus souriantes et belles que les hommes trop “secs” et embusqués derrière leur répulsion de la femme occidentale. Elles portent des voiles légers et colorés et me font comprendre qu'elles m'aiment bien parce que je porte toujours un turban sur la tête (j'ai testé pour vous : le coup de chaleur… on se sent mal, très mal… mais pas le temps de défaillir).

Carte de Noël…

Le soir de Noël se passe entre journaliste, cameraman, monteuse et moi-même… whisky et foie gras… et viande-semelle faite par le cuisinier (mais vu l'état vétérinaire des bêtes, il vaut mieux qu'elle soit trop cuite). Les journalistes râlent parce qu'il n'y a pas grand chose à manger ! Mais on n'est pas dans un hôtel 3 étoiles… on est à Mogadiscio, dans une maison de 6 chambres dont seulement 4 sont occupées, et les dollars filent à une vitesse grand V. Heureusement nous avons touché une nouvelle régie. Il était temps… la mienne avait fondu comme neige au soleil. Triste Noël à devoir écouter les réflexions quelque peu “enfant gâté” sur la qualité du repas, les rodomontades de l'ex coopérant à Addis, et à penser qu'on n'est pas sorti de la galère en tartinant son cm2 de foie gras sur du pain ranci.

Envie de départ… 

Nous sommes le 29 décembre et j'explique à Paris que la mission est “béton”. J'ai tout circonscrit et le boulot devient routinier. Je m'ennuie même et les rodomontades de l'équipe ne me font même plus sourire. Je souhaiterais rentrer pour le 31. Le chef du service me donne le top départ à condition que je rapporte le téléphone satellite qui est définitivement out, et qu'il faut rendre le plus vite possible vu qu'on loue très cher même s'il ne marche pas. Mon retour via l'armée de l'air s'organise de Paris. C'est l'accrédité-défense qui me pistonne.
Enfin…

Je dois partir par le vol du lendemain matin 9h sur Djibouti. J'ai un retour open Djib-Paris en poche. La chaîne voisine s'en va elle aussi, et c'est le chef d'état-major des troupes italiennes et ses troupes qui viennent s'installer à la maison d'à côté. Grâce au manager du compound qui a fini par consentir à me parler (tout en me disant que j'étais impure puisque non musulmane), j'apprends que, le lendemain, les Italiens doivent aller à l'aéroport accompagner le grand chef qui part pour Rome. Le manager me présente au gradé italien, à qui je pose ma requête… Rendez-vous est donc pris pour le lendemain matin à 5h car son avion part pour Rome à 6h.

De retour à la maison, je vais m'entretenir avec le journaliste ex coopérant. Je le briefe sur ce qu'il faut faire pour avoir les infos que “maman pélican” (c'est-à-dire moi) lui donnait en becquée. Il prend des notes et s'affole devant tout ce qu'il y a à faire. Il est vrai que j'étais sur la brèche de 6h du matin à 23h, avec un break/sieste pour se ressourcer (et puis la chaleur est insupportable à ces heures). Il râle parce que je l'abandonne (avec son équipe et bientôt l'autre qui va revenir de la campagne française) et me demande de lui donner mes dollars. Alors là non, j'ai besoin de garder quelque monnaie au cas où… “Pas question, me rétorque-t-il, tu me donnes tout ce qu'il te reste en dollars, moi je te donne des francs djiboutiens puisque tu fais escale là-bas”. Je suis donc rackettée (y compris de mes frais de mission personnels s'il m'en restait, ce que je n'ai pas eu le loisir de calculer sur place) de quelque 200 dollars. Je lui demande alors de me signer une attestation. J'ai expérimenté l'insouciance journalistique en ce qui concerne les frais de mission et les régies : je me suis déjà fait voler sur la régie par nos prédécesseurs partis sans payer le loyer. En prime ils avaient laissé une kalachnikov -probablement achetée au marché aux armes dans l'espoir de la rapporter en France- planquée sous un matelas. Payée par la régie, la Kalach ! Découverte aussi le lendemain de leur départ par une femme de ménage. Sympa comme cadeau n'est-il pas ?

Le (faux) départ…

Le lendemain matin, arrivée au compound voisin, les Italiens me proposent un café ! Un bon, un vrai ! Fait avec une cafetière italienne ! Un délice… une petite madeleine de Proust dans cet enfer que je vais bientôt quitter. Nous montons sur la jeep, le chef d'état-major et moi, et nous mettons en route pour l'aéroport. Nous sommes précédés par une autre voiture avec 4 soldats italiens, il y en a 2 dans la nôtre. A plusieurs reprises, et c'est pourtant le petit jour, des enfants somaliens poursuivront la voiture et cracheront dans notre direction. La haine de l'ancien envahisseur est très résistante… Arrivée à l'aéroport, j'ai trois heures à perdre et no duty free où traîner ses savates. Je dépose la valise du téléphone satellite au Q.G. de l'armée française et vais me promener… le soleil commence à darder ses rayons, pas d'ombre, si ce n'est quelques épineux dans un coin. C'est là-bas qu'il faut aller.

