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jeudi 10 mars 2016

Le néolibéralisme, un fascisme ? Oui, certainement ! par Pierre Verhas

Voilà un article qui va au fond même du Système actuel, et qui en démonte les mécanismes les plus basiques. Merci au Grand Soir pour avoir relayé ce billet.


Selon la présidente de l’Association syndicale des magistrats belges...

Le néolibéralisme, un fascisme ? Oui, certainement !

Dans Le Soir du jeudi 3 mars 2016, Madame Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats en Belgique, a fait paraître une tribune intitulée « le néolibéralisme est un fascisme ! ». Madame Cadelli est en effet connue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. L’année dernière, par exemple, elle a dénoncé avec vigueur la politisation du Conseil supérieur de la Justice, alors qu’il a été créé pour éviter cette fameuse politisation. Aujourd’hui, elle s’attaque au néolibéralisme bien présent dans le gouvernement de Charles Michel.
Ses propos, on s’y attendait, ont provoqué une levée de boucliers chez les tenants du libéralisme pur et dur en Belgique francophone. Henri Miller, Louis Michel, Corentin de Salle y sont allés de leurs dénonciations indignées ! Oser les traiter de fascistes, eux, les libéraux purs et durs, tenants d’une pensée inaliénable issue des Lumières ! Horresco referens ! Louis Michel est allé jusqu’à dire : « Je ne voudrais pas être jugé par cette magistrate ! » Tiens ! Ce serait instructif de voir cela, s’il échait…

Outre le titre « provocateur », qu’écrit donc Madame Cadelli ? Elle commence par distinguer clairement libéralisme, doctrine « déduite de la philosophie des Lumières, à la fois politique et économique, qui visait à imposer à l’Etat la distance nécessaire au respect des libertés et à l’avènement des émancipations démocratiques. Il a été le moteur de l’avènement et des progrès des démocraties occidentales. » et le néolibéralisme qui est « cet économisme total qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. C’est un extrémisme. »

Elle définit ensuite le fascisme comme étant « l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste. » Le néolibéralisme est donc un fascisme « car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun. »

Manuela Cadelli passe ensuite en revue les différentes mesures néolibérales imposées par la finance.

Tout d’abord, l’austérité est désormais « une valeur supérieure qui remplace le politique. » Elle s’inscrit même dans les Constitutions des Etats et « ridiculise » les services publics. L’austérité a des graves conséquences sur la base philosophique de notre vie socialie, car elle génère en outre un « nihilisme » qui « a permis de congédier l’universalisme et les valeurs humanistes les plus évidentes : solidarité, fraternité, intégration et respect de tous et des différences. » Même la pensée économique en est ébranlée. Autrefois, le travail était un élément de la demande, aujourd’hui il n’est plus qu’une « simple variable d’ajustement. »

La novlangue orwellienne

La magistrate dénonce ensuite l’évolution orwellienne de notre société. Elle énumère une série de mots dont la définition académique est transformée « … comme dans le roman de George Orwell, le néolibéralisme a sa novlangue et ses éléments de communication qui permettent de déformer le réel. Ainsi, toute coupe budgétaire relève-t-elle actuellement de la modernisation des secteurs touchés. Les plus démunis ne se voient plus rembourser certains soins de santé et renoncent à consulter un dentiste ? C’est que la modernisation de la sécurité sociale est en marche.

L’abstraction domine dans le discours public pour en évincer les implications sur l’humain. Ainsi, s’agissant des migrants, est-il impérieux que leur accueil ne crée pas un appel d’air que nos finances ne pourraient assumer. De même, certaines personnes sont-elles qualifiées d’assistées parce qu’elles relèvent de la solidarité nationale. »

Un autre aspect est le « culte de l’évaluation ». On applique le darwinisme social qui invite à tout le temps faire des performances et estime que « faiblir c’est faillir ». C’est aussi un totalitarisme de la pensée : « tout postulat humaniste est disqualifié ou démonétisé car le néolibéralisme a le monopole de la rationalité et du réalisme. Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : « There is no alternative » (le célèbre TINA). Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Les vertus du débat et de la conflictualité sont discréditées puisque l’histoire est régie par une nécessité. »

L’efficacité est la maîtresse absolue. L’évaluation permanente détruit la confiance et les relations sociales. « La créativité et l’esprit critique sont étouffés par la gestion. Et chacun de battre sa coulpe sur les gaspillages et les inerties dont il est coupable. »

Comme magistrate, Madame Cadelli se penche sur la Justice en Belgique qui, d’après elle, est la dernière de tous les Etats de l’Atlantique à l’Oural !

Le néolibéralisme engendre des normes qui concurrencent les lois votées au Parlement. « La puissance démocratique du droit est donc compromise. Dans la concrétisation qu’ils représentent des libertés et des émancipations, et l’empêchement des abus qu’ils imposent, le droit et la procédure sont désormais des obstacles. »

D’autre part, les restrictions budgétaires, la Justice n’est plus ce contre pouvoir prévu par la Constitution. « En deux ans, le gouvernement a réussi à lui ôter l’indépendance que la Constitution lui avait conférée dans l’intérêt du citoyen afin qu’elle joue ce rôle de contre-pouvoir qu’il attend d’elle. Le projet est manifestement celui-là : qu’il n’y ait plus de justice en Belgique. »

Et elle constate : « Et pendant que l’État belge consentait sur dix ans des cadeaux fiscaux de 7 milliards aux multinationales, le justiciable a vu l’accès à la justice surtaxé (augmentation des droits de greffe, taxation à 21 % des honoraires d’avocat). Désormais pour obtenir réparation, les victimes d’injustice doivent être riches. »

Ensuite, l’auteure dénonce une classe dominante bien décrite par Thomas Piketty dans son livre Le capital au XXIe siècle. Cette classe ne se soucie ni d’éthique, ni de l’intérêt général. Elle s’impose par sa brutalité.

Enfin, Manuela Cadelli dénonce « l’idéal sécuritaire » issu du terrorisme : « Le terrorisme, cet autre nihilisme qui révèle nos faiblesses et notre couardise dans l’affirmation de nos valeurs, est susceptible d’aggraver le processus en permettant bientôt de justifier toutes les atteintes aux libertés, à la contestation, de se passer des juges qualifiés inefficaces, et de diminuer encore la protection sociale des plus démunis, sacrifiée à cet « idéal » de sécurité. »

Après ces terribles constats, il reste cependant un espoir comme cela s’est passé à plusieurs reprises tout au long de l’histoire : reprenant Machiavel, la juge écrit « plus la situation est tragique, plus elle commande l’action et le refus de « s’abandonner » (…). Cet enseignement s’impose à l’évidence à notre époque où tout semble compromis. La détermination des citoyens attachés à la radicalité des valeurs démocratiques constitue une ressource inestimable qui n’a pas encore révélé, à tout le moins en Belgique, son potentiel d’entraînement et sa puissance de modifier ce qui est présenté comme inéluctable. Grâce aux réseaux sociaux et à la prise de parole, chacun peut désormais s’engager, particulièrement au sein des services publics, dans les universités, avec le monde étudiant, dans la magistrature et au barreau, pour ramener le bien commun et la justice sociale au cœur du débat public et au sein de l’administration de l’État et des collectivités. »

Le salut est donc dans l’engagement. Mais, sans doute est-ce quelque peu optimiste étant donné que l’engagement ne peut se concevoir uniquement de manière individuelle sans qu’il y ait une organisation pour les coordonner.

La riposte
Bien entendu, ce langage n’a pas du tout été apprécié par les libéraux au pouvoir en Belgique et même en France. Epinglons la réplique de Corentin de Salle parue dans Le Soir du 4 mars. Il est directeur scientifique du Centre Gol, le bureau d’études du MR (Mouvement Réformateur, le parti libéral francophone belge avec à sa tête Charles Michel, l’actuel Premier ministre, allié aux nationalistes flamands de la NV-A). Corentin de Salle, universitaire né en 1972, appuyé à ses débuts par Hervé Hasquin, a fondé l’institut Hayek, il est directeur de l’institut Atlantis qui prône les idées néoconservatrices – tout un programme ! Il est un grand admirateur de Friedrich von Hayek, l’économiste ultralibéral de la période de la guerre auteur de la « Route de la servitude » – en quelque sorte le manifeste de l’ultralibéralisme – où il dénonçait avec force le socialisme et le keynésianisme tout en prônant une société où l’Etat serait réduit à sa plus simple expression au plus grand profit des entreprises privées. De Salle a été chroniqueur au quotidien catholique La Libre Belgique qui s’est séparée de lui suite à une tribune aux relents xénophobes.

Dans sa réplique à la tribune de Madame Cadelli, de Salle commence par s’indigner de ses propos qu’il considère comme insultants. Pensez : assimiler la pensée dominante au fascisme ! Quel sacrilège !

