C'est un véritable article d'anthologie que nous livre Pierre Fetet cette fois-ci. Tout y est, aussi bien la situation actuelle, que ce qui risque d'arriver dans un délai hélas inconnu.
Une chose est certaine, et prouvée désormais : ce sont au moins trois cents mètres cubes d'eau contaminée gravement qui se déversent bon gré, mal gré, chaque jour dans l'océan Pacifique, avec la conséquence pour la faune marine que l'on devine. Trois cents mètres cubes, que TEPCO ne peut tout simplement pas empêcher de s'écouler actuellement. En cas de nouveau tremblement de terre, le bilan serait bien entendu revu largement à la hausse. De plus, cette situation déjà néfaste ne perdure ainsi que parce que des pompes continuent en permanence à refouler à la fois l'eau contaminée dans des récipients plus ou moins provisoires, et l'eau saine en amont qui est détournée avant d'être trop souillée à son tour. On sent là un dossier fort mal maîtrisé (souvent pour des questions de coût), que la moindre anicroche peut largement alourdir. Ne serait-ce que la simple transformation progressive du sol et du sous-sol de la centrale en un marécage radioactif et inapprochable.
7 août 2013
Que
veut dire le mot « urgence » à la centrale de Fukushima Daiichi ? Ce
mot a tellement été employé depuis deux ans et demi qu’on a du mal à
croire à une urgence alors que Fukushima n’inquiète plus grand monde
depuis longtemps. Et pourtant, ce mot vient d’être employé par quelqu’un
qui s’occupe de la sécurité nucléaire au Japon : selon l’agence Reuters,
le responsable d’un groupe de travail sur Fukushima de la NRA –
l’Autorité de régulation nucléaire du Japon – a annoncé lundi que
Fukushima était dans une situation d’« urgence ». Shinji Kinjo n’est
pourtant pas du genre à s’inquiéter d’habitude : le 15 mars 2011, après
la troisième explosion à la centrale de Fukushima Daiichi, l’expert
avait déclaré
que l’augmentation de la radioactivité n’aurait pas d’effets immédiats
sur la santé. C’est dire si ses propos publics aujourd’hui sont
inquiétants. Pour comprendre pourquoi cet homme sort de sa réserve en
remettant sévèrement en cause l’opérateur Tepco, il faut revenir sur les
évènements qui ont débuté le mois dernier. C’est l’objet de cet article
qui va essayer de faire le point de la situation concernant les eaux
contaminées à la centrale de Fukushima Daiichi.
La gestion des eaux de Fukushima Daiichi
Pour bien appréhender la
situation, il faut connaître l’état des lieux. En bref, en mars 2011,
les sous-sols de la centrale on été entièrement inondés par le tsunami,
d’où la présence abondante d’eau salée initialement. Puis elle a subi 3
meltdowns (fonte du cœur) – c’est-à-dire l’accident le plus redouté de
l’industrie nucléaire – formant chacun un corium
d’environ 70 à 90 tonnes. Mais pire, au moins un des coriums a traversé
la cuve d’un réacteur pour s’arrêter et se solidifier en fond
d’enceinte de confinement ; ça c’est la version officielle. Mais pour
l’instant, Tepco n’a pas été capable de montrer quoi que ce soit
prouvant cette version. Car il y a une autre hypothèse : le corium a
peut-être traversé le radier de fondation, ce qui l’aurait mené à la
couche géologique contenant la nappe phréatique. Personne n’a prouvé
cela non plus, car c’est tout simplement impossible en l’état des
connaissances étant donné que Tepco pratique la rétention d’une grande
partie des données. Mais cette hypothèse est de plus en plus plausible,
nous allons voir pourquoi.
A la télévision japonaise (Asahi TV), on n’hésite plus à parler de melt-out (sortie du corium de l’enceinte de confinement).