Il faut attendre… de temps à autre, passent un bonhomme et son troupeau de chèvres qui m'observent curieusement. Mon foulard autour de la tête doit l'intriguer : une toubab “voilée”… A 9h, je vais vers le coin du tarmac où les avions militaires français atterrissent… J'y découvre l'équipe complète de la chaîne concurrente et anciennement voisine ! Cinq personnes et tout leur équipement, y compris le banc de montage ! Aïe ! Cela prend beaucoup de place et je commence à angoisser… Ne vais-je pas être éjectée pour cause d'avion trop plein ?

L'accrédité-défense de Paris m'ayant certifié la veille que j'embarquerais à bord de l'avion, je me dis que j'ai une chance de pouvoir embarquer vu le peu de place que je prends. Eh bien c'est une erreur : le pilote de l'avion, qui a débarqué une petite grappe de journalistes français sur le tarmac de Moga, refuse de prendre tout ce monde à son bord. Même si je lui explique que c'était d'accord avec sa hiérarchie et que je suis peu encombrante, j'essuie un refus : “le pilote est maître à bord, madame, si je ne veux personne à bord, il n'y aura personne à bord. Je ne fais pas du tourisme”. Me voilà sur le tarmac, sans voiture, sans chauffeur, sans un dollar en poche… sans avion pour Djib. Je suis sur le point de m'effondrer : recalée si près du but. Pas un sou en poche, pas de chauffeur, pas de téléphone, pas moyen de prévenir l'équipe que je suis en rade et qu'ils appellent Paris pour me dépanner.

Qu'à cela ne tienne, j'avise des membres de la presse française, débarqués du zinc de l'armée française. Ils sont complètement perdus sur la piste et je leur propose de leur montrer où est la délégation française et l'U.E.R. à condition qu'ils me prennent à bord de leur taxi car je n'ai pas un rond pour payer. Quatre heures après m'être levée pour partir, je me retrouve à la case départ.

A la délégation française je rencontre un pilote et copilote américains d'un avion de l'UNICEF en partance pour Nairobi, dans l'après-midi. Comme je leur demande s'ils ont une place pour moi et ma valise-téléphone (laissée aux bons soins des troufions français à l'aéroport) dans leur avion, le délégué français répond très vite “non, il n'y a pas de place pour vous”… Le pilote lui rétorque alors que c'est lui qui décide qui monte à son bord et me demande la taille de la valise… Réponse positive ! Yessss ! Je vais enfin sortir de cet enfer…

Je vooooole…

Vers midi, nous nous mettons en route, le délégué français et sa compagne (voilà pourquoi il ne me voulait pas à bord), le pilote, le copilote et moi. Quelques minutes plus tard, me revoilà sur le tarmac… Toujours pas d'ombre et les gros zincs ne cessent d'atterrir et de décoller dans un vacarme assourdissant. Je ne sais pas où me mettre, le petit Cessna qui va m'emporter vers Nairobi est sur la piste, à quelques encablures de la piste principale. Je me mets du coton dans les oreilles parce que je n'en peux plus du bruit. Le délégué français décide de partir pour Nairobi avec un Tupolev d'aide humanitaire qui repart à vide. Bon débarras.

Le soleil brûle, il me faut m'abriter sous la petite aile de l'avion… nous commençons à être quelques-uns sous cette aile protectrice. Quelques journalistes, un Espagnol, une Suédoise, deux fonctionnaires de l'UNICEF, et moi. Sur le coup de 16h, on va embarquer. Je vais vite récupérer ma valise-téléphone et enfin nous décollons : il est bientôt 17h. Douze heures sur un tarmac d'aéroport africain sans aucune infra-structure, c'est dur. Coup de soleil sur le nez et le coup de pied… le journaliste espagnol est cramoisi. Je lui propose de la crème apaisante… il accepte avec un grand sourire. On gèle dans l'avion mais on est tellement content d'avoir pu quitter Moga qu'on ne s'en aperçoit même pas ! J' essaie de communiquer : le journaliste espagnol ne parle pas l'anglais, et moi pas l'espagnol. Je comprends qu'il est content lui aussi de quitter Moga.

Nairobi, avec des francs djiboutiens en poche…

Après une escale à Baidoa, l'avion finit par atterrir sur la piste de Nairobi, mais dans un garage très éloigné des installations aéroportuaires officielles ! L'Espagnol m'aide à traîner la valise, et il connaît bien cet aéroport, ça n'est pas son premier atterrissage en zone non éclairée sur ce tarmac. Nous arrivons enfin devant un officier de police kényan qui me demande 5 dollars pour mon visa ! L'Espagnol étant passé sans visa, lui… Il est huit heures du soir, je n'en peux plus de fatigue, de crasse, ma peau brûle, et un petit fonctionnaire kényan me dit qu'il faut que je paie pour mon visa ! Mon nouvel ami espagnol paie pour moi et comme je demande le pourquoi de ce visa au policier kényan, il me répond candidement : ” l'Espagne n'est pas un pays colonialiste”. J'hésite entre le rire et le pétage de plomb. Et opte pour un : “mais avez-vous entendu parler de Cortès au Mexique ?” L'Espagnol est mort de rire. Je lui explique ma déroute : pas un dollar, une carte bleue personnelle, un billet d'avion Djibouti-Paris en poche, Il me fait comprendre qu'il va me prendre en charge, qu'il a plein d'argent car il n'a rien dépensé à Mogadiscio… Arrêt au desk d'Air France où je réserve un siège sur le vol Nairobi-Paris qui part le lendemain et dis attendre un prepaid de Paris.. et au poste douanier pour laisser le téléphone satellite sous douane. Ouf, le douanier est compréhensif. Comme le départ pour Paris est prévu pour le lendemain soir, ça me laisse le temps de souffler : une nuit et une journée à Nairobi. Mon compagnon espagnol m'a gentiment attendue et nous prenons un taxi pour aller à l'hôtel Hilton.