Ensuite, le sophisme : le néolibéralisme n’existe pas. Dès lors, s’il n’existe pas, il ne peut être fasciste. « Certes, Manuela Cadelli prend grand soin de distinguer le « libéralisme » du « néolibéralisme ». C’est là une stratégie oratoire classique. Comme personne ne peut contester l’apport considérable de la tradition libérale à notre société, les détracteurs du libéralisme ont inventé ce concept factice de « néolibéralisme ». En réalité, le néolibéralisme n’existe pas. » M. de Salle devrait pourtant savoir que les politologues distinguent bien le libéralisme politique issu des lumières, considéré comme à gauche jusqu’à la deuxième guerre mondiale, du libéralisme économique qui est devenu le néolibéralisme.

La réalité du néolibéralisme
Ensuite, c’est du délire : « Il est vrai qu’au siècle passé, peu avant la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs penseurs libéraux ou socio-démocrates (Jacques Rueff, Maurice Allais, John Maynard Keynes, etc.), principalement de gauche, se sont revendiqués comme étant « néolibéraux ». Mais, pris au sens qu’on lui donne la plupart du temps, le terme « néolibéralisme » est une mystification intellectuelle : c’est une théorie inventée de toutes pièces par des intellectuels antilibéraux et qui est présentée comme un catalogue de dogmes et d’articles de foi de la communauté libérale dans le but de discréditer le libéralisme. »… Jacques Rueff, John Maynard Keynes et Maurice Allais de gauche ! Non, libéraux reconnaissant le rôle régulateur de l’Etat. Mais c’est déjà trop pour le directeur scientifique du Centre Jean Gol !

Alors, rafraichissons la mémoire de ce cher Corentin. Il affirme qu’il n’y a aucun auteur qui se réclame du néolibéralisme. Encore un sophisme. C’est vrai et faux à la fois. L’expression « néolibéralisme » apparaît dans les années 1930. En réalité, il s’agissait d’une mode. Tout était « néo » : il y avait le « néo marxisme », le « néo socialisme », le « néo saintsimonisme », etc. Il s’agissait, à l’époque, on était en pleine crise économico-financière et le fascisme commençait à s’imposer, de refonder les anciennes doctrines du XIXe siècle et de les adapter aux critères de l’époque.

Contrairement à ce qu’il se passe aujourd’hui, le libéralisme, à l’époque, était remis en question suite à la crise de 1929. Il fallait dépasser les vieux modèles de l’individualisme économique et opter pour une économie plus collective. Keynes n’était pas loin ! Il se développe également un « planisme néolibéral » en réponse au planisme socialiste du Belge Henri de Man. Aussi, on peut dire que Corentin de Salle avait raison en écrivant que John Maynard Keynes était néolibéral (mais ne s’en revendiquait pas). Oui, mais dans le sens du « néolibéralisme » de l’époque qui tentait de répondre à la critique radicale faite au libéralisme suite à la crise.

Aussi, le cher Corentin trompe son monde. Le néolibéralisme des années 1930 n’a rien à voir avec le néolibéralisme contemporain qui comprend la nouvelle économie, ou économie de l’offre qui sévit actuellement comme pensée dominante.

Aussi, cette pensée dominante, selon le directeur de l’institut Atlantis, ne peut s’appeler « néolibérale ». Aussi conclut-il, péremptoire : « En réalité, le néolibéralisme n’existe pas. » Il est bien le seul à le dire !

Les sophismes de Corentin
Il y a une autre tromperie de notre grand universitaire libéral. Il accuse ! « …les intellectuels antilibéraux en sont venus à considérer de bonne foi que les amalgames, simplismes, mensonges et calomnies de leurs prédécesseurs sur le libéralisme constituaient réellement le corpus du libéralisme. Beaucoup pensent sincèrement que cette idéologie repoussoir a réellement été construite par des penseurs libéraux au cours du dernier siècle. Ces derniers sont qualifiés de « néolibéraux ». Qu’est-ce que cela signifie ? Rien. »
Nouvelle malhonnêteté intellectuelle : tous les politologues distinguent la pensée libérale politique de la pensée économique qui est celle du néolibéralisme, à savoir cette pensée dont les principaux fondateurs sont Friedrich von Hayek, Ludwig Von Mises et Milton Friedman. Et on a appelé cela « néolibéralisme » pour le distinguer du libéralisme politique. Mais de Salle persiste. Il écrit plus loin : « il [l’ultralibéralisme] véhicule l’idée que, certes, dans le domaine des idées politiques, le libéralisme a apporté une contribution qui n’est pas dénuée de valeur (les libertés fondamentales, la première génération des droits de l’homme, plusieurs principes démocratiques, etc.) mais que, sous peine de se contredire et de s’annihiler, il doit être absolument tempéré, canalisé, contrebalancé, régulé, etc. par des considérations sociales, humanistes, etc. »

Un exemple tragique : le néolibéralisme n’a rien à voir avec le libéralisme politique qui est un des piliers de la démocratie. En effet, en 1973 au Chili, les néolibéraux américains de l’école de Chicago dirigée par Milton Friedman ont participé au renversement du président élu Salvador Allende et à l’installation de la sanglante dictature du général Pinochet. Et il existe d’autres exemples aussi tragiques dans différentes parties du monde. Mais, pour de Salle, les adversaires du néolibéralisme confondent libéralisme et néolibéralisme.

En réalité, c’est Corentin de Salle qui considère que libéralisme et néolibéralisme sont une seule et même pensée. Tout cela pour fustiger Madame Cadelli : « Manuela Cadelli s’attaque en réalité, quoi qu’elle en pense, au « libéralisme ». Le libéralisme est-il un fascisme ? Je n’ai guère coutume de citer cet individu de noire mémoire mais je pense que Benito Mussolini, le premier grand théoricien du fascisme, a dit une chose significative : « Le fascisme est absolument opposé aux doctrines du libéralisme, à la fois dans la sphère politique et dans la sphère économique ». » Donc, en considérant que le néolibéralisme est un fascisme, Manuela Cadelli attaque en réalité le libéralisme !

Alors, si on suit bien le raisonnement du directeur scientifique du Centre Jean Gol, les libéraux sont complices du coup d’Etat de Pinochet. Cela n’a évidemment aucun sens. Le plus inquiétant est que le MR qui se « droitise » de plus en plus, ait confié son « think tank » à ce personnage.

Et Corentin de Salle insiste et c’est l’aveu : « Une économie est libérale, nous dit Milton Friedman, quand l’Etat prélève environ 30 % des richesses produite. Au-delà, elle devient socio-démocrate. Nous sommes aujourd’hui à 60 % de prélèvements ! Depuis plusieurs années, les divers gouvernements en Belgique votent des budgets en déficit. Les gouvernements s’endettent. En 2014, à l’issue du gouvernement Di Rupo, l’endettement représentait plus de 106 % du PIB. En Allemagne et aux Pays-Bas, ce taux oscille autour de 70 % seulement. Mais le réel n’entame en rien les convictions idéologiques des antilibéraux qui mobilisent constamment toute une rhétorique religieuse (l’« orthodoxie budgétaire », le « respect inconditionnel des sacro saints principes néolibéraux », le « dogmatisme de la rigueur ») visant à ridiculiser ceux qui appellent simplement non pas à diminuer l’endettement, non pas à diminuer l’accroissement de l’endettement mais tout simplement à freiner la vitesse de l’accroissement de l’endettement. Les Français sont généralement les plus imaginatifs pour fustiger ces principes « intangibles » d’équilibre budgétaire. Tellement « intangibles » que la France n’a pas voté un budget en équilibre depuis… 1975. »

Donc, Friedman est un économiste libéral et l’Etat ne devrait relever que 30 % des richesses produites. Autrement dit, plus de sécurité sociale, plus de services publics ; seules l’armée et la police – et encore – resteront sous le giron de l’Etat. Quant à la démonstration archiconnue sur la dette, on peut opposer le sous-investissement public qui pose le problème de l’avenir d’activités essentielles comme l’enseignement, la culture, la recherche scientifique et surtout la structure de la dette publique qui génère le surendettement public et qui est au seul avantage des banques ! Et le contradicteur de Madame Cadelli termine en démontrant l’efficacité de la politique actuelle du gouvernement belge.

Notons que, curieusement, il ne parle pas de l’état lamentable dans lequel se trouve la Justice dénoncé par Manuela Cadelli. Enfin ! Cela fait partie de la réduction des dépenses… Pour Corentin de Salle, « Le libéralisme n’est pas un fascisme. Le libéralisme est un humanisme. » Personne ne dit le contraire, mais le néolibéralisme, lui, est un fascisme. Oui, certainement !
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lundi 17 février 2014

"L’anomalie française", dernier obstacle à l’hégémonie allemande, arrive à son terme (Le Grand Soir)

C'est le moment de répercuter une analyse d'autant plus aiguë et pertinente, qu'elle provient d'une personne étrangère, donc pouvant avoir du recul. Merci au Grand Soir de "donner à lire" une fois de plus.

