Alexandre Latsa est français et vit en Russie. Il est aussi un très bon journaliste, et livre ici dans les colonnes de Ria Novosti une analyse très pertinente. Si pertinente qu'elle fera certainement grincer des dents.
09:15 21/11/2012
"Un autre regard sur la Russie" par Alexandre Latsa
Un ami m’a récemment confié sa déception face au renvoi de Nicole Bricq
par le nouveau président François Hollande. Celui-ci, m’a-t-il dit,
aurait à ses yeux cédé aux pressions du lobby économique et énergétique.
Cet ami en tirait la conclusion que le monde politique français n’a
finalement plus les moyens de résister, face à l’influence d’un lobby
économique.
Cette discussion a eu lieu il y a quelques semaines et récemment, un débat très intéressant a eu lieu dans l’émission ce soir ou jamais de Frédéric Taddei m’a rappelé cette discussion que j’avais eue dans un petit café près de la place Troubnaia.
L’une des invitées de l’émission en question était Marie France
Garaud, gaulliste historique. Elle a expliqué à sa manière la brève
histoire politique française de l’après guerre. Son explication avait
sans doute de quoi étonner les jeunes générations. D’après elle les
notions modernes de droite et gauche actuelles n’existent que depuis peu
de temps. Avant, il y avait d’une part le parti du président (l’union
de tous les français qui faisaient confiance au général De Gaulle), et
d’autre part un certain nombre de nostalgiques des petits partis de la
4° république.
Plus tard, la scène politique s’est scindée entre partisans et
adversaires de l’économie marxiste sous Pompidou notamment puis encore
sous Giscard. Le patriotisme gaulliste s’est lentement estompé, au fur
et à mesure de la construction de l’Union Européenne. C’est en 1981 avec
l’élection de François Mitterrand que l’idée d’un rassemblement des
gauches marxistes et post marxistes est apparue, le parti communiste
ayant entre temps renié l’héritage soviétique lors du congrès de 1972 et
fortement baissé électoralement.
L’émergence d’un bloc de gauche va en
conséquence directe entraîner l’ancrage d’un bloc de droite, rassemblé
autour du rassemblement pour la République, le RPR, qui deviendra en
2002 l’union pour la majorité présidentielle, ou UMP.
Le bipartisme droite / gauche qui est apparu va dès le début se
fonder sur une simplification quasi unique: la gauche serait ouvrière et
populaire tandis que la droite serait bourgeoise et conservatrice.
Pourtant dès 1999, l’évidente trahison de l’héritage Gaulliste via le
bradage de la souveraineté française notamment par l’intégration dans
l’Europe, va entraîner des premiers couacs. Une nouvelle ligne de
fracture est apparue, et elle fractionne la droite aussi bien que la
gauche. Dans chacun des deux blocs, il existe un courant européiste
majoritaire, et un courant souverainiste minoritaire qui cohabitent
chaotiquement.
Les souverainistes, de droite comme de gauche, s’expriment en gros de
la même manière: Un bipartisme institutionnel de convenance, permettant
une alternance totalement factice (les leaders des principaux partis de
droite et de gauche étant d’accord sur presque tout) s’est mis en place
pendant que les transferts de souveraineté de l’état français, se sont
accentués en direction des instances communautaires, que ce soit sur un
plan politique, économique, financier ou encore de contrôle des
frontières. Tout cela a contribué à ce que la France d’aujourd’hui ne
puisse finalement plus être considérée comme une nation, tant elle est
désormais totalement dépourvue de souveraineté, et ce alors que la
souveraineté est l’attribut le plus essentiel de l’état. Peut-on
imaginer une nation souveraine sans état souverain?
La France de De Gaulle avait pourtant parfaitement traduit la
parfaite et réalisable alchimie entre le maintien de la souveraineté
nationale et la constitution d’une Europe forte: l’Europe des nations et
des états. Le Général souhaitait une Europe des patries centrée sur le
couple franco-allemand et tournée vers la Russie et non pas vers le
binôme Anglo-saxon, Amérique / Angleterre. L’idée de De Gaulle était
simple : l’Europe devait se baser sur la coopération et sans organe
supranational et reposer sur la totale souveraineté des états, en clair
l’opposé absolu du processus fédéral d’intégration en cours via l’Union
Européenne.
La plupart des droits souverains des états sont en voie de totale
disparition en Europe. Lesquels? Tant celui de contrôler ses frontières,
de battre monnaie, de rendre justice ou de décider de faire ou non la
guerre. Malheureusement pour les peuples européens, leurs élites
politiques se sont volontairement engagées dans un système politique où
elles n’ont même plus la maîtrise
de leurs budgets. On pourrait longuement discuter du pourquoi et
comment en est-on arrivé la. De Gaulle avait pourtant résumé la
situation, alors qu’à la fin de sa carrière ce bipartisme impuissant se
profilait déjà. Il avait dit: "le drame de la France c’est que la gauche
n’est plus populaire, et que la droite n’est plus nationale".
Alors que l’intégration européenne s’est faite en dissolvant la
souveraineté des états, la Russie depuis le début de ce siècle semble
pour l’instant suivre une autre voix. On a beaucoup parlé dans les
médias étrangers de la "méthode forte à la Russe", du non respect des
droits de l’homme et aussi de la violence avec laquelle l’état a fait la
guerre en Tchétchénie. Mais on a peu parlé du fait que cette guerre
était avant un conflit interne et régional de restauration de la
souveraineté fédérale pour écraser le risque séparatiste. Un risque
séparatiste qui guette nombre d’états européens aujourd’hui. On parle
également trop peu de la politique économique russe avec son refus
obsessionnel de l’endettement extérieur, pourtant nul ne doute que les
générations futures en Russie sauront remercier leurs élus politiques
d’aujourd’hui, au moins à ce sujet.
Quand aux hommes d’affaires emprisonnés pour des détournements
(certains des fameux oligarques), ils illustrent un message assez clair:
en Russie aujourd’hui, malgré tous les travers que cela peut engendrer,
c’est le politique qui prime sur l’économie et non l’inverse. A ce
titre, la leçon de Pikalevo
de 2009 pourrait faire office de Jurisprudence. Les gigantesques plans
de restructuration de l’armée ou le fait que les deux plus grosses
compagnies énergétiques de la planète soient nationalisées traduisent du
reste bien le fait que l’état russe souhaite rester entièrement
souverain face aux capitalistes russes mais aussi face aux compagnies
multinationales. Quand au "multipartisme à la russe", qui se traduit par
la gouvernance d’une seule structure politique, trans-courants, mais
que l’on pourrait appeler le parti de la majorité, on pourrait le
comparer au parti Gaulliste en France, au moment de la fondation de la
5° république.
Une comparaison qui n’est pas nouvelle, car le visionnaire Emmanuel
Todd envisageait dès 2002 cette perspective d’un gaullisme à la russe
dans son ouvrage Après l'empire:
"A l’heure du débat sur la globalisation et l’interdépendance
universelle, la Russie pourrait émerger, selon un scénario intégrant
toutes les hypothèses les plus favorables, comme une démocratie immense,
équilibrant ses comptes extérieurs et pourvue d’une autonomie
énergétique, bref, dans un monde dominé par les États-Unis,
l’incarnation d’un rêve gaulliste".
L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement
avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA
Novosti.
Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et
anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
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