A l'hôtel, c'est surréaliste : nous arrivons desséchés, brûlés, épuisés, d'une ville où tout montre que c'est la guerre dans un décor de Noël, sur fond de petite musique père-noelisante dans le lobby. Les employés du front desk sont souriants, affables… j'avais presque oublié que des êtres humains pouvaient être cordiaux. On se donne rendez-vous au bar avec le journaliste espagnol. Douche rapide, vêtements de rechange, coup de fil à Paris : le téléphone satellite est resté sous douane, j'ai réservé une place sur le vol de demain soir, merci de m'envoyer un pre-paid et des gens à Roissy pour venir me récupérer ainsi que cette valise. On me prévient que mon prédécesseur a oublier de me laisser les papiers de douane du téléphone satellite ! On verra bien à Roissy.

Rendez-vous au bar… nous sommes deux sortis de l'enfer et complètement décalés. Le taxi qui nous a attendus nous propose de nous amener à un restaurant très touristique de la ville : le Carnivore ! Il nous propose aussi ses services en tant que guide pour le lendemain. Qu'à cela ne tienne, mon chevalier servant me dit que nous n'avons rien d'autre à faire que du tourisme… Au Carnivore, on peut manger toutes sortes de viandes : crocodile, singe, etc… mais nous n'avons envie que de légumes, de salade, et de vin… vin d'Afrique du Sud, délicieux. Nous sommes complètement décalés, à 2h d'avion de Moga pourtant mais on a encore la tête là-bas… nous planons toujours au-dessus du sol kényan et parvenons mal à nous plonger dans cette ambiance occidentalisée… sans nous comprendre, on prend des fou-rires incroyables juste en se regardant. Cette complicité fait qu'on nous prend pour un couple et on nous suggère d'aller en boîte de nuit, là, à côté ! Quelle horreur ! Non, nous sommes toujours entre deux mondes mais “débarqués de Mogadiscio”, ça nous suffit pour être heureux. Ce repas, le vin, le taxi et le petit tour de ville du lendemain se feront aux frais de son journal puisque lui n'a presque rien consommé de ses frais de mission (pas de voiture, pas de matériel lourd puisqu'il est de la presse écrite, une chambre d'hôtel miteuse), en attendant mon vol du soir. Rentrée à l'hôtel je regarde CNN cinq minutes et ricane en voyant le briefing du Général Peck.

Le lendemain donc, un peu remis de nos émotions, nous allons visiter la maison de Karen Blixen, un marché typique, notre guide-taxi est content… nous planons toujours dans le surréalisme… le contraste est trop énorme pour pouvoir vraiment réaliser… je suis constamment prise de fou-rires parce que je me vois en train de jouer aux touristes dans une ville africaine moderne.

J'ai dû rendre ma chambre à midi et mon compagnon me propose de faire une sieste dans la sienne pendant qu'il rédige son article car sa direction lui en réclame un. Il a acheté le journal concurrent dans un kiosque et s'inspire du récit du concurrent pour rédiger son article “en direct de Mogadiscio”… en fait, il doit rester encore une dizaine de jours à Moga, mais il s'aménage des “pauses” à Nairobi quand il a sa dose de Moga. C'est lui qui paye tout, sauf la chambre d'hôtel que je règle avec ma carte personnelle… il paye même le taxi qui va m'accompagner à l'aéroport le soir. Il m'explique que je vais lui manquer… et me voilà dans l'avion rempli de Français de retour de La Réunion… bronzés, insouciants, insupportables avec leur côté gâté-râleur. Le 31 décembre, j'arriverai au petit matin… et comme je le redoutais, serai harassée de question par le douanier antillais de Roissy. “Mais qu'est-ce que c'est un téléphone satellite ? Pourquoi n'avez-vous pas les papiers ? Etc.” Il finit par me lâcher et je vois, derrière la porte qui s'ouvre, des collègues du planning son venus m'attendre, ainsi que le téléphone satellite !

Paris et le retour dans les dures réalités…

Au retour dans la rédaction, il a fallu faire des déclarations sur l'honneur, sur le conseil de la responsable des missions… sans quoi j'aurais été redevable de milliers de dollars à la boîte ! L'ardoise des prédécesseurs aurait pu m'endetter… mais visiblement c'était le dernier de leur souci.