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Une vision de la France de François Hollande depuis l’Espagne

"L’anomalie française", dernier obstacle à l’hégémonie allemande, arrive à son terme

Le 17 novembre 2013 Paul Krugman a tiré la sonnette d’alarme et dénoncé l’existence d’un « complot » contre la France. La raison : l’abaissement de la notation financière du pays gaulois par l’agence Standard & Poors.
D’une part, il prenait note de la campagne initiée par des grands média économiques internationaux, qui qualifiaient la France d’authentique « bombe à retardement », potentiellement plus grave que l’Espagne, la Grèce et le Portugal ; d’autre part, il analysait ses plus importantes variables macroéconomiques sans trouver aucune raison pour tant de pessimisme et d’inquiétude, surtout par rapport à d’autres pays du soi-disant « noyau » européen. Sa conclusion ne pouvait pas être plus directe : « La France a commis le péché impardonnable d’être financièrement responsable sans faire souffrir les pauvres et les indigents. Elle doit être punie ».

Deux mois plus tard, le célèbre prix Nobel d’économie revient sur le même sujet, cette fois avec un titre encore plus significatif : « Scandal in France ». Le centre de l’histoire : le changement radical de position du président Hollande vers des thèses néolibérales, la réduction de l’impôt des sociétés et des dépenses de l’État tout en revendiquant, ni plus ni moins, la fort connue loi de Say, « l’offre crée sa propre demande ». Il est probable que Marx et Keynes auront sursauté dans leurs tombes en se souvenant ironiquement que lorsque les théories des intellos coïncident avec les intérêts des tous puissants, elles perdent en échange la capacité d’analyse et de prévision.

Le vieux révolutionnaire ajouterait sans doute que le système continue de s’enfoncer dans des contradictions et que la crise ne va pas s’arrêter ; quant au libéral, il se demanderait encore une fois qu’est-ce qui devrait se produire pour que les économistes et les politiques de droite prennent vraiment leçon du passé et cessent de mettre en danger le bien-être des gens et, surtout, la viabilité du capitalisme lui-même.

Il faut cependant nier l’affirmation que Krugman fait sur Hollande, car le président français n’a pas changé de position : maintenant il est simplement en mesure de rendre public son « agenda caché ». Chez nous, en Espagne, le PSOE a beaucoup parlé ces dernières années de « l’agenda caché » du Parti Populaire en attirant l’attention sur la duplicité et l’hypocrisie d’une droite qui dit une chose en tant qu’opposition et une autre radicalement différente quand elle devient gouvernement. Le programme réel caché des anciens sociaux-démocrates français et des conservateurs espagnols n’est nul autre que le réseau de pouvoir néolibéral institutionnalisé et garanti par l’Europe allemande de l’euro.

Lorsque le président français, encore en violation de ses promesses de campagne électorale, a approuvé le « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne » il a sciemment accepté de s’attacher les pieds et les mains aux règles et objectifs qui accentuent les traits « ordolibérales » du traité de Lisbonne et, de facto, font de celui-ci le vrai programme-cadre de gouvernement, en France et dans tous les pays de la zone euro.

En juin dernier, avec sa clairvoyance habituelle, l’historien marxiste anglais Perry Anderson avait averti vers où se dirigeait vraiment le gouvernement français. Le virage à droite étant d’ores et déjà sous-entendu, il avait ajouté deux appréciations qui ont un grand intérêt pour nous les Espagnols. La première, que les socialistes étaient beaucoup mieux préparés que la droite pour mettre en œuvre le programme néolibéral, car ils auraient en face moins d’opposition syndicale et pourraient toujours utiliser l’épouvantail du retour de la droite au pouvoir pour apaiser sa base sociale et électorale.

La deuxième appréciation était plus subtile : étant donné que les gouvernements – tous les gouvernements – mettent en œuvre des politique particulièrement négatives pour les citoyens, ils ont besoin d’un « supplément idéologique » pour polariser le débat public et souligner les différences. Le supplément idéologique de Sarkozy ayant été « l’identité nationale », celui de Hollande est le « mariage pour tous ». En Espagne il paraît qu’il sera l’avortement.

Pour comprendre ce qui se passe et ce qui nous arrive il est essentiel de bien comprendre le rôle de l’UE dans le discours politique. L’Europe (confondue avec l’UE) est l’instrument, la justification et, finalement, la coercition nécessaire pour faire avancer le néolibéralisme dans tous et chacun des pays européens. Ce qui ne pourrait se faire sans grands conflits sociaux et politiques dans chacun des pays individuels, se fait dans toute l’Union sans nuire gravement à la gouvernance et à la stabilité du système.

Le dispositif européen est extrêmement efficace : il sert d’alibi (l’Europe l’a déjà décidé), de justification (on ne peut pas revenir en arrière dans le processus d’intégration européenne, qui est une bonne chose en soi-même) et de coercition (ne pas respecter les traités est se condamner à sortir de l’euro et de l’UE). La clé : déconnecter la souveraineté populaire des décisions importantes qui affectent les populations. Voici l’autre face du processus d’intégration : de façon consciente et planifiée on cède des parties vitales de la souveraineté de l’État à des instances non démocratiques, structurellement liées aux groupes de pouvoir économique, qui prennent des décisions obligatoires pour les États et les personnes. La Troïka n’est que cela : les directeurs généraux des pouvoirs économiques unifiés derrière l’État allemand.

Avec l’appui des employeurs et des institutions de l’Union, Hollande veut mettre fin à « l’anomalie française ». Ce que cela signifie est clair : mettre fin à un État fort, capable de contrôler le marché, de garantir les droits sociaux et d’assurer la citoyenneté pleine et intégrale. Au centre est la République, ses valeurs, ses institutions et, au-delà, la légitimité du système politique. Hollande fait face à un défi commun à tous les gouvernements de la zone euro : comment faire dans des conditions démocratiques que les populations acceptent la dégradation des services publics, la perte des droits syndicaux et du travail et la baisse substantielle des conditions de vie de la personne ?

D’un autre point de vue, on peut dire que la grande tâche des gouvernements de l’UE et ses institutions est de conspirer systématiquement contre leurs citoyens. Pour atteindre cet objectif il est essentiel d’établir une forte alliance entre le capitalisme monopoliste-financier, les pouvoirs des médias et la classe politique.

Dans ce contexte le rôle de l’Allemagne est une réalité qu’on ne peut pas oublier. On pourrait définir ce rôle comme suit : pour que l’État allemand puisse bâtir une hégémonie solide dans l’UE les autres États devraient devenir « moins États », c’est à dire, il doit y avoir un affaiblissement structurel des États-nations et de leurs instruments de régulation et contrôle. C’est là où apparaît la dimension géopolitique. La France est le seul pays qui est en mesure de s’opposer à la grande Allemagne et diriger les pays du Sud. La France républicaine, rebelle et nationale-populaire est encore la grande réserve spirituelle et matérielle de la démocratie plébéienne. Parler ici de Vichy, comme je l’ai fait tant de fois, est bien pertinent : à nouveau s’établit une alliance des pouvoirs économiques français et de l’État allemand pour mettre en échec le mouvement populaire et républicain qui existe vraiment à gauche. Hollande est au centre de cette alliance. Il ne faut pas s’étonner de sa politique étrangère agressive, de son étroit alignement avec les secteurs les plus durs de l’administration usaméricaine et sa subordination à l’État d’Israël.

Est-il si étrange que dans un contexte caractérisé par la construction de démocraties « limitées et oligarchiques » avec dégradation des conditions de vie et perte radicale des droits, la croissance de l’extrême droite et le populisme nationaliste de Marine Le Pen gagnent du terrain ?

Manolo Monereo Pérez
Source : http://www.cuartopoder.es/tribuna/la-anomalia-francesa-ultimo-obstacul...
Traduit par Manuel Talens pour Tlaxcala
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=11360
»» 
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp++cs_INTERRO++reference=11360

mercredi 12 février 2014

Europe des banquiers, ou Europe des Nations ?

Mais qu'ont donc ces enragés de politiciens (y compris Tsipras mais aussi Mélenchon et d'autres) à vouloir garder cette union européenne, basée sur de très mauvais traités depuis le départ (traité de Rome) ? Dans ces conditions on peut comprendre les quasi-persécutions subies par un Asselineau, dont le seul mérite est d'avoir compris là où le bât blesse. Malheureusement il s'arrête largement en chemin. Dupont-Aignan est encore plus frileux semble-t-il.

Oui, c'est clair, une Europe peut exister, unie parce qu'union de nations, pas de banquiers. Paradoxe, pour des raisons de convivialité, elle peut même garder une monnaie commune, ce qui simplifierait échanges et déplacements. Cela permettrait aussi de n'avoir aucunement à régler à nouveau les distributeurs de billets. Les comptes à vue des clients bancaires, libellés en monnaie locale, auraient seulement deux soldes, l'un en monnaie, l'autre en euros selon une parité décidée par la banque nationale une fois par semaine, par exemple. J'avais même lu une étude (je pense que c'est de Sapir) qui avait conclu que le "franc" aurait la même parité avec l'euro, ou peu s'en faut, d'autres comme l'Italie baisseraient, et l'Allemagne monterait. Au bilan l'euro serait donc dévalué par rapport aux monnaies mondiales, ce qui donnerait une bouffée d'oxygène.