Arrosage des cœurs fondus
Tepco arrose les cœurs fondus – du moins leur emplacement supposé
dans les cuves – pour évacuer leur chaleur résiduelle. Cela nécessite
environ 360 m3 d’eau par jour. L’eau, au lieu de rester dans
les enceintes de confinement, se répand dans les sous-sols de la
centrale, probablement à cause de failles provoquées par le tremblement
de terre du 11 mars 2011. On estime que 100 000 tonnes d’eau contaminée
stagnent ainsi à la base de la centrale. La contamination de cette eau
est très importante : les dernières mesures donnent 5,7 millions de Bq/L
pour l’unité un, 36 millions de Bq/L pour l’unité 2, et 46 millions de
Bq/L pour l’unité 3.
Nappe phréatique en jeu
Une autre arrivée d’eau, incontrôlable, a été rapidement constatée,
c’est celle de la nappe phréatique qui vient de toute part : 400 m3 d’eau par jour, qui se mélange et se contamine à celle utilisée pour le refroidissement.
Pour que le niveau d’eau ne monte pas et que le site ne devienne pas
un marécage radioactif, Tepco est obligé de pomper en permanence l’eau
des sous-sols. Cette eau est ensuite acheminée à des systèmes complexes
de traitement qui supprime la salinité et enlèvent une partie des
radionucléides. L’eau est ensuite stockée dans des réservoirs, et une
partie est réutilisée pour le refroidissement. En effet, pour éviter de
relâcher de l’eau radioactive dans l’océan, on la stocke sur le site.
Actuellement, il y a environ 1000 réservoirs contenant quelques 300 000 m3 d’eau contaminée. Au 5 août 2013, Tepco a annoncé avoir encore 60 000 m3
de stockage disponible, ce qui lui permettrait de tenir jusque décembre
2013. Sur le long terme, d’ici deux ans, Tepco prévoit d’augmenter sa
capacité de stockage à 700 000 m3.
Le combat contre l’arrivée d’eau
Pour éviter de traiter trop d’eau, Tepco a installé 12 puits en amont
des réacteurs pour pomper l’eau de la nappe phréatique avant qu’elle
n’arrive dans les sous-sols. Cette opération ne permet en fait que de
pomper 100 m3/jour. Mais comme le terrain surplombant ces
puits a été contaminé par des fuites d’eau très radioactive provenant de
réservoirs souterrains que l’opérateur avait creusés à même le sol –
pour réduire la facture du stockage en cuves métalliques – il n’y a pas
encore d’autorisation pour relâcher cette eau en mer. En effet, après
le tollé provoqué par le relâchement de 11 500 m3 d’eau
radioactive dans l’océan en mars 2011, Tepco a promis de ne plus le
faire sans l’autorisation des pêcheurs. Mais aujourd’hui, les pêcheurs
n’ont plus confiance et ils ont sans doute raison.
Ce
poisson, pêché à proximité de la centrale de Fukushima Daiichi en
janvier 2013 est très radioactif : 254 000 Bq/kg, soit 2 540 fois la
limite de 100 Bq/kg définie pour les produits de la mer par le
gouvernement.
Mur étanche et fuites vers la mer
Prévu depuis deux ans, la construction d’un mur étanche
en acier et béton entre la centrale et l’océan aurait dû être
aujourd’hui terminée. Il n’en est rien. Pour des raisons probablement
financières (ça coûte évidemment très cher) et humaines (difficulté de
recruter des ouvriers), la construction de cette barrière est loin
d’être terminée.
Dans
la précipitation due aux découvertes du mois de juillet, Tepco a opté
pour la réalisation de murs chimiques. Cette technique avait déjà été
employée en 2011 :
à l’époque, on avait injecté dans le sol du silicate de sodium
(Na2SiO3), qui est un composé chimique ayant la particularité de
solidifier le sol et le rendre dur comme du verre. Il est possible que
ce soit le même procédé. Toujours est-il qu’une raison technique empêche
de réaliser cette structure jusqu’au niveau du sol. Le mur chimique de
16 m de profondeur s’arrête à 1,80 m de la surface.