Après le retour de la journaliste avec laquelle j'étais partie, nous avons un peu parlé de la Somalie, échangé nos points de vue, puisqu'elle était allée à l'intérieur du pays. Elle s'empresse de me dire : “oh, ça va s'arranger, j'en suis sûre”… ce qui me fait sursauter. Les échanges que j'ai eus avec les locaux, les humanitaires, ce que j'ai vu du comportement des Américains, me font au contraire envisager le pire pour les Somaliens… Puis, comme elle me dit que les équipes vont toucher une prime de risque, je lui dis qu'en ce qui me concerne, je n'ai rien eu depuis mon retour. Après être monté voir l'administrateur de la rédaction, elle descendra en me disant : “il dit que tu as assez d'argent en heures supplémentaires et que ça suffit, tu n'as pas besoin d'une prime de risque” ! Ben voilà ! Visiblement, j'étais suspectée d'avoir eu la main lourde en heures sups non faites : 3 semaines de 6h du matin à 23h, je ne les ai pas inventées… Quant aux risques, visiblement, je n'en ai pas courus…

Du coup, on est peu surpris d'apprendre par le Canard Enchaîné qu'un ancien preneur de son pigiste, retenu presque trois ans en otage au Liban, n'a jamais été déclaré en “accident du travail” par la chaîne qui l'employait… De même, lorsque les techniciens doivent, pour les longues distances, voyager en seconde alors que les journalistes sont en classe affaire.

Publié il y a 27th May 2010 par clomani


Mission pour l’enfer (Clomani)

L'Afrique... on en parle beaucoup ces temps-ci. C'est pourquoi je repense à un témoignage qui avait été écrit il y a un certain nombre d'années déjà. Malheureusement (pour les Africains), je crains que ce texte n'ait pas pris une ride depuis vingt ans. Je le redonne ici, il a été écrit par une amie de France 2, maintenant et depuis peu à la retraite. Merci, et bon vent Clomani !


Mission pour l’enfer

Avant départ et voyage

En général, la mission à l'étranger est demandée par le chef du service Politique Étrangère, après examen de la situation : s'il y a urgence, l'unanimité est vite atteinte malgré la hiérarchie pléthorique. A cette époque (années 90) les missions sont encore un peu chères : équipes formées d'un Grand Reporter (titre honorifique typiquement français), d'un journaliste-reporter d'image (dit JRI), d'un preneur de son… très souvent d'un monteur d'images, quelquefois d'un assistant technique ou plus rarement d'un assistant de production.

Les équipes sont formées selon les desiderata des “plannings” concernés. Le “planning caméra” envoie le JRI de permanence, le “planning son” en fait autant. Sauf que souvent, le journaliste Politique Étrangère renâcle avec certaines personnes… Les palabres commencent alors pour que le Grand Reporter puisse partir avec les personnes de son choix. Dans les missions à risque, la complicité ou le respect aident à faire du meilleur travail, de toutes façons. La mission à l'étranger honore les gens désignés, en général… Ça leur permet aussi, quelquefois, de “gratter” un peu de monnaie sonnante et trébuchante grâce aux “frais de mission” et à la “régie”. Les frais de mission sont destinés à couvrir les frais de bouche et d'hôtel à l'étranger, la régie à régler les salaires des interprètes, les bakchichs éventuels, et les autres frais divers inhérents aux reportages qui seront faits.

La demande de mission est lancée et doit revenir avec les signatures de la hiérarchie (pardi, on ne va pas claquer des sommes astronomiques sans l'aval de la direction). Le service “missions étranger” gère les billets d'avion et les avances de frais de mission, le journaliste demande de la documentation sur le pays où il va, va à l'ambassade s'occuper des visa (ou envoie quelqu'un de l'équipe s'il n'a pas le temps) après que la secrétaire ait fait la demande officielle sur papier à en-tête. De leur côté, le JRI et le “sondier” préparent tout le matériel technique dont ils vont avoir besoin pour les reportages.

Certains départs en mission se font dans une harmonie tangible… on sent que les équipes ont déjà travaillé ensemble, que ceux qui la constituent se connaissent plutôt bien. Ils ont leurs habitudes etc. D'autres sont nettement plus houleux et là c'est le stress qu'on peut sentir.

La mission pour l'enfer se passera à Mogadiscio, où une équipe doit aller relever les nombreux journalistes, JRI, sondiers, producers qui y étaient : une équipe depuis le début, les autres pour faire un magazine sur les conditions de travail des journalistes dans un conflit à l'étranger. Cela se passe aux environs du 10 décembre 94. La journaliste qui part a demandé à ce que j'aille renforcer la mission en tant que “producer” (peu de choses à voir avec le producer des équipes US qui a le rôle d'un manager de terrain, rédacteur en chef, mais plus avec le côté débroussailleur de terrain et facilitateur de démarches officielles, administratives etc.) Il y a un JRI, un sondier aguerri aux missions à risque, plein d'humour et de confession judaïque - comme on part pour un pays musulman, la Somalie il nous dira dans l'avion : “vous m'appellerez Ali au lieu d'Elie, hein, n'oubliez pas”. En plus : une monteuse et une assistante de production-producer. Le rendez-vous est donné, l'avance sur frais de mission touchée, les billets d'avion aller-retour : Paris - Beyrouth - Djibouti dans nos poches.