L'Europe, c'est notre avenir, à coup sûr. Mais débarrassée des scories financières du genre "concurrence libre et non faussée" largement faussée précisément par les multinationales, elle pourrait devenir un espace de fraternité entre peuples qui se savent de cultures, de langues, etc... différentes tout en partageant ce petit promontoire au ponant de l'Asie. Il lui suffirait d'accepter un contrôle des échanges commerciaux, basé sur la façon dont les marchandises seraient fabriquées ou récoltées. En contrepartie, il serait nécessaire et judicieux d'aller aider les habitants des pays (d'Afrique en particulier) où de grandes sociétés mettent en esclavage agriculteurs et ouvriers, y compris les enfants. Ce serait l'occasion d'entrer en guerre contre les multinationales afin de les amener à rendre gorge.

Entre peuples qui s'estiment parmi le monde entier, il serait possible de faire de grandes choses, à condition de ramener les banquiers à n'être plus que des serviteurs, et non des maîtres (disparition de l'intérêt, disparition du droit à reprêter l'argent selon des réserves dix ou vingt fois, cent fois  inférieures).  Voilà ce qu'il faut réussir à faire. Gageons que les pollutions ne s'étendraient plus, que la faim ne serait plus un fléau, et l'ex-multimilliardaire, plutôt que de déguster du caviar, irait humblement comme ceux de son quartier acheter le poisson de Paulo qui vient de rentrer au port. Une idée me vient : au départ, ce sera un peu dur.


mercredi 5 février 2014

Le retour du débat sur l’euro vu par Laurent Pinsolle

Une vidéo intéressante et très parlante a été faite par Laurent Pinsolle il y a un an, concernant l'euro, et la pertinence d'en sortir.



Pourquoi et comment démonter l'euro : Entretien... par dlrtv


Je ne serai personnellement pas d'accord sur tout, mais les mécanismes qui entraînent la catastrophe actuelle (le mot n'est pas trop fort) sont très clairement décortiqués. Bien entendu, la propagande est très forte pour maintenir le statu quo actuel, en particulier afin de permettre l'avènement du Grand marché international avec les États-Unis.  Nous y serions alors particulièrement sensibles, parce que tout est déréglementé et qu'aucun garde-fou ne subsiste. Nos dirigeants nationaux et internationaux y ont veillé, conseillés par des lobbyistes puissants et persuasifs.

vendredi 20 décembre 2013

Hiroshima, Lampedusa, Fukushima : le crépuscule des gueux (et de TINA)

 On va dire : ce qui se passe à Lampedusa est révoltant. La prison à l'envers s'est déployée, pendant que l'Afrique, l'Asie sont en coupe réglée par les mêmes qui ont fermé leurs frontières.

Dirait-on qu'il s'agit là d'humains sacrifiant d'autres humains ? Il est à craindre que ce soit plus complexe que cela. Il y a là des robots programmés par une logique où l'humain n'a pas sa place, comme dans une usine où des robots fabriqueraient d'autres robots - ce qui est déjà presque vrai dans la réalité. Ces robots que le hasard, ou peut-être pas lui après tout, a réunis à Bruxelles au nord de la Vieille Ville, ne connaissent que la logique financière, celle du Premier Robot qui l'a appliquée à la lettre. Voilà l'évidence.

Malheureusement cette évidence pourrait en cacher une autre : sous des dehors affables, ou plus musclés, combien de "nos semblables" accompagnent cette logique, en prônant l'air dégagé une "préférence nationale", en chuchotant "Ces gens-là.... (mettez ce que vous voulez) y sont pas com'nous", en fustigeant des chômeurs parasites ou des Roms voleurs de poules...... Oui, c'est ainsi que Les Robots sont confortés dans leur croisade libérale (tu parles) visant à mettre en prison ou à expulser presque tout le monde. Prenez une entreprise bien proprette, innovante, qui a besoin d'argent, ce qui est naturel. Faites mine de lui donner ces fonds, qui par la difficulté de les rembourser AVEC INTÉRÊTS vont vous revenir sous la forme d'une entité désormais exsangue. Reprenez-la pour une bouchée de pain, recueillez le savoir-faire, exportez l'usine là on d'autres crèvent de faim, mettez sur le tapis tous ceux qui avaient contribué à créer ce savoir-faire, et recommencez plus loin. C'est ainsi que fonctionnent "les libéraux". Cerise sur le gâteau, les biens ainsi faits ailleurs vont revenir, au même prix ou presque, mais sans le savoir-faire, sans ce PLUS qu'avaient apporté les anciens créateurs. Ceux-ci devront payez pour utiliser de pâles copies de ce qu'ils fabriquaient. Les auteurs de ces crimes, eux, sont intouchables, malgré des procès parfois retentissants et à épisodes multiples (pas de noms !) : ils auront un passeport français, ou étranger, peu importe.

Lampedusa n'est que la façade visible et écœurante de ce qui se fait partout dans le monde sous différentes formes. Les Robots tuent les Humains, par petites touches, deux ici, trente plus loin, un million quand une guerre aura pu se déclencher avec la bénédiction des fabricants d'armes. Surprise : ce sont encore les mêmes ! Petit à petit, les Robots grignotent les Humains.

Mais cette fois, ils ont gagné : il ne s'agit plus d'Humains noyés devant la Forteresse de la Honte, mais de la totalité des Humains. A Fukushima se crée petit à petit une arme insidieuse, qui nous aura tous. Il s'agit seulement de l'empoisonnement de l'eau de la Planète. Pas grand-chose, quoi. Détail amusant, c'est désormais inéluctable, car aussi bien les Robots que les Humains n'y peuvent plus rien. L'eau passera, encore et toujours : et avec elle, le poison, qui a aussi envahi les poussières de l'atmosphère.

Hiroshima, Lampedusa, Fukushima. Sur cette planète-ci, les Robots ont gagné, et mourront avec les Humains qu'ils ont voulu pressurer. Heureusement, comme disait Giorgio de Santillana, "Il pense, dans l'Univers". Une autre Terre, quelque part, beaucoup d'autres Terres, ont déjà pris la relève.

mercredi 13 mars 2013

LE DÉCLIN DE L’IMPÉRIALISME CONTEMPORAIN (3e partie) - Robert Bibeau

Ah ! Voilà la fin de la trilogie de Robert Bibeau ! On n'est pas déçu. C'est flamboyant !


LE DÉCLIN DE L’IMPÉRIALISME CONTEMPORAIN (3e partie)


ROBERT BIBEAU

Le stade ultime du système d’économie politique impérialiste se caractérise par une succession de crises sans fin. La semaine dernière nous avons présenté quatre axes d’effort déployés par la classe capitaliste monopoliste pour se sortir de ces crises successives . La semaine précédente nous avions présenté les 8 caractéristiques de l’économie politique impérialiste contemporaine .

Cette semaine, attardons-nous aux soi-disant «Parcours de productivité afin d’assurer une plus grande compétitivité du travail salarié» que le patronat des différents pays en crise présentent comme la solution à tous leurs maux.

Productivité et compétitivité du travail salarié
L’essentiel de l’économie politique c’est la façon dont les hommes produisent et échangent leurs moyens de subsistance. Augmenter la part de la plus-value relative dans la production de ces moyens de subsistance est le motif de cette récente propagande médiatique à propos de la productivité et de la compétitivité autour desquelles chaque État impérialiste – grand ou petit – voudrait embrigader son prolétariat national contre tous les autres prolétaires de la Terre. L’ouvrier déjà surexploité avec forte intensité n’a pourtant rien à gagner de cette productivité accrue sinon des cadences de travail infernales, des journées de travail allongées, moins de sécurité dans l’atelier et sur les chantiers, un stress suicidaire et pas beaucoup plus de sous au bout de cette course effrénée contre sa santé.

Les hausses de productivité signifient davantage de plus-value relative et extra réalisée pendant le temps de « surtravail » (non rétribué) produite grâce aux robots informatisés, et aux appareils sophistiqués (capital constant), remboursée à même le « surtravail » de l’ouvrier floué (14). Car le capital n’est pas seulement, comme le disait Adam Smith, le pouvoir de disposer du travail d’autrui mais, comme le disait Marx, le pouvoir de disposer d’un travail non payé. « Toute plus-value, quelle qu’en soit la forme particulière – profit, intérêt, rente, etc. – est en substance la matérialisation d’un travail non payé. » [K. Marx. Le Capital. Garnier-Flammarion. (livre 1). Chapitre XVIII. Page 383].

Dans ce combat pour leur survie chaque grand monopole industriel, chaque multinationale, chaque oligopole, chaque cartel financier et, en définitive, chaque État impérialiste est en lutte contre tous ses concurrents monopolistiques. Les pays impérialistes montants, comme l’Inde, la Corée et la Chine, affrontent vigoureusement les pays impérialistes parvenus à maturité comme les États-Unis, la France, le Canada, l’Espagne ou l’Italie – y compris sur le front de la recherche-développement – où, ne voulant pas perdre leur avantage momentané (relativement à la plus-value absolue), ces nouveaux «dragons asiatiques» investissent tout autant que les États occidentaux en Recherche-Développement (R&D) pour innover et s’emparer de la plus grande part de plus-value relative et extra (15).