Or il semble que l’utilisation de cette technique sur une
longueur de 100 m ait provoqué la montée du niveau de la nappe
phréatique en aval de la centrale au niveau de l’unité 2 : le niveau
d'eau dans un des puits a augmenté d'un mètre depuis début juillet. Cela
semble assez logique étant donné que l’eau souterraine se déplace de la
montagne vers l’océan. Rencontrant un obstacle, cela provoque une
élévation de son niveau. Le gros problème, c’est que cette eau est
fortement contaminée ; Tepco reconnaissait qu' « il est possible que les
eaux aient commencé à passer par dessus le mur souterrain », ce qui
signifie en clair qu’elle est déjà en train de rejoindre l’océan.
Schéma de l’Asahi TV : le niveau de l’eau de la tranchée est plus haut que le sommet du mur chimique.
De l’eau contaminée dans l’océan
Les mesures réalisées en mer depuis deux ans et demi montrent que la
radioactivité ne baisse pas près de la centrale de Fukushima Daiichi,
alors que la décroissance radioactive et la dilution auraient dû
provoquer une diminution significative de la pollution. On supposait
donc que la centrale relâchait des effluents radioactifs mais Tepco
refusait jusqu’à maintenant d’admettre cette réalité. Ce n’est que le 22
juillet 2013 que l’opérateur a reconnu
une pollution du Pacifique, puis le 2 août, Tepco a annoncé que la
quantité totale de tritium rejeté depuis mai 2011 était comprise entre
20 000 et 40 000 milliards de becquerels (20 et 40 TBq). En fait, suite à
la fuite de 2011 qu’ils avaient eu du mal à contenir, Tepco s’était
engagé à boucher des conduits, ce qui pourtant n’a jamais été fait
durant 2 ans, la situation s’étant soit-disant « stabilisée ».
On
se rend compte à chaque fois que l’opérateur n’a rien d’un service
public – bien que l’état japonais soit l’actionnaire majoritaire – mais
est bien une entreprise commerciale qui, recherchant toujours le profit,
évite au maximum les dépenses. Finalement le 7 août 2013, le
gouvernement, par l’intermédiaire de l’Agence des Ressources Naturelles
et de l’Énergie, annonce que 300 m3 d’eau contaminée rejoignent quotidiennement l’océan.
Pomper en urgence
L’ensemble des conduits-tunnels-tranchées en aval de la centrale contiennent environ 15 000 m3 d'eaux
contaminées. Devant l’insistance de la NRA, Tepco s’est engagé à
commencer à les pomper dès le week-end prochain alors qu’ils
programmaient ce nouveau chantier seulement à la fin du mois d’août.
Comme le bassin qui devait recueillir cette eau supplémentaire près de
l’unité 2 n’a pas encore été construit, cela va réduire mécaniquement
les capacités de stockage du site.
Dès le mois de juin 2013, Tepco avait constaté une augmentation de la
radioactivité dans l’eau d’un conduit situé près de l’unité 2. Mais en
juillet, ça a été un peu la panique : deux prélèvements dans des
tranchées qui servent en fait de réservoir d’eau contaminée depuis le
début de la catastrophe ont donné des mesures impressionnantes : le
premier prélèvement (19 juillet 2013) a mesuré 36 milliards de Bq/m3 de césium 134/137, et le second (26 juillet 2013) 2 350 milliards de Bq/m3. D’où l’état d’urgence décrété par la NRA.
Des tranchées qui débordent
Aujourd’hui, il est avéré que l’eau contaminée passe par-dessus la
barrière chimique. On peut penser aussi qu’elle passe par en dessous et
sur les côtés, étant donné que ce « mur » chimique est intermittent. On
peut également penser que depuis 2 ans toute la communication de Tepco
sur la nappe phréatique qui se serait maintenue sagement sous la
centrale n’est qu’une vaste fumisterie. Dans une émission récente sur Asahi TV, des experts dénoncent les projets désastreux de l’opérateur.
Sur
Asahi TV, on explique que même le mur en acier-béton ne serait pas
efficace puisque l’eau de la nappe phréatique contournerait facilement
la barrière pour rejoindre l’océan.
