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dimanche 9 décembre 2012

Échange de lettres entre Christophe Oberlin et un acien élève

Merci à Clo pour m'avoir communiqué cet échange intéressant.

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Jonathan D. est un ancien étudiant de Christophe Oberlin à la faculté de médecine de Paris. Jonathan a fini ses études en Israël où il est installé.

En 2004, Jonathan a repris contact avec son ancien professeur, et les deux échangent épisodiquement une correspondance. Voici la dernière qui remonte à quelques jours.


Lettre de Jonathan D.

Bonjour Professeur,

Cela fait longtemps que je ne vous ai pas lu.

Dernièrement on m’a fait remarquer que j'étais cité sur une interview que vous avez donnée à "Radio j", à la suite de la polémique qui a suivi la question sur le cours optionnel de médecine humanitaire. 

J’ai alors regardé les quelques interviews que vous avez donnés à ce sujet.

Plusieurs choses m'ont frappé.

Tout d'abord votre sang froid malgré les questions très embarrassantes, la faculté de poursuivre suivant une suite logique malgré les interruptions. On voit là votre expérience d'orateur.

Cependant après quelques interviews j'ai remarqué que les arguments étaient les mêmes, peu importe la question, et deuxièmement ils sont souvent donnés dans le même ordre.
Cela montre un effort de préparation mais perd de sa spontanéité.

Au sujet de mon point de vue sur Israël, j'ai peur que vous ne soyez loin d'avoir saisi ma position.
Je suis Juif, de droite politiquement, attaché à ma terre par un lien trimillénaire. Je suis souvent en désaccord avec mon gouvernement mais comme un membre d'une famille qui se dispute avec son père. Mes frères juifs sont pour moi plus importants que le reste du monde, comme un frère est plus important qu'un cousin.

Je pense que les juifs ont vécu des centaines d'années sous domination arabe en paix, et donc je ne vois pas de problème pour que les arabes d'Israël vivent sous domination des Juifs, comme le font d'ailleurs les Druzes et les Bédouins. S’ils sont d'accord je vivrai à côté d'eux avec plaisir. Mais s’ils ne le sont pas, je pense que leur place n'est pas en Israël.

L’état d'Israël essaye depuis sa création de réussir cette symbiose de manière démocratique. La charte de l'état déclare notre état comme juif et démocratique.

Voilà un bref résumé de ce que je pense..... Désolé que ce soit un peu cru. 

Je ne pense pas qu'il y ait de solution au problème palestinien parce que deux peuples se battent pour la même terre, chacun pensant que cette terre est la sienne.

Et je finirai par une seule phrase: cette terre est la mienne.



Réponse de Christophe Oberlin :

Bonjour Jonathan,

Merci de ton message. Il est pour la première fois illustré par l’une de tes photos. Je vois que le temps a passé depuis que tu étais mon étudiant à La faculté Bichat à Paris. C’est maintenant à un monsieur que je m’adresse. Pardonnes moi de continuer à te tutoyer, l’habitude est prise et je te suggère de faire de même !

Oui j’ai cité ton prénom sur Radio J, et tu t’es reconnu. Mais tu ne me dis pas si ce que j’y ai dit de toi correspond à ton sentiment. Comme on va le voir, nos opinions divergent complètement. Mais, pour moi en tous cas, le fait que tu restes en contact est significatif. Tout d’abord tu n’es peut être pas sûr à 100% que tes idées sont exactes, puisque tu les confrontes aux miennes. Surtout tu ne m’insultes pas et ne reprend pas à mon égard une accusation d’antisémitisme qui est l’arme de ceux qui n’ont pas d’arguments. La discussion reste donc ouverte, et c’est ce que j’apprécie.

Alors je vais essayer de répondre point par point à ta lettre.

Sur la question d’examen du certificat de médecine humanitaire que j’ai posée en juin dernier et qui traitait d’un cas réel survenu à Gaza en 2009, et malheureusement 2012 a connu d’autres cas analogues, tu me reproches de manquer de spontanéité dans différents interviews : il est vrai que j’ai été interviewé plusieurs fois sur le même sujet, avec les mêmes questions. J’ai donc donné les mêmes réponses. Tu sais aussi que j’essaye d’être pédagogue, et la seule chose qui compte, c’est ce que les gens retiennent. Au risque de la répétition. Et bien en final, cette petite question, l’une des quatre du certificat de médecine humanitaire, a eu un bon effet pédagogique. Beaucoup de gens, en France comme à l’étranger, ont appris la définition d’un crime de guerre (contraire aux lois de la guerre) ou d’un crime contre l’humanité (intentionnel). Et figures-toi qu’à Gaza, la question qui m’a été posée plusieurs fois est : « Est-ce que les étudiants ont bien répondu ?» Et la réponse est oui (80 sur 85).

Tu me dis ensuite que j’ai sans doute mal compris ta position sur Israël. D’où tires- tu cela ? Dans l’interview, je te cite simplement comme quelqu’un qui m’écrit et manifeste à cette occasion un certain malaise. Quand tu m’écris au moment où ton frère part faire la guerre au Liban, n’es-tu pas en souffrance ? La guerre de Gaza qui s’achève à peine t’a-t-elle laissé serein ? Est-ce un pur hasard que tu m’écrives à cet instant, alors que nous n’avons pas communiqué depuis très longtemps ? Étais-tu parmi les 75 000 soldats mobilisés à la frontière de Gaza ? Comment concevais-tu alors ton éventuelle mission ? Le cesser le feu t’a-t-il satisfait, soulagé ? Étais-tu vraiment sûr qu’il aurait été juste de te donner l’autorisation de tuer ? 