Les crises récurrentes de surproduction relative (16) entraînent des coupes sombres dans les capacités de production locales, qui prennent la forme d’externalisation, de fermetures d’usines et de centres de services, de délocalisation d’entreprises industrielles, commerciales et de services, vers des contrées où le « travail nécessaire » est moins important (couteux) et le «surtravail-non payé» plus abondant (profitable). S’ensuivent un chômage accru, le rétrécissement des marchés minés par la paupérisation relative des travailleurs-consommateurs, parfois rémunérés en de ça des besoins élémentaires assurant le renouvellement de leur force de travail ; ce dont les États-Unis, la Grèce, l’Espagne et l’Italie nous donnent actuellement des exemples patents (17).

L’État impérialiste contemporain
L’État, disait Lénine, est une machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre [Lénine. L’État et la révolution. Éditions en langues étrangères, 1966]. L’État capitaliste est l’État-major de la classe dominante et il maintient la domination de la classe capitaliste sur la classe prolétarienne et sur toutes les autres classes et fractions de classes de la société bourgeoise. C’est la raison pour laquelle nous conseillons de ne pas se gaspiller à tenter d’en prendre le contrôle et la gestion par les élections mais de le détruire de fond en comble afin de créer sur ces ruines un nouvel État populaire-ouvrier…mais certainement pas populiste-fasciste [R. Bibeau. Beppe Grillo. Triste clown désolant. Que du vent inquiétant ! 6.03.2013 http://les7duquebec.org/7-au-front/beppe-grillo-triste-clown-desolant-que-du-vent-inquietant/].

L’État bourgeois dans sa mission de gouvernance et de support à l’exploitation ouvrière et populaire en faveur de ses maîtres capitalistes monopolistes intervient de multiples façons dans le déploiement des sociétés modernes soit :
1)  sur le plan juridique, par un écheveau de lois, de décrets et de règlements visant à judiciariser les révoltes populaires (étudiantes, ouvrières, chômeurs, autochtones, etc.) et à réguler l’exploitation fondée sur la propriété privée des moyens de production et de commercialisation;
2)  sur le plan policier et militaire répressif, l’État bourgeois détient le monopole de la violence légale pour réprimer les résistances populaires et les insurrections ouvrières, et pour défendre les intérêts des expropriateurs, des investisseurs et des exportateurs nationaux sur la scène internationale;
3) sur le plan économique et politique, par l’attribution de contrats alléchants pour le développement des infrastructures de production, par des aides multiples aux entreprises en capital de risque et en subsides, et pour le maintien des infrastructures de transports et d’énergie ainsi que des superstructures d’entretien des employés et des ouvriers à exploiter (éducation, santé, culture et sports, etc.);
4) sur le plan commercial et financier, par le développement du commerce et le support à l’exportation des marchandises ouvrées et des matières premières brutes, ainsi que le soutien à l’investissement des capitaux asservissants (IDE, ou investissement direct de et à l’étranger) dans les pays dépendants ou chez les concurrents de la bourgeoisie nationale prédatrice, parfois nationalistes et toujours électoralistes.

Afin d’accomplir toutes ces missions pour le bénéfice des capitalistes nationaux et internationaux, l’État bourgeois collecte taxes, impôts, droits d’assises et autres redevances et il emprunte lourdement et de façon inconsidérée sur les marchés boursiers, puis s’enfonce sous le poids de ses dettes souveraines, réduisant d’autant la consommation et la circulation du capital national, ce qui tarit ses sources de revenu (taxes à la consommation et impôts sur la production). La spirale infernale de la dépression impérialiste trouve ici son apogée.

La contradiction fondamentale du système d’économie politique impérialiste
Pourtant, pour les capitalistes financiers, il est impératif de toujours maintenir une intense activité de production car c’est l’expropriation privée du « surtravail-non-payé » qui fournit la plus-value source de tous les profits et gage de leur survie.

Plus la crise du système global s’approfondit et davantage la classe des capitalistes monopolistes financiers désespère de sauvegarder ses monopoles, ses cartels, ses oligopoles et d’absorber ou de détruire ses concurrents nationaux et étrangers tout en surexploitant les manants localement et à l’étranger.

Chaque nouvelle tentative de résoudre la contradiction principale entre les forces productives collectives, de plus en plus « socialisées », et les rapports de production (la propriété privée des moyens de production et d’échange) aboutit à un nouvel échec puisque les rapports de production sociaux – capitalistes, privés, anarchiques et chaotiques – et la quête de plus-value et de profits maximum entraînent les crises de surproduction de capital productif et improductif et de marchandises, lesquelles crises entravent inexorablement le développement des forces productives matérielles et collectives, fondement de la reproduction étendue du système.

La loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production sociaux et la nature et le  caractère des forces productives est ainsi transgressée. Un système social qui vogue ainsi de Charybde en Scylla et ne parvient plus à se reproduire est voué à une mort assurée. La question subsidiaire se résume à sa longévité… Combien de temps le laisserons-nous agoniser ?

On pourrait ainsi résumer la contradiction fondamentale inhérente au système impérialiste : la production de biens et de services – de marchandises – revêt un caractère social – collectif – qui exige une méticuleuse planification de la production et de l’échange ; alors que la propriété des moyens de production et du capital demeure privée – anarchique, chaotique, ce qui entraîne un développement inégale, imbriquée et par bonds saccadés – ce qui est incompatible avec le caractère social planifié du procès de production social.
Cette contradiction va s’aggravant à mesure que les forces productives sociales se développent. Cette contradiction se manifeste par une anarchie accrue de la production impérialiste, le gaspillage des ressources et des marchandises, la destruction des forces productives et du capital sous toutes ses formes et par l’accentuation des antagonismes de classes entre le prolétariat et les masses laborieuses d’une part et les différentes fractions de la bourgeoisie, particulièrement la clique des capitalistes monopolistes financiers d’autre part (18).

Les protagonistes sous l’impérialisme contemporain
L’histoire de l’humanité, depuis l’Empire du Milieu (Chine 202 av. J.-C.) en passant par l’Empire romain, l’Empire de Charles Le Quint, l’Empire de Saladin et jusqu’aux Empires napoléonien, victorien et américain contemporain, n’est pas l’histoire des héros assassins, des chevaliers d’industries, des requins de la finance, des présidents trônant dans le Bureau Ovale, à l’Élysée, au 10 Downing Street ou au 24 rue Sussex, ni de leurs thuriféraires obséquieux, mais bien l’histoire des peuples, des classes besogneuses – travailleuses, l’histoire de la lutte des classes antagonistes.

L’ensemble du processus de putréfaction impérialiste est totalement indépendant de la volonté des capitalistes pris individuellement ou collectivement. La question n’est absolument pas de départager les capitalistes monopolistes corrompus, ou méchants et incompétents de ceux qui seraient complaisants. Un capitaliste qui ne s’astreindrait pas aux lois d’airain de la lutte des classes et de la confiscation de la plus-value et du surtravail non-payé; qui transgresserait la Loi de l’accumulation vorace du profit maximum et du capital à reproduire, serait balayé ou absorbé par ses concurrents amis et ennemis tout à la fois. Seule la classe ouvrière, de par sa position objective dans le procès de production sociale de l’existence collective a la capacité et l’intérêt  de renverser radicalement le système impérialiste complètement.

Prolétaires et capitalistes monopolistes financiers sont les protagonistes antagonistes de cette contradiction fondamentale entre, d’une part, le travail salarié, socialisé, des millions d’ouvriers demandant à développer les forces productives sociales pour satisfaire les besoins nécessaires du peuple – et, d’autre part, la classe capitaliste monopoliste, majordome de l’État bourgeois et propriétaire privée des moyens de production et de commercialisation, contrainte d’extorquer la plus-value pour empocher les profits afin d’assurer l’accumulation puis l’investissement pour un nouveau cycle de reproduction élargie du capital et des profits. Or ce cycle de reproduction étendue se brise sur les récifs de ses propres contradictions insolubles. Ce système a fait son temps; le temps présent est pour le changement radical.

De la fin du système impérialiste
Quand un système d’économie politique ne peut assurer sa propre reproduction élargie, il est secoué par des convulsions à répétition qui appellent non pas sa conversion, sa remédiation ou sa transformation mais bien sa destruction, son renversement total et son remplacement intégral par un nouveau système d’économie politique qui respecte la Loi de correspondance nécessaire entre les caractères des rapports de production et la nature et les traits et le développement des forces productives.

Par deux fois le système d’économie politique impérialiste mondial a trébuché et par deux fois il est venu bien près de s’effondrer. Par deux fois (1914-1918 et 1939-1945) l’impérialisme s’est relevé et aujourd’hui de différentes manières il étend sa domination hégémonique sur la planète toute entière.

Un troisième rendez-vous mondial se prépare entre la classe ouvrière et son ennemi implacable. Si le prolétariat ne sait pas acquérir une conscience révolutionnaire de classe en soi et pour soi, s’il ne sait pas s’unir et s’organiser en parti de classe dirigé par une théorie d’avant-garde, alors cette guerre, éventuellement nucléaire (qui sait ?), verra l’hydre impérialiste détruire une partie de l’humanité puis renaître de ses cendres, plus loqueteux qu’auparavant mais toujours vivant.