Pour
l’instant, aucune action destinée à retenir l’eau contaminée n’a été
efficace. Elles ont été réalisées en dépit du bon sens. Pourtant depuis
le début de nombreux experts réclament une enceinte souterraine fermée,
une sorte de sarcophage souterrain gigantesque dont la construction
prendrait deux années. Si cette décision avait été prise il y a deux
ans, le déferlement de l’eau contaminée dans l’océan Pacifique aurait
peut-être été contenu aujourd’hui. Peut-être, car on ne sait pas pour
l’instant quelle profondeur devrait avoir cette enceinte. La centrale de
Fukushima repose sur des couches sédimentaires gréseuses et il est probable que l’eau y circule très facilement à des profondeurs insoupçonnées.
Le corium sorti de l’enceinte ?
Selon l’ACROnique de Fukushima du 1er
août, les derniers résultats de mesure de la contamination en césium de
l'eau des tranchées incriminées font apparaître des concentrations en
centaines de millions de becquerels par litre pour le réacteur n°2. Plus l'eau est prélevée profondément, plus elle est radioactive,
relate aussi Gen4 : il y a jusqu'à 950 millions de becquerels par
litre. Cela laisse penser que l’eau qui refroidit les coriums sort de
l’enceinte de confinement et largue ses radionucléides en continu dans
la nappe phréatique. Etant donné que Tepco ment par omission en
permanence sur tous les fronts depuis le début de la crise, on peut
penser raisonnablement que c’est une des dernières cachoteries de
l’opérateur maudit.
Des
échantillons ont été prélevés le 31 juillet à une profondeur de 1
mètre, 7 mètres et 13 mètres sur le côté mer de la centrale. (Asahi)
Que faire maintenant ?
Maintenant que le gouvernement a révélé que 300 m3/jour
d’eau contaminée s’écoulent en continu dans l’océan, que va-t-il être
possible de faire ? Il devient très critique de travailler dans cet
environnement de plus en plus radioactif. Les hydrogéologues de la NRA
certes travaillent sur le sujet, mais rarement la théorie concorde avec
le terrain. L’eau finit toujours par s’infiltrer et s’installer. Il
serait dangereux que le sol où est construite la centrale devienne un
bourbier radioactif car il pourrait devenir instable. La solution à
court terme est donc d’encore pomper et stocker. La solution à long
terme n’est pas encore connue. Ou alors, il faut faire comme l’IRSN,
rester optimiste quoi qu’il arrive : « Au vu des valeurs observées
dans l’eau de nappe, l’apport de radioactivité à l’océan par le site
devrait rester limité au regard de cet apport terrestre global, compte
tenu des mesures prises, et les éventuels impacts écologiques devraient
vraisemblablement rester localisés aux environs immédiats de la centrale
du fait de l'importante capacité de dilution de l'océan. » (IRSN, 10 juillet 2013)
Et tu sais qu'il y a des gens pour nous dire qu'on est des cons avec nos éoliennes polluantes en diable alors que le nucléaire est si tellement plus propre...
RépondreSupprimerBoum ! Mon cœur fait boum ! Mais non c'est la centrale qui fait BOUM.
C'est clair ! Au moins avec le nucléaire tu meurs en silence et sans avoir vu une seule fois la queue du dragon : à part ceux qui ont participé à une petite expérience amusante à Hiroshima , ou (dont c'est l'anniversaire aujourd'hui) à Nagasaki.
SupprimerC'est "marrant" le temps qu'ils ont mis à se réveiller, enfin à admettre, hein .....
RépondreSupprimerJe me permets juste de vous demander ce que vous en pensez des "petites" saloperies qu'ils font passer en douce l'été : z'avez vu ça ? .... et avec vote commun UMP et PS !
http://sarkostique.fr/index.php?topic=1853.msg41329#msg41329
Merci Nounourse. Bien sûr, les "Grands Partis" (partis de haut et arrivés nulle part) veulent détruire les petites communes, qu'ils ne peuvent pas contrôler parce qu'il y en a beaucoup trop. De même qu'ils ont régionalisé pour que l'élu soit un anonyme la plupart du temps inconnu. La chose ne date pas d'hier. Cela date des années 60. Ainsi ce sont les lobbies de Bruxelles qui ont la haute main sur nos destins, y compris les lobbies français de l'agroalimentaire, du nucléaire, etc...
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