Alors tu me dis que tu es « juif et de droite politiquement ». Cela n’a rien évidemment de contestable, et je peux te dire qu’aucun de mes amis du Hamas n’a jamais devant moi contesté ce sentiment d’appartenance en tant que tel.

Tu te dis « attaché à ta terre par un lien trimillénaire ». Ce que tu dis là est du domaine socio culturel. C’est ce qu’on t’a dit, et tu en es convaincu. C’est du domaine de la croyance, et la croyance par définition ne se discute pas. Mais il faut savoir séparer la croyance du profane, et respecter dans son comportement ceux qui ne partagent pas cette croyance. Reproches-tu aux Chinois ou aux Indiens de croire à autre chose ? Peux-tu me dire si l’appartenance à la communauté juive implique le rejet de ceux qui ne partagent pas la même croyance ? 

Si l’on met de côté la croyance, voyons l’Histoire. C’est justement il y a trois mille ans qu’est née la Philistia, par fusion d’une immigration venue d’Asie Mineure et de Crête avec la population locale du pays de Canaan. La langue, l’archéologie, les textes égyptiens puis assyriens sont là pour nous le prouver. Avec les cinq villes de Philistia : Ashkelon, Gaza, Ashdod, Ekron et Gath. Cinq villes dont quatre aujourd’hui sont en Israël, et la cinquième assiégée ! Et l’attachement que tu manifestes pour Jérusalem, légitime dans ta croyance, est-il exclusif et plus légitime que celui des chrétiens pour la Terre Sainte ou des musulmans pour les mosquées de l’esplanade ? 

Tu me dis que ton attachement à un frère juif est plus important que ton attachement pour un cousin. C’est naturel, mais la société et la loi sont là, dans les pays démocratiques, pour faire en sorte que le cousin, voire l’étranger, bénéficie en final de droits égaux. Sinon, c’est la tribu. L’état d’Israël doit-il aujourd’hui se comporter comme une tribu, ou comme un état démocratique ? Et tu cites justement la formule « état juif et démocratique ». Il n’est pas rédhibitoire dans les textes généraux qui régissent un état, de faire référence au fond culturel de la majorité de la population. A condition que tous bénéficient des mêmes droits. La référence à l’Islam dans les républiques du Sénégal ou de Turquie, n’implique pas l’expulsion des non musulmans, ni leur exclusion de la vie démocratique. Penses-tu réellement que les Palestiniens israéliens peuvent, aussi facilement que les juifs, entrer facilement à l’université, obtenir un crédit pour construire une maison, entrer dans l’armée, présenter le journal télévisé, être ministre ?

Alors tu me dis « que les juifs ont vécu des centaines d’années sous domination arabe, en paix, et que tu ne vois pas le problème pour que les arabes vivent sous domination juive ». Et tu ajoutes : « comme le font les Druzes et les bédouins ». Ne te rends- tu pas compte que le monde aujourd’hui a changé, et essaye d’imposer une notion fondamentale : l’égalité des droits entre les individus, où qu’ils se trouvent. Avec notamment un objectif qui est d’éviter que les minorités ne soient écrasées et disparaissent sous la force des majorités. Et la communauté juive est justement l’une de ces minorités ! Et la garantie de la pérennité d’une minorité, ce ne sont pas les armes, mais la paix avec ses voisins, et notamment avec ceux qui habitent dans le même immeuble !

Tu termines en disant que « deux peuples se battent pour une terre dont ils pensent qu’elle est la leur. Cette terre est la mienne ». Le problème c’est que les Palestiniens ont toujours les actes de propriété de leurs terres, et que toi tu n’en as aucun ! 

Et bien je vais te dire une chose. Le Hamas dit qu’il ne reconnaîtra jamais l’état d’Israël. Et pourtant, malgré tout le mal qu’il leur a été fait, ils acceptent que tous ceux qui se sont installés sur la terre de Palestine depuis un siècle y restent en bonne entente, eux et leurs enfants, à condition qu’ils acceptent l’égalité des droits. C’est-à-dire la démocratie, le respect des convictions religieuses, de la culture, de la langue de chacun etc. Figures- toi que certains de mes amis palestiniens, et parmi les plus revendicateurs… apprennent l’hébreu ! D’aucuns l’ont même appris dans les prisons israéliennes. Oh non, ce ne sont pas des collabos ! Ils ne renoncent à aucune de leurs convictions politiques ou religieuses. C’est simplement une reconnaissance d’un état de fait : « Il y a des hommes et des femmes immigrés récents qui parlent hébreu et nous devons les connaître et pouvoir dialoguer. Mais cela ne retire rien au fait qu’ils habitent dans ma maison, font cultiver mon champ, et que nous devons trouver un arrangement sur la base du Droit. » 

Donc mes amis du Hamas refusent de reconnaître l’état d’Israël, mais ils acceptent de vivre en bonne entente avec… les Israéliens, dans le sens des habitants actuels de l’état d’Israël ! N’est-ce pas l’essentiel ?

Est-ce que ce ne serait pas un bel objectif religieux que de promouvoir la réconciliation par le Droit ?

Christophe Oberlin 

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(Note - on ne trouvera pas la fiche Wikipedia du professeur Oberlin, praticien humanitaire en butte à de nombreuses haines)

1 commentaire:

  1. Je salue ce dialogue ouvert, soyons confiant dans la vertu de JUSTICE, cette spécificité Humaine (propre à l'Homme) puise son origine non pas d'un concept, d une élaboration mais qu'elle est naturelle, nécessaire, spontanée, elle est éthique avant d'être morale.

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