Nous nous retrouvons à Roissy le matin… un peu fatigués après une nuit raccourcie par les préparatifs (il faut emporter draps etc car les équipes sur place ont loué une maison à Moga) mais de bonne humeur. Il pleut sur Beyrouth où l'avion fait une escale technique… puis en route pour Djib. Là, nous survolons l'Arabie Saoudite de nuit et nous pouvons voir une étoile de lumières dessinée sur le sol, à des milliers de mètres au-dessus de l'avion : c'est Djeddah. Arrivée à Djibouti où nous plongeons dans la touffeur extrême, un taxi nous emmène à un grand hôtel où il ne reste plus que deux chambres (nous sommes 5) car les observateurs internationaux venus scruter si les élections djiboutiennes étaient démocratiques monopolisent toutes les chambres décentes. Qu'à cela ne tienne : les deux garçons auront une chambre double, et nous une triple. Il est minuit, la journaliste ne supporte pas l'air conditionné et le coupe sans nous demander si nous, on ne serait pas mieux avec. Par téléphone avant de dormir, elle a appelé Paris, l'accrédité défense, pour lui demander qu'il intercède en notre faveur auprès de l'armée de l'air à Djibouti. En effet, nous allons avoir besoin de prendre un avion de l'armée pour aller jusqu'à Mogadiscio où, vu la guerre, aucune compagnie aérienne n'atterrit, où l'aéroport est devenu militaire etc.

Nous dormons quelques heures et nous sommes réveillées par le bavardage de la journaliste avec le général X, de la base aérienne française de Djibouti, qui va nous permettre d'atteindre Mogadiscio en avion : départ en début d'après-midi. Cela nous laisse la matinée pour découvrir Djibouti et aller à la télévision djiboutienne prendre des contacts au cas où… Il fait très chaud, Djib est une ville sans ombre. Normal, sécheresse extrême = aucun arbre… des petits épineux à l'entrée et à la sortie de la ville. Les rues sont des rues typiquement africaines… avec les femmes en boubous et voile colorés.


Approche de l'enfer…

L'heure du départ arrive. Une jeep militaire vient nous chercher pour nous aider à aller à l'aéroport militaire. Le matériel et nous mêmes sommes conduits à l'aéroport où un énorme Transal est préparé pour des livraisons de matériel aux militaires français en poste à l'aéroport de Moga. Nous sommes sur la piste et nous assistons au chargement et à l'arrimage de 2 jeeps et d'énormes caisses de matériels divers dans le zinc.

Il fait très chaud. Il doit être 14h et c'est infernal… Enfin nous montons à bord car le Transal est chargé. Quelques journalistes de la presse écrite français s'installent en même temps que nous sur les banquettes peu confortables rivées aux parois intérieures de l'avion. Ceintures de sécurité rudimentaires… La journaliste de la télé, elle, a droit aux honneurs de la cabine de pilotage. Nous, derrière, n'avons pas de hublots… on n'est pas en vacances, quoi ! On a autre chose à faire qu'à regarder le paysage… Les co-embarqués retournent à Mogadiscio et nous racontent leur court séjour à Moga il y a une quinzaine de jours… ils ont suivi l'opération distribution de riz organisée par Kouchner : cadeau des enfants français aux enfants somaliens. On rit beaucoup au récit de la caméra qui n'avait pas eu le plan de Kouchner portant un sac de riz… et du “bis repetita” kouchnerien (3 minutes, pas plus, juste pour le plan)… un peu moins lorsqu'on nous décrit l'atmosphère d'anarchie suprême qui règne dans la capitale somalienne. Après quatre heures de vol dans un avion frigorifié, nous atterrissons dans le four de Mogadiscio…

Nous y sommes !

On débarque les passagers civils en premier. Deux ou trois collègues de la Rédaction nous attendent dans deux voitures différentes, sur le tarmac. Il fait déjà nuit mais toujours chaud. Échanges d'informations pendant le parcours. Nous roulons dans une petite jeep inconfortable conduite par un très jeune Somalien dont j'apprendrai plus tard qu'il sera le chauffeur de notre équipe. Arrêt à la délégation française une des étapes obligatoires de la presse française… A peine descendus de la jeep, des dizaines de petites mains viennent vous tripoter le pantalon au niveau des poches… ce sont les mains des nuées d'enfants qui attendent les toubabs pour les taper ou leur faucher du fric. L'un de nos rédacteurs en chef s'est d'ailleurs fait piquer la régie énorme qu'il avait… et je lui apporte la régie de “remplacement”. Jamais eu autant d'argent sur moi car je suis “régisseur”… c'est un peu effrayant, surtout quand on constate qu'on nous voit comme des coffre-forts sur pattes. La délégation française est managée par un baroudeur, ex aventurier en Afrique, futur navigateur sur les mers asiatiques. Kouchner est rentré à Paris. Les locaux font office de boudoir ou de salon à toute la presse française en mission à Mogadiscio, c'est un lieu de péroraisons… Le whisky y coule à flot… la bouffe y est bonne. Les employées sont locales et le premier soir, on nous sert des tonnes de homards à la mayonnaise. Je n'ai jamais vu autant de homards de ma vie : “les Somaliens, musulmans, ne mangent pas les animaux à carapaces” me répond-on lorsque je dis : “mais pourquoi ne donne-t-on pas à manger à tous ces réfugiés qui crèvent de faim dans les camps en ville ?”. Fatigue, whisky, conversations de salon journalistiques m'épuisent… nous finissons par aller au bercail de la boîte. Une énorme bâtisse où nous arrivons au clair de lune. Des types sont allongés sur la terrasse, kalachnikov à leur côté, mâchonnant le célèbre qat… ils ont l'air complètement “partis”. A l'intérieur de la maison, une dizaine d'hommes, tous travaillant pour la télé, est en train de préparer leurs départs à des heures différentes, pour le lendemain. Le JRI de la première équipe est à MSF car il a une maladie visiblement tropicale qui ressemble à la dengue et qu'il est malade comme un chien. Il doit être rapatrié en France via un avion de l'armée de l'air française demain et on me charge de l'accompagner… ça me fera au terrain. Un autre membre des équipes a déjà été rapatrié à Paris car malade lui aussi. Un moteur pétarade bruyamment au loin, c'est celui du groupe électrogène qui alimente notre maison.