C’est la raison pour laquelle on dit du prolétariat – classe créée par le capital – qu’il est le fossoyeur du capitalisme à son stade impérialiste d’obsolescence, et aussi qu’il est l’accoucheur d’un nouveau système d’économie politique, le socialisme.

Les précédentes tentatives d’instaurer un système d’économie politique socialiste ont soulevé une telle hystérie de la part de la grande bourgeoisie internationale qu’elle s’est appliquée à en faire disparaitre les acquis et la mémoire parmi les jeunes générations après avoir pris les armes contre les peuples soviétique, chinois, et albanais et contre tous ceux qui avaient osé la défier. Ces gouvernements socialistes ont été trahis de l’intérieur et renversés si bien qu’aujourd’hui la classe ouvrière doit assumer ses responsabilités, s’organiser en avant-garde déterminée et reprendre le chemin de la liberté pour ériger la société socialiste libre.

Prolétaires de tous les pays unissez-vous !

Robert Bibeau
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(1) Le capital financier représente la somme du capital constitué par des titres tels que les actions ou les titres de créances négociables (actions et obligations). Le capital financier a été aussi synthétiquement défini comme étant le pouvoir qu’exercent les groupes financiers (Banques, assurances, trust, etc.) sur les entreprises qu’ils détiennent ou qu’ils contrôlent.
(2) La titrisation est une technique financière qui consiste à transférer à des investisseurs http://fr.wikipedia.org/wiki/Investisseur des actifs financiers tels que des créances (par exemple des factures http://fr.wikipedia.org/wiki/Facture_(comptabilit%C3%A9)  émises non soldées, ou des prêts en cours) en transformant ces créances, par le passage à travers une société ad hoc, en titres financiers émis sur le marché des capitaux http://fr.wikipedia.org/wiki/March%C3%A9_des_capitaux . Une telle titrisation s’opère en regroupant un portefeuille de créances de nature similaire (prêts immobiliers, prêts à la consommation, factures) que l’on cède alors à une structure ad hoc (société, fonds ou trust) qui en finance le prix d’achat en plaçant des titres auprès d’investisseurs. Les titres (obligations http://fr.wikipedia.org/wiki/Obligation_(finance), billets de trésorerie représentent chacun une fraction du portefeuille de créances titrisées et donnent le droit aux investisseurs de recevoir les paiements des créances (par exemple quand les factures sont payées, ou quand les prêts immobiliers versent des mensualités) sous forme d’intérêts et de remboursement de principal. Souvent, les paiements d’intérêts sont financés à même les sommes reçues des nouveaux investisseurs, on dit alors que la titrisation est sous forme de pyramide de Ponzi. http://fr.wikipedia.org/wiki/Titrisation.
(3) «Le gonflement artificiel de l’estimation de la richesse annuelle de certains pays, dans une fourchette qui va de 2% pour l’Union Européenne à 27% pour les États-Unis, une moyenne de 10 en pays impérialiste (…) Le capitalisme freine-t-il la croissance des forces productives depuis la première Guerre mondiale? Revue Internationale. 29 janvier 2012. .  « Les trafics en tous genres, la drogue en particulier, constitue une consommation improductive. Les trafiquants de drogue auraient blanchie 1600 milliards de dollars, soit 2,7% du PIB mondial en 2009. (..) Le rapport de l’ONUDC indique que tous les bénéfices de la criminalité, à l’exclusion de l’évasion fiscale, s’élèveraient à environ 2100 milliards de dollars, ou 3,6% du PIB en 2009. Drogues Blog. http://droguesblog.wordpress.com/2011/10/27/la-presse-ca-trafic-de-drogue-chiffres-astronomiques-saisies-minimes-selon-lonu/.
(4) «En novembre 2008, le Ministère du Budget estimait que presque 60 milliards d’euros étaient détournés grâce aux paradis fiscaux. A l’échelle mondiale, 35% des flux financiers ou 55% du commerce international transiterait par des paradis fiscaux. Ils concentreraient environ 11 000 milliards de dollars d’actifs gérés et les 2/3 des hedge funds <http://www.cafedelabourse.com/lexique/definition/hedge-fund/> seraient domiciliés dans des refuges fiscaux.». 
 (5) Oulala. 2.01.2013. Le salaire de la dette. http://www.oulala.info/2013/01/le-salaire-de-la-dette/.
(6) Le dernier krach boursier occidental (2007) a entraîné la disparition de 500 milliards de dollars d’actifs et requis 300 milliards de dollars de recapitalisation (capitaux soutirés aux gouvernements) http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_subprimes
(7) Alliance Bolivarienne Pour les Amériques (ALBA) http://fr.wikipedia.org/wiki/Alliance_bolivarienne_pour_les_Am%C3%A9riques. Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) http://www.oecd.org/fr/. Accord de libre-échange-nord-américain (ALENA) http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/index.aspx?lang=fra&view=d.  Fonds Monétaire International (FMI). Organisation du Commerce Mondial (OCM). Cours Pénale International (CPI). BRICS, acronyme pour identifier certains pays ayant «récemment» accéder à la phase impérialiste de développement tels le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.
(8) La tertiarisation de l’économie capitaliste. http://www.toupie.org/Dictionnaire/Tertiaire.htm Encyclopaedia universalis. Voir l’article sur l’économie de services.
(9) Les 1% qui dirigent l’économie. http://www.centpapiers.com/quand-la-science-decouvre-les-1-qui-dirigent-leconomie/  La répartition de la richesse dans le monde. Un pourcent de la population détient 44% de la richesse mondiale. . Les huit familles bancaires aux USA. http://www.vigile.net/Les-huit-familles-partie-1. Pour le nombre de milliardaires en Chine voir   Vincent Gouysse. (2012). 2011-2012 Reprise de la crise. http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.htm
(10) Richard LEHIR. (2013).  Démondialiser, et vite! Ça urge !  http://www.vigile.net/Demondialiser-et-vite-Ca-urge
(11) Zoltan Grossman. Les guerres américaines depuis 1890.
(12) Le capitalisme freine-t-il la croissance des forces productives depuis la première Guerre mondiale? Revue Internationale. 29 janvier 2012. .
(13) Robert Bibeau. (2012). La bataille de l’euro. http://les7duquebec.org/7-au-front/la-bataille-de-leuro/ Les Accords de Bretton-Woods. http://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods
(14) Pour une explication détaillée du concept de plus-value absolue et relative, le lecteur peut consulter la note 21 du texte : Mai-2008, le « printemps » dévoyé. http://les7duquebec.org/7-au-front/mai-2008-le-printemps-devoye-2e-partie/
(15) Du printemps occidental (Mai-68) au printemps dévoyé (Mai-2008). http://les7duquebec.org/7-au-front/du-printemps-occidental-mai-68-au-printemps-devoye-mai-2008/
(16) Nous indiquons « surproduction relative » puisque des millions d’individus meurent de faim chaque année et que des milliards d’autres survivent avec moins de deux dollars par jour; on ne peut donc parler de « surproduction absolue » de marchandises.
(17) L’Italie meurt de faim (2012). http://www.legrandsoir.info/les-italiens-luttent-pour-survivre.html  Vincent Gouysse. (2011) 2010-2011 Le réveil du dragon s’accélère. http://marxisme.fr/le_reveil_du_dragon_accelere.htm. Vincent Gouysse (2012). http://marxisme.fr/reprise_de_la_crise.htm. Robert Bibeau (2012) La Chine puissance impérialiste triomphante. http://www.legrandsoir.info/la-chine-puissance-imperialiste-triomphante.html Robert Bibeau (2013) Inflation, dévaluation et crises monétaires.
(18) Académie des sciences de l’URSS. Institut d’Économie. Manuel d’économie politique. 1955. http://www.marxisme.fr  et Vincent Gouysse  (2009) Crise du système impérialiste mondial.

ANNONCE
Dans le volume Impérialisme et question nationale (le modèle canadien) (2012) nous présentons l’évolution de la lutte des classes au Québec du soulèvement patriote (1837) jusqu’à nos jours (2012). Le volume est disponible GRATUITEMENT en téléchargement (format PDF Acrobat) à cette adresse :    http://www.robertbibeau.ca/imperialisme.pdf

vendredi 15 février 2013

La bascule de l'économie mondiale a-t-elle déjà commencé ?


L'économie va mal, l'économie se meurt. La récession est générale aux USA, en Europe (oui, les chiffres "officiels" ne l'avouent pas toujours). Tout le monde est endetté envers tout le monde, les économies s'enrayent toutes, les courroies de l'empire financier mondial dérapent sur les poulies...

 C’est clair : désormais il faut repartir de zéro, oublier les notions de dette et de profit partout dans le monde, ce qui implique que toute l’épargne disparaît, que la notion de propriété au sens de possession, et non au sens d’usage, est sujette à caution, que la notion de multinationale n’a de ce fait plus de sens, que l’usine ou l’immeuble de bureaux appartient à ceux qui s’en servent puisque ce sont eux qui font tourner la boutique…

Cela va très loin ! Mais à situation exceptionnellement grave, les remèdes doivent être exceptionnels eux aussi. Il va falloir passer de consommation “forcée” par la production, à une production conduite par les besoins réels.

