Merci à Clo pour m'avoir communiqué cet échange intéressant.
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Jonathan D. est un ancien
étudiant de Christophe Oberlin à la faculté de médecine de Paris.
Jonathan a fini ses études en Israël où il est installé.
En 2004, Jonathan a
repris contact avec son ancien professeur, et les deux échangent
épisodiquement une correspondance. Voici la dernière qui remonte à
quelques jours.
Lettre de Jonathan D.
Bonjour Professeur,
Cela fait longtemps que
je ne vous ai pas lu.
Dernièrement on m’a
fait remarquer que j'étais cité sur une interview que vous avez
donnée à "Radio j", à la suite de la polémique qui a
suivi la question sur le cours optionnel de médecine humanitaire.
J’ai alors regardé les
quelques interviews que vous avez donnés à ce sujet.
Plusieurs choses m'ont
frappé.
Tout d'abord votre sang
froid malgré les questions très embarrassantes, la faculté de
poursuivre suivant une suite logique malgré les interruptions. On
voit là votre expérience d'orateur.
Cependant après quelques
interviews j'ai remarqué que les arguments étaient les mêmes, peu
importe la question, et deuxièmement ils sont souvent donnés dans
le même ordre.
Cela montre un effort de
préparation mais perd de sa spontanéité.
Au sujet de mon point de
vue sur Israël, j'ai peur que vous ne soyez loin d'avoir saisi ma
position.
Je suis Juif, de droite
politiquement, attaché à ma terre par un lien trimillénaire. Je
suis souvent en désaccord avec mon gouvernement mais comme un membre
d'une famille qui se dispute avec son père. Mes frères juifs sont
pour moi plus importants que le reste du monde, comme un frère est
plus important qu'un cousin.
Je pense que les juifs
ont vécu des centaines d'années sous domination arabe en paix, et
donc je ne vois pas de problème pour que les arabes d'Israël vivent
sous domination des Juifs, comme le font d'ailleurs les Druzes et les
Bédouins. S’ils sont d'accord je vivrai à côté d'eux avec
plaisir. Mais s’ils ne le sont pas, je pense que leur place n'est
pas en Israël.
L’état d'Israël
essaye depuis sa création de réussir cette symbiose de manière
démocratique. La charte de l'état déclare notre état comme juif
et démocratique.
Voilà un bref résumé
de ce que je pense..... Désolé que ce soit un peu cru.
Je ne pense pas qu'il y
ait de solution au problème palestinien parce que deux peuples se
battent pour la même terre, chacun pensant que cette terre est la
sienne.
Et je finirai par une
seule phrase: cette terre est la mienne.
Réponse de Christophe
Oberlin :
Bonjour Jonathan,
Merci de ton message. Il
est pour la première fois illustré par l’une de tes photos. Je
vois que le temps a passé depuis que tu étais mon étudiant à La
faculté Bichat à Paris. C’est maintenant à un monsieur que je
m’adresse. Pardonnes moi de continuer à te tutoyer, l’habitude
est prise et je te suggère de faire de même !
Oui j’ai cité ton
prénom sur Radio J, et tu t’es reconnu. Mais tu ne me dis pas si
ce que j’y ai dit de toi correspond à ton sentiment. Comme on va
le voir, nos opinions divergent complètement. Mais, pour moi en tous
cas, le fait que tu restes en contact est significatif. Tout d’abord
tu n’es peut être pas sûr à 100% que tes idées sont exactes,
puisque tu les confrontes aux miennes. Surtout tu ne m’insultes pas
et ne reprend pas à mon égard une accusation d’antisémitisme qui
est l’arme de ceux qui n’ont pas d’arguments. La discussion
reste donc ouverte, et c’est ce que j’apprécie.
Alors je vais essayer de
répondre point par point à ta lettre.
Sur la question d’examen
du certificat de médecine humanitaire que j’ai posée en juin
dernier et qui traitait d’un cas réel survenu à Gaza en 2009, et
malheureusement 2012 a connu d’autres cas analogues, tu me
reproches de manquer de spontanéité dans différents interviews :
il est vrai que j’ai été interviewé plusieurs fois sur le même
sujet, avec les mêmes questions. J’ai donc donné les mêmes
réponses. Tu sais aussi que j’essaye d’être pédagogue, et la
seule chose qui compte, c’est ce que les gens retiennent. Au
risque de la répétition. Et bien en final, cette petite question,
l’une des quatre du certificat de médecine humanitaire, a eu un
bon effet pédagogique. Beaucoup de gens, en France comme à
l’étranger, ont appris la définition d’un crime de guerre
(contraire aux lois de la guerre) ou d’un crime contre l’humanité
(intentionnel). Et figures-toi qu’à Gaza, la question qui m’a
été posée plusieurs fois est : « Est-ce que les étudiants ont
bien répondu ?» Et la réponse est oui (80 sur 85).
Tu
me dis ensuite que j’ai sans doute mal compris ta position sur
Israël. D’où tires- tu cela ? Dans l’interview, je te cite
simplement comme quelqu’un qui m’écrit et manifeste à cette
occasion un certain malaise. Quand tu m’écris au moment où ton
frère part faire la guerre au Liban, n’es-tu pas en souffrance ?
La guerre de Gaza qui s’achève à peine t’a-t-elle laissé
serein ? Est-ce un pur hasard que tu