Arrivée au “bercail” mogadechien

Ils sont sur le point de se coucher lorsque nous débarquons et tous disparaissent dans leur chambre respective, au 1er étage… la monteuse hérite d'une belle chambre pour elle toute seule (les cassettes déjà tournées y sont installées). Les deux hommes de notre équipe vont partager la chambre avec leurs confrères… Nous, les deux filles restant, eh bien… on n'a qu'à se débrouiller. Aucun homme galant parmi les confrères : ils partent pourtant aux aurores le lendemain et pourraient nous céder leurs lits… Apparemment ça ne leur vient pas à l'esprit. Nous disposons quelques coussins par terre dans ce qui avait du être un salon : ce sera notre chambre, à la journaliste et à moi… Dans la nuit, on entend des tirs sporadiques de mitraillette. C'est ma première fois dans un pays où le conflit est dans la ville, où nous avons des “gardes du corps”… Pas le temps de se poser des questions, on est épuisées donc on dort, peu importent les conditions de confort qui laissent à désirer.


Jour de repérages

Lendemain matin, branle-bas de combat, les producers partants me briefent pour la gestion du quotidien et des diffusions des sujets. Pour cela, ils m'emmènent à la maison où s'est installée l'Union Européenne de Radiodiffusion à dix minutes en voiture de notre maison… dont j'apprends qu'elle est voisine de celle de la chaîne concurrente, le loueur du coumpound étant le même. Il faut se familiariser avec l'anglais primitif du garde du corps/interprète (qui en fait connaît 3 mots d'anglais : Ibiyou (EBU : initiales de l'UER en anglais), home, French delegation) . S'il a 20 ans, c'est déjà bien… Le chauffeur qui ne parle même pas un mot d'anglais, a le front bas et paraît la quarantaine. A l'UER, on peut trouver des salles de montage destinées aux télévisions diverses et variées. Sa cour ombragée ou son toit sont les endroits d'où se font la plupart des “plateaux télé en direct”… L'UER s'occupe des envois par faisceaux de tous les reportages ou des directs faits par les divers journalistes et chroniqueurs de télévision. Il y a des Suisses, des Anglais, des Italiens, des Polonais, des Américains (mais CNN a sa propre parabole dans la cour car CNN a les moyens) etc. Là aussi la presse permet, cette fois-ci à des femmes somaliennes, de gagner un peu d'argent. On y trouve quelques cuisinières, qui vous font la tambouille et vous la proposent en cas de faim. Ce sont des plats composés de riz mais on peut trouver du pain… le plus consistant est fait de rations militaires négociées ou d'aide humanitaire détournée.

A l'intérieur de l'UER, chaque télévision a son propre bureau, avec banc de montage personnel ou loué par l'organisme européen. En cas de problème, l'usage est de se dépanner les uns les autres. Quand il manque, au montage, le plan d'un endroit de la ville, les agences comme Reuters ou A.P., ou les confrères qui ont tourné le plan nous dépannent… à charge de revanche. A Moga, notre salle de montage est au rez-de-chaussée, des fils ont été tirés à la va-vite et à la débrouille… le téléphone satellite dont l'antenne est sur le toit du petit hangar à côté, marche très mal. C'est l'ancêtre des téléphones portables : une valise plutôt imposante et lourde !!! En mission dans ce genre d'endroit, il faut vraiment être bricoleur. Il faut trifouiller et bricoler le matériel pour pouvoir arriver à ce qu'il fonctionne… le téléphone satellite est agonisant et communiquer avec Paris devient aléatoire. C'est pourtant indispensable quand il nous faut faire la coordination entre les éditions et les équipes sur place. Ce premier jour est consacré à un repérage des lieux et à la prise en main du matériel…La monteuse s'installe, la journaliste et son équipe vont flairer un peu la ville et essayer de tourner de quoi faire un sujet éventuellement pour le 13h, sûrement pour le 20h. On m'a chargée d'aller chercher le JRI malade et de le conduire côté français à l'aéroport militaire de Moga… Chauffeur à l'air buté et jeune garde du corps muni de sa Kalach (si maigre qu'une chiquenaude le ferait basculer) vêtus de T.shirts par dessus leur pagne traditionnel à gros carreaux, me conduisent d'abord à MSF où je récupère un pauvre gars complètement zombie, puis à l'aéroport. Pour entrer à l'aéroport, il faut montrer patte blanche : des Casques Bleus pakistanais, chargés de faire régner l'ordre autour des installation aéroportuaires ou ce qu'il en reste, font la police à l'entrée. En fait, il faut leur montrer nos badges (j'ai hérité de celui de mon prédécesseur à qui je ne ressemble pas du tout). Qu'à cela ne tienne, ils ne savent pas lire notre alphabet et ne regardent même pas la photo. Mais, capital il faut surtout leur remettre les armes… Une ONG Internationale comme l'ONU transformant ses casque bleus en hommes vestiaires d'armement ? Les armes sont interdites à l'aéroport où une noria de Tupolev et autres gros porteurs débarque l'aide alimentaire, du matériel militaire, des troupes et des journalistes du monde entier. Toute cette richesse doit être en effet très tentante pour les groupes armés qui sévissent un peu partout dans la ville.

