
Sur les blogs et ailleurs, les plus lucides n'hésitent pas à le
dévoiler, l'écrire, le proclamer, le dénoncer : tout
s'accélère, les très riches sont de plus en plus riches et de plus
en plus vite ; les pauvres sont de plus en plus pauvres de plus
en plus vite. Ils sont de plus en plus nombreux, y compris parmi ceux
qui "ont la chance" d'avoir un boulot, tant celui-ci est
trop souvent partiel, parcellaire, en miettes. Les très riches,
grâce à leurs liquidités en augmentation, ont de plus en plus la
possibilité de peser sur ceux qui, sur le devant de la scène, sont
censés décider. Tous les moyens sont bons. Se déchaînent des
campagnes de presse grâce à ces folles maîtresse non rentables
(ôôô l'horreur) que sont les journaux "d'opinion", où
seule celle du propriétaire a droit de cité. Se présentent des
"conseillers" téléguidés, qui diffusent "la bonne
parole" à des décideurs plutôt paresseux : comme c'est
simple, quand d'autres vous proposent idées, arguments, réparties,
"bons mots" pour retourner un auditoire... Des officines
créées spécialement ne sont là que pour affûter tout l'arsenal
de charme et de pressions amicales, puis plus pressantes, voire
menaçantes si nécessaire. Rares sont les routiers de la politique
irréprochables, donc les pressions font mouche presque toujours.

Le capital joue donc là-dessus pour placer ses gens comme il
faut, là où il faut, quitte à employer la violence si la
persuasion s'est montrée inefficace. Le capital est à la fois un
"bel" outil, une addiction terrible liée au Pouvoir qu'il
procure et aux plaisirs qu'il permet de se prendre sans sourciller
sur le coût. Ne seront-ce pas d'autres qui, en fin de compte,
paieront ? Les lois fiscales, électorales, sur l'encadrement du
travail, de la santé, sur les moyens de sûreté ne sont-elles pas
écrites par les valets du Capital, votées par ses obligés et
promulguées par des fantoches "fabriqués" dans
l'opinion ?
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Patrice Lumumba |
Des solutions existeraient bien sûr, des solutions massivement
alternatives prenant le contrepied de ce qui se fait aujourd'hui en
toute impunité. Certains s'y sont même essayés, avec jusqu'à
présent peu de résultats, quand ils n'avaient pas "un
accident". Repensons à Sankara, Lumumba, Mossadegh, Allende,
Kadhafi, aux doutes concernant Colucci ou Chavéz, etc...
L'Establishment (mot anglais naturellement, vu le culte du Capital
dans les pays anglo-saxons en particulier) est vraiment très fort,
et bien entendu international.
Dans notre pays, de ce fait, à part de belles phrases et des
oppositions tonitruantes, la volonté de lancer "autre chose"
n'avance guère. Les programmes sont pusillanimes, insuffisants,
mièvres, sans grande portée : encore s'agit-il de programmes
que les genzenplace qualifient de "gauche de la gauche",
de révolutionnaires, afin d'effrayer qui aurait l'idée de s'y
joindre. Seuls des philosophes vont avancer des solutions plus
radicales, rejoints un peu plus récemment par des économistes ou
des sociologues, voire sans doute des géographes reprenant la grande
tradition d'Élisée Reclus. Cela reste bien académique, et qui va
les lire à part des personnes déjà plus ouvertes et à moitié
acquises ?
Mais pourquoi, alors, ces philosophes ne cherchent-t-il pas
simplement à anéantir le capitalisme, en proposant d'abolir ses
deux fondements qui sont le profit et le pouvoir ? Et pour que
ces deux chancres disparaissent à la fois, n’est-il pas
souhaitable de mettre fin à la propriété privée ? Car le
Pouvoir, c’est le Pouvoir sur quelqu’un : à partir du
moment où la propriété privée est bannie, cela change même les
bases de la société au niveau du couple, où souvent, trop souvent
surgissent des relations de Pouvoir. Et au niveau du travail, qui est
un acte contraint partiellement compensé par une monnaie censée
donner les moyens de reconstituer... la force de travail.
Un cercle vicieux en somme, qui se combine avec le cercle de la
production qu’il faut écouler à tout prix afin de payer le
renouvellement d'une partie (c'est vicieux) de la force de travail.
Les deux roues "de l’enfer" diraient sans doute des
croyants. Roues qui se combinent avec la roue du Profit, il en faut
toujours plus parce que jamais ce n'est assez gratifiant : en
effet ce n’est que du vent, même s’il permet d’acheter
toujours plus de Pouvoir.
Cette solution radicale, la disparition de la propriété privée,
serait-elle trop demander à l’Humanité, même pour en assurer la
sauvegarde ? Car le capitalisme est une force de destruction
majeure, capable de balayer toute vie sur Terre pour tenter
d’assouvir ses soifs inextinguibles de base. Ses grands-prêtres
complètement plongés dans l'addiction la plus virulente en sont
arrivés à ne même pas réfléchir aux chances de leur propre
survie en cas de pollution majeure et irréversible. C'est bien
pourquoi mettre en place une nouvelle donne toute différente devient
de jour en jour plus important, plus urgent, plus crucial.