Ceux qui ne sont pas d’accord ? (il y en aura, au début beaucoup sans doute, puis moins) Il faudra bien que ceux qui ont compris la situation réelle expliquent, expliquent, expliquent toujours. C’est le système tout entier qui est vicié au-delà de toute appréhension tant les chiffres, démentiels, ne veulent plus rien dire.
Qui sait, même nous les plus anciens, déjà sortis de la chaîne productive actuelle, verrons-nous ce basculement à la fois nécessaire et d’envergure comparable seulement avec le fiasco actuel. Un chambardement auprès duquel la chute de l’empire romain ne sera que broutille.

Comment cela pourra-t-il arriver ? Quand une situation est à ce point explosive, il suffit d'une étincelle qui sur le moment paraîtra anodine : mais sur cette flammèche se grefferont d'autres foyers latents, qui pourront se réveiller en quelques jours tout au plus, laissant sans réaction des "autorités" qui ne peuvent pas canaliser une planète tout entière.

Si cela arrive, les structures tendues à craquer partout cèderont, même si les armées s'en mêlent. D'autant que la probabilité est grande qu'alors les troupes ne soient plus payées, et fassent front commun avec ceux quelles seraient sensées maîtriser.  Occupés, les sièges de grandes banques plieront vite, au prix sans doute de carnages entre les soldats et les vigiles qui plieront sous le nombre. On n'a malheureusement jamais fait de vraie révolution sans que certains, pas forcément ceux qu'il faudrait, y laissent leur vie.

Je n'inciterai pas à de telles extrémités, mais je crains que tôt ou tard, ne se produisent de telles remises en question majeures de la situation actuelles, d'autant plus fondamentales qu'elles auront au maximum été différées par ceux qui sont pour le moment "les maîtres de ce chaos". Peut-être même ce processus a-t-il déjà commencé.

jeudi 20 décembre 2012

Boss, comment on va faire pour le fric ? (Pierre Deruelle)

- Boss, comment on va faire pour le fric ?
Le texte qui suit étant une pure fiction, toute similarité avec la réalité serait totalement fortuite.