Mogadiscio au quotidien…

L'armée française a installé son campement sur le tarmac de l'aéroport… l'ambassade de France étant dans une zone où il est dangereux de s'aventurer (puisqu'aux mains d'un clan de Somaliens), les militaires français seront nos interlocuteurs et les futurs tour operators des équipes de tournage. A ce moment là d'ailleurs, personne ne s'est offusqué de la situation “embedded” des journalistes français. De l'autre côté du tarmac, sont installés les troupes américaines… dont l'administration centrale est basée à l'ambassade des USA qui se trouve, elle, en pleine ville, tout comme les différentes ONG françaises, étrangères et internationales comme le CICR et l'ONU. L'aéroport est la seule zone sûre de Moga, parce que la plus tentante pour des bandits de grands chemins avides de pouvoir détourner l'aide humanitaire et les produits de leurs larcins.

Le job de producer n'existant pas dans les télévisions françaises, il faut le définir au fur et à mesure que les jours avancent… les premiers jours servent à prendre contact avec la réalité du coin, à humer l'ambiance… et à gérer le quotidien. Je vais devoir administrer les Somaliens qui travaillent dans notre “compound” (cuisinier, femme de ménage et manager), les interprète et chauffeur et la voiture de loc. Administrer signifiant payer en dollars sonnants et trébuchants ce qu'on me demande régulièrement. Pour Moga, c'est “flux tendu” : l'état de guerre rend les produits alimentaires hors de prix… L'eau minérale arrive dans la ville via je ne sais quel trafic, d'Arabie Saoudite. Quant à l'essence, c'est denrée rare pour cause de guerre et de destructions d'infrastructures. Il faut payer les loyers de la voiture et de la maison toutes les semaines, l'essence du groupe électrogène et de la voiture, le personnel tous les jours. Devant le départ de la majorité des journalistes, pour cause de changement d'équipes dans les deux maisons du compound, le manager vient me réclamer le loyer. On s'était bien gardé de m'informer qu'on me laissait une ardoise, et le loyer a été multiplié par 10 ! Refus catégorique de ma part mais le grand chef de la maison, affolé par les départs, a peur d'être à court d'argent. Âpre discussion avec un Somalien qui ne me regarde jamais dans les yeux : je ne suis qu'une femme occidentale et je suis donc infréquentable pour le bon musulman qu'il est (il se promène partout avec son Holy Coran sous le bras). Sachant que la régie est limitée et voyant les dollars fondre comme neige au soleil, je lui dis que le deal était fixé et qu'il n'est pas question de changer régulièrement de tarif. Quelques heures plus tard, le caméraman viendra me dire, affolé, que le manager a racketté le journaliste de la maison voisine et télé concurrente en lui pointant un couteau sous la gorge, un vrai et qu'il faut donc s'exécuter et payer le montant inflationniste. Il m'informe aussi de l'humiliation suprême que j'ai infligée au manager en refusant de payer, et c'est lui qui doit aller lui porter l'argent du loyer multiplié par 10 !

La pauvreté et l'anarchie sont telles dans Moga que tout le commerce a été organisé autour des équipes de télévisions de toute provenance… Il semble que les plus instruits ont su profiter de leur connaissance de la langue anglaise pour se mettre à la tête de petites équipes de gens du cru, de la famille ou du clan. CNN se promène en ville avec d'énormes 4×4 ou des “pick-up trucks blancs, des gardes du corps surarmés derrière, -mais c'est “tendance” à Moga- et nous faisons vraiment “parent pauvre” avec notre vieille guimbarde, notre garde du corps de 40 kgs tout mouillé et sa vieille Kalach. Rien à faire, y'a du boulot et on se débrouillera comme ça.

En ville, c'est l'anarchie la plus totale. On croise des troupes américaines à pied, en pick-up, en voiture, en camion un peu partout, les Somaliens marchent, rarement accompagnés d'un petit troupeau de chèvres ou de moutons … des dromadaires errent de temps à autre dans ce qui devait être la rue principale de Moga… qui n'est qu'enchevêtrement de carcasses brûlées, de carrioles, de débris… Les endroits où sont les réfugiés se repèrent par les monticules devant la porte : c'est là où on enterre les morts. La famine commence à être enrayée mais des milliers de Somaliens traînent dans les rues de Moga, les équipes de télévisions en voiture, les voitures des humanitaires et les camions militaires, tout ce qui roule embouteillent dès 10h le matin les 4 rues principales de Moga. Pire que Paris un jour de grand départ. Pas de police, pas de feux rouge bien sûr, pas d'ordre et il arrive qu' un camion d'eau de l'armée américaine soit renversé au beau milieu de la chaussée compliquant encore plus ce trafic infernal. Quand on est coincé sur le coup de 14h dans cet imbroglio comme ça m'est arrivé, on est bon pour un “coup de chaleur”… il fait à peu près 45° dehors, et encore plus dans la voiture qui n'avance pas.