Repensons à cette Révolution bourgeoise qui eut lieu en 1789 :
si les sans-culottes furent la matière brute qui permit de renverser
une certaine hiérarchie, souvent de façon très sanglante, ce sont
bien des bourgeois qui se retrouvèrent aux commandes de la rédaction
de la première Constitution, épaulés par quelques nobles
"libéraux" et des ecclésiastiques modestes (quelques
curés) ou opportunistes comme l'inénarrable Talleyrand, le subtil
Sieyès, le retors Fouché. Là où les relations étaient basées
sur une suzeraineté complexe et souvent verbale, s'instaura alors
une méticuleuse mise en forme de la propriété privée. Là où les
devoirs étaient réciproques (les seigneurs avaient en principe le
devoir de défendre leurs fermiers et la population des terres
jouxtant leur château ; le roi devait défendre les seigneurs
et la population en général : le tout en contrepartie des
impôts et corvées), se substitua la propriété simple analogue à
celles qui prévalait dans les villes. La notion de propriété s'en
trouva énormément renforcée, comme en témoigna le préambule de
la Constitution de 1793, article 2.
.
Article premier (le but de la société)
Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est
institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits
naturels et imprescriptibles.
.
Article 2 (énumération des droits)
Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la
propriété.
Sur ces pierres se bâtirent toutes les lois, mises en forme de
façon drastique par le Code Napoléon, toujours en vigueur malgré
des aménagements. Le problème est bien là, surtout depuis que des
accords internationaux refusés par les citoyens, mais appliqués par
des représentants félons, ont magnifié la prééminence de l'ogre
capitalistique dopé par les idées de la catastrophique École de
Chicago.

De cet engrenage mortel, il faut donc à tout prix sortir, casser
le cercle vicieux, reprendre la définition même de la propriété.
Il ne faut pas hésiter : une personne ne devrait avoir que le
droit de jouissance (ce qu'en droit on appelle l'usus ) de
bien appartenant en fait à la communauté : celle-ci par
l'intermédiaire de tous les citoyens pourrait fabriquer des biens en
fonction des besoins, les réparer, mais non s'en séparer (ce qu'on
appelle le fructus ) : la dernière pièce de la
propriété étant tout simplement exclue ( l'abusus ), soit
le droit de se séparer de ces biens en les détruisant ou en les
vendant. Le fait de devoir démanteler quelque chose devenue
dangereuse impliquerait automatiquement celui de reconstruire quelque
chose d'équivalent.
Voilà ce qu'il faudrait mettre en place, ce qui changerait les
rapports entre tous les humains, et permettrait d'accéder enfin à
un âge d'or bien plus raisonnable que la catastrophe que nous vivons
actuellement. La propriété privée disparue, la monnaie n'aurait
bien entendu plus de raison d'être puisque tout se ferait sous forme
d'échanges de bons procédés entre personnes toutes égales, et
toutes différentes en talents (différentes, mais pas plus ou moins
utiles).
Il y a du travail ! Même si la notion de travail communément
sous-tendue actuellement disparaîtrait dans ce nouveau cas de
figure, remplacée par celle de tâches nécessaires et librement
consenties sans esprit de lucre ou de domination.