- Boss, comment on va faire pour le fric ?
- Comment ça, comment on va faire ? On va faire comme d’habitude.
- Ah bon, mais on fait comment d’habitude ?
- Et bien tu vois Jean-Kévin, c’est pourtant simple. Je vais t’expliquer.
- Ah je veux bien, Boss, je vous avoue que là je suis un peu perdu.
- Justement Jean-Kévin, heureusement on ne t’a pas attendu, on s’est organisé avec John-François, Alban-Bernard, Saul-Adam, et Jack-Pipper.
- Super Boss, mais je croyais que c’était nos banquiers et nos concurrents eux.
- C’est le cas, Jean-Kevin, mais on va souvent pécher au gros au large ensemble à La Barbade ou skier à Aspen, on se connaît bien, on s’est un peu organisé, tu comprends ?
- Pas trop, Boss, mais si vous le dites, Boss, moi je vous crois.
- L’argent ce n’est pas vraiment le problème, tu sais. C’est juste un truc symbolique pour remplacer le troc. La vrai question c’est qui fabrique l’oseille, et qui le distribue, dans quelles conditions.
- Ben c’est les pays qui fabriquent leur argent, Boss, si j’ai bien compris. La France fabrique ses francs, les USA fabriquent le Dollar, non ?
- C’est ça Jean-Kévin. C’est ça. D’ailleurs c’est tellement ça qu’il fallait que ça change. Avec John-François, Alban-Bernard, Saul-Adam, et Jack-Pipper, on a eu une idée géniale.
- Ah ouais, Boss, j’imagine qu’à vous quatre, ça a du imprimer sévère.
- Tu imagines bien, Jean-Kévin, tu imagines bien, et tu ne crois pas si bien dire. Je t’explique le truc, tu te coucheras moins con.
- Merci Boss.
- T’as compris que les pays fabriquaient leur pognon, et ça c’est un problème. Du coup, pour nous qui sommes banquiers et patrons de multinationales, c’était un peu la galère, on était obligé de manger dans la main des hommes politiques.
- Ben oui Boss, mais bon, ils sont pas trop difficiles à acheter, non? Il suffit de financer leur campagne, de leur refiler des mallettes.
- Oui, on a fait longtemps comme ça, mais non seulement il y a toujours des emmerdeurs qui refusent les vacances aux Bahamas, et en plus, ça tourne souvent la politique, c’est jamais les mêmes, et nous, tu comprends Jean-Kévin, on a besoin de stabilité et de faire de plus en plus de fric.
- Ah oui Boss, ça je comprends. Mais du coup, on fait ça comment ?
- Toi tu fais rien, Jean-Kévin. Tu te tais, tu écoutes, et je t’explique. C’est du grand art, alors connecte un peu tes neurones.
- J’essaye Boss, j’essaye.
- Tu vois, le truc c’est que l’argent est émis par les banques centrales des états. Donc on a commencé par financer les grands écoles pour former des mecs avec nos idées, puis on a mis ces mecs à nous partout dans le système. Ça c’était pas trop difficile.
- Et personne n’a rien dit ?
- Ben tu sais Jean-Kévin, pour faire ça, il a suffit d’une bonne crise financière. On a planqué tout le fric dans des paradis fiscaux, on leur a dit que tout s’était évaporé, que c’était la merde, et que les gens n’auraient plus rien à bouffer. Quand les gens risquent de crever la dalle, quand ils ne peuvent plus retirer de fric au distributeur, c’est la panique. Et quand c’est la panique, ils arrêtent de réfléchir.
- Ah bon chef, mais vous avez fait comment ?
- Ben on leur a foutu une trouille monstre. On a expliqué à leurs dirigeants que pour éviter les crises monétaires, il fallait laisser les pros gérer. Et les pros, c’est nous. On leur a présenté deux solutions à notre avantage, et comme ils étaient en panique ils ont choisi la moins pire.
- Mais Boss, les politiques ne vous ont pas collé l’affaire sur le dos, pour la crise ?
- Au début, ils voulaient, sous la pression de l’opinion. Mais on leur a refilé des jobs, on a embauché leur mômes, leurs femmes, on leur a fait des chèques, on leur a refilé des cadeaux, on leur a promis des postes après leur mandat électoraux. On leur a soufflé que nos idées venaient d’eux. On a trouvé des solutions pour s’entendre.
- Ah ouais, c’est malin ça, Boss. Mais les gens ils ont rien dit ?
- Ben tu sais Jean-Kévin, les gens ils vont voter, et puis quand c’est fait, ils s’en remettent au mec élu. Ce qui fait qu’au lieu d’avoir à enfumer tout le monde, on a juste eu à enfumer les têtes de gondoles.
- C’est balèze ça, Boss.
- Et du coup, les mecs élus nous ont refilé le mandat pour gérer leur pognon.
- Vous avez pris l’argent Boss ?
- Mais non, t’es con Jean-Kévin. On s’en fout de l’argent. Ce qui nous intéresse, c’est de leur coller des dettes au cul.
- Ah bon Boss ? Je comprends pas là.
- Ben c’est simple Jean-Kévin. T’es vraiment une grosse buse. Si on prend l’argent, ça se voit, et ça gueule. Donc au lieu de ça, on leur a prêté le pognon avec des intérêts.
- Ah ouais Boss, ça veut dire qu’au lieu d’utiliser leur propre fric, ils vous en empruntent à vous avec intérêts. Mais les gens se sont rendus compte de rien ?
- Ça c’était pas évident, j’avoue. Il a fallu ruser. On a noyé tout ça dans des tonnes de papiers. On a fait bosser les milliers de mecs qu’on avait formé à nous pondre des textes tellement compliqués que personne ne pouvait les lire.
- C’est futé, ça, Boss.
- Ben justement, comme eux ils le sont pas trop, ils n’ont rien lu, et ils ont tout signé, les cons, et ils se les sont appropriés, ça leur faisait un truc à dire pour la télé.
- Trop fort Boss.
- Et comme du coup on a dégagé des marges colossales, on a redistribué les miettes du gâteau pendant quelques années. Les miettes, elles étaient tellement grosses que les mecs arrivaient plus à avaler. Et du coup, c’était tellement bon qu’ils sont tous devenu accrocs.
- Et ça marchait comment ce truc ?
- Ben c’est assez simple. Saul-Adam et Jack-Pipper, quand ils ont eu récupéré toutes les réserves de pétrole et de gaz du monde, ils ont fabriqué des merdes avec. Puis ils ont vendu ces merdes à crédit à tout le monde, aux états, aux citoyens.
- Et le bénef des crédits, c’est pour nous. j’ai pigé ! Mais quoi comme merde, Boss ?
- Bah des armes de guerre, des trucs nucléaires, des trucs chimiques, tout un tas de trucs à crédit, et surtout on leur a vendu des bulles avec rien dedans, genre des crédits immobiliers insolvables. On a leur a même vendu des crédits tellement pourris que toutes les villes de leurs pays sont surendettés maintenant.
- Et personne a rien dit ?
- Bah, il y a quelques mecs qui ont pigé la combine, mais bon, on les a empêché de parler.
- Mais comment on fait ça Boss, on peut pas vraiment les empêcher d’écrire ou de parler. Vous les avez quand même pas zigouillés ?
- Mais non, abruti. C’est beaucoup plus simple que ça. John-François et Alban-Bernard ont acheté la plupart des chaînes de télé, tous les journaux, tous les magazines, toutes les radios. Comme ça on a juste eu à contrôler qui on laissait parler en public.
- Ah ouais, ça c’est fort, Boss. Vraiment très fort.
- Attend c’est que le début, mon petit Jean-Kévin. Ensuite, on leur a refait le coup de la crise, comme on avait fait en 1909, quand ils nous ont refilé la Banque centrale américaine à gérer. Puis on a recommencé en 1929, et on a enchaîné sur une bonne guerre, qui nous a permis de leur vendre toutes nos merdes militaires, nos chars, avions, canons. On ne s’est jamais autant gavé de fric qu’en envoyant du bétail sous nos bombes.
- Mais on ne vous a rien dit ?
- Évidemment non, on a vendu du pétrole, de l’acier et nos technologies aux deux parties. Ça mettait tout le monde d’accord.
- Et ils ne vous ont rien reproché, Boss ?
- Même pas un coup de fil. Ils étaient trop occupé à se partager le gâteau. Les vainqueurs sont même venus nous dire merci.
- Sont cons quand même un peu Boss, non ?
- Ben heureusement Jean-Kevin, sinon il y a longtemps qu’ils nous auraient chopés.
- Évidemment Boss, évidemment.
- Donc là, on leur a soufflé de créer des supers Banques centrales, comme en Europe avec la BCE. On a mis des mecs à nous évidemment, et ensuite on a fait ce qu’il fallait faire.
- Et il fallait faire quoi Boss ?
- T’es vraiment con comme une valise sans poignée Jean-Kevin. Il fallait leur vendre nos merdes à crédit avec des intérêts tellement chers qu’à la fin ils ne peuvent plus payer.
- Ah ouais…
- Et comme ils ne peuvent plus payer, on leur refait des crédits encore plus chers.
- Et ça s’arrête jamais, Boss ?
- Non, ça ne s’arrête jamais. C’est le but, cornichon, réfléchi. De temps en temps, on leur refait le coup de la crise.
- Ça marche à tous les coups, ça Boss, on dirait.
- Ouais, c’est imparable. Ils sont tous paniqués. On a refait le coup du choix des solutions, qu’on a partagé entre les deux partis politiques les plus importants. Mais au final, c’est toujours nos solutions qui marchent.
- C’est génial Boss. Mais à force, ils ne vont pas piger le truc ?
- Ben tu sais, Jean-Kévin, il y a une bonne vieille règle qu’on applique au pied de la lettre. Quand un mec crève la dalle, il arrête de réfléchir. Quand un mec est crevé parce qu’il a trop bossé, il arrête de réfléchir.
- Ça j’avais constaté Boss, ça m’arrive aussi à moi.
- Tu vois Jean-Kévin, c’est pour ça que c’est moi le Boss, et pas toi.
- Et maintenant, Boss, on fait quoi alors ?
- Pour éviter qu’ils percutent avec leur saloperie d’internet et tout ça, on va les paniquer encore plus.
- Et on fait ça comment, Boss ?
- Ben c’est simple. On leur dit que c’est la maxi-crise, et on leur fout les jetons avec la sécurité, l’immigration, on leur raconte des histoires lugubres, on les inonde de faits-divers dégueulasses.
- Ah ouais, comme à la télé, Boss.
- T’es con Jean-Kévin, c’est justement nos télés et nos médias qui font ça.
- Ah ben oui, je suis con, Boss, c’est vrai que j’y avais pas pensé.
- C’est pas trop ton truc de penser, Jean-Kévin. Essaye pas tu vas te faire du mal.
- Ok Boss.
- Donc on leur raconte des histoires qui foutent la trouille, histoire qu’ils fantasment, qu’ils flippent. L’idée c’est qu’ils aient tellement peur de perdre ce qu’ils ont déjà qu’ils acceptent tout ce qu’on leur refile à avaler.
- C’est possible, ça, Boss ?
- Oh oui, crois moi. On fait pareil avec la politique. On leur raconte des histoires, on occupe les médias avec des conneries, et pendant ce temps là, nous on continue d’encaisser.
- Mais ils vont pas finir par piger le truc, Boss, surtout qu’ils sont de plus en plus nombreux ?
- Pour ça, Jean-Kévin, on a des solutions.
- Ah ouais Boss, vous avez trouvé des solutions ?
- Ben oui, Jean-Kévin, on les oblige à tout privatiser, comme ça plus rien ne leur appartient. Enfin on les oblige. Non, plutôt on leur fait croire que c’est la seule solution, et même que c’est la leur.
- Et ça marche ?
- Si tu suivais un peu, Jean-Kevin, t’aurais pigé qu’ils n’ont pas vraiment le choix. Du coup, comme on privatise tout et qu’on les exploite, ils ne peuvent plus bosser, or sans argent ils ne peuvent plus lire, se cultiver, et donc réfléchir.
- C’est l’ennemi ça, la culture, Boss, un peu non ?
- Évidemment. On privatise aussi les écoles, comme ça ils ne peuvent plus scolariser leurs gosses, qui grandiront cons comme des enclumes et viendront pas marcher sur nos pelouses, ni faire chier nos mômes à nous qu’on protège dans des supers écoles hors de prix. On fait pareil avec les hôpitaux et la santé, comme ça ils sont tellement malades qu’ils peuvent plus gueuler, et surtout ils vivent moins longtemps.
- Et ça marche, Boss ? Ils sont pas trop dégoûtés ?
- Il y en a quelques millions qui gueulent de temps en temps, mais pour le gros du tas, on les occupe autrement, on leur raconte une jolie histoire de mariage de princesse, exactement comme dans les contes de fées. Ça les occupe, ils ont l’impression d’être heureux par procuration. Ça leur fait passer la pilule.
- Ah ouais c’est hyper vicieux Boss.
- Ben tu sais Jean-Kévin, on ne devient pas multimilliardaire en faisant des cadeaux, et je sais de quoi je parle.
- Et ensuite Boss, la prochaine étape c’est quoi ?
- Et bien la prochaine étape, Jean-Kevin, c’est que comme leurs États sont surendettés, on leur dit qu’on a perdu confiance, nous, enfin là on s’appelle les marchés financiers, tu vois. Puis on augmente les taux d’intérêt auxquels leurs États peuvent nous emprunter le pognon sur les marchés obligataires, et hop, ça augmente encore leurs dettes publiques. Et puis, on leur propose comme solution de tout privatiser, en particulier des services d’intérêt général, du coup on leur dit qu’en échange la confiance des marchés va revenir, et qu’on baissera les taux d’intérêt, et que ça réduira leurs dettes.
- Vous n’allez pas vraiment le faire, Boss ?
- Évidemment que non, crétin.
- Et c’est quoi la prochaine étape, Boss, alors ?
- La prochaine étape, Jean-Kévin, c’est que t’es viré, et que je vais m’économiser ton salaire aussi.
- Ah bon, moi aussi, Boss ?
- Ouais, toi aussi Jean-Kévin. Mais comme je suis pas un salaud, je t’offre une télévision pour ton départ, comme ça la suite, tu pourras la regarder dans le poste.
- Merci Boss. Vous êtes vraiment trop bon.
- De rien, Jean-Kevin, de rien…

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jeudi 8 novembre 2012

Croassance or not croissance ?

Aujourd'hui notre ami Des Pas Perdus nous relatait le contenu de l'ouvrage "Le choc de la décroissance", écrit par Vincent Cheynet. Cela m'a inspiré quelques lignes.


Actuellement la "croissance" n'est qu'une compensation, comme on dit en psychologie, d'une immense frustration : dominés par le Travail avec un grand T, trop de gens en oublient de vivre, tout simplement. Ils s'isolent, et la seule façon pour eux d'avoir l'impression de continuer une vie sociale, est de la vivre "par procuration", via les téléphones mobiles, la télévision, les transports auxquels ils sont accros en raison des distances à parcourir pour rejoindre le Travail... Se côtoyant sans fin, ils s'ignorent, et dès qu'ils ont un peu de temps ils vont s'isoler plus encore en allant "en vacances" quelque part tout en continuant à ignorer leurs voisins.

La découverte, ce n'est pas à des milliers de kilomètres qu'elle peut s'opérer : parfois il suffit de quelques mètres.

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen a fait une grosse faute en plaçant parmi ses principes de base la propriété. C'est la même terre pour tous. C'est au point que ce principe est devenu sous-jacent, implicite : il ne l'est pas. Par nécessité vitale, nous avons tous un droit d'usage sur les richesses de la planète, mais selon le principe, transcendant, d'égalité, nul ne peut solliciter exagérément ces richesses au détriment de tous les autres, au présent et ceux qui en auront besoin dans le futur.

La décroissance, c'est retrouver une vie en commun avec toute la planète et ses habitants. C'est prendre non son dû, mais ce dont on a vraiment besoin : la différence est immense.