Pendant que les équipes tournent…

Le meilleur moyen de travailler est de se lever très tôt, en même temps que le soleil, et dès potron minet, d'aller voir les ONG internationales ou françaises, ou d'aller à la délégation française pour avoir des informations. Mais les informations de la délégation française commencent à dater. Il faut trouver une autre source d'information sur ce qui se passe dans la ville, ce qu'on pourrait se mettre sous la dent pour alimenter les deux principales éditions des J.T. : 13h et 20h en reportages. L'équipe présente à Moga va partir avec l'armée française dans les provinces inaccessibles… journaliste, JRI, preneur de son et monteuse partent, me laissant seule avec le personnel du compound et les punaises du matelas sur lequel je dors (qui me font d'énormes cloques aux chevilles, lesquelles je perce à la lueur de la bougie avec une seringue fournie avant mon départ de Paris) ! Les journées sont consacrées à la quête d'infos et à la diffusion des sujets déjà tournés et montés. J'ai l'ordre d'envoyer les deux sujets d'avance dans deux faisceaux différents afin que le “13h” (moins regardé que le 20h) n'aille pas piquer le sujet du 20h, mieux “achalandé”… Par souci d'économie - on devient vite radin quand les dollars vous filent si vite entre les doigts- j'enverrai les deux sujets par le même faisceau, le prix d'un faisceau est astronomique ! Mais toute cette comptabilité est faite après la mission entre Paris et Genève, siège de l'U.E.R. Bien sûr, ce que la journaliste redoutait se passe : le 13h diffusa le sujet du 20h… (ce que la journaliste ne saura jamais, elle est en brousse avec l'armée française).

C'est par le téléphone satellite qu'on apprend ce genre de nouvelle, alors qu'on est en ligne avec le bureau de la politique étrangère à Paris… par la même occasion on entend quelques voix amies et ça réchauffe un peu le cœur. On se sent bien isolé dans ce gros merdier qu'est Mogadiscio, ville de concurrence télévisuelle, de trafics en tous genres et enfin d'aide humanitaire. La violence est tangible à cause de la présence militaire, des chefs de clan somaliens, des équipes américaines qui exhibent leur richesse au nez de tous et de l'anarchie qui y règne.

Après une journée de prises de contacts, on peut organiser un peu mieux l'emploi du temps quotidien. Chez les humanitaires, souvent étrangers car ils sont là depuis très longtemps, on peut en savoir un peu plus sur qui sont les Somaliens, ce qui les motive, ce qui les guide. Le discours est humain. Chez les militaires, le discours est rationnel côté français, très pragmatique “communicateur” chez les Américains. Pour les ONG internationales, on a du mal à trouver des interlocuteurs : s'ils sont en haut de la hiérarchie, ils tiennent des conférences de presse où on n'apprend rien. En revanche, un employé de l'Unicef devient mon précieux informateur et le lien se tisse entre lui et moi. C'est un Kenyan qui s'appelle Adam. Il fait une petite revue de presse locale tous les matins, accompagnée d'un listing des “événements” du jour. Ces informations vont être d'un grand secours pour la nouvelle équipe envoyée par Paris, menée par un journaliste du service économique de la chaîne. Ah bon ?

Il me faut aussi aller aux briefings de l'armée US : le Général Peck officie tous les après-midi, pour le “prime time matinal” étatsunien… Le Q.G. organisé derrière l'ambassade est au point : quelques bancs ont été improvisés pour la presse, un plateau surélevé pour Peck qui, une fois maquillé, fait son entrée en scène devant un rideau “camouflage militaire”. Les équipes étatsuniennes sont toujours devant, avec leurs gros bras… et nous devons nous faufiler pour y voir quelque chose. Les questions viennent plutôt de CNN et des autres mais les réponses de Peck, lorsqu'elles concernent les Somaliens, permettent de voir la méconnaissance du terrain par les gradés US… On peut ainsi deviner que l'aide humanitaire a dû être un prétexte pour venir s'installer dans la région. En revanche, leurs chargés de relations/presse sont d'une grande efficacité : vous leur posez une question inhabituelle, ils vous donnent rendez-vous une heure après et vous avez votre info, béton. Ils proposent même un “tour” sur un des porte-avions basés au large de Mogadiscio… en hélicoptère, avec vente de briquets tempête au nom du porte avion sur le bateau, etc… A force de parler avec les troufions américains, on apprend qu'une ration militaire française s'échange contre 6 rations militaires américaines. On apprend aussi qu'ils sont très bluffés par l'efficacité logistique des Français… en ce qui me concerne, j'apprécie la facilité des rapports avec eux. Pourquoi est-ce toujours très compliqué dès qu'on essaie d'avoir des informations côté français ou des ONG internationales ? Diplomates vs militaires ? Allez savoir…

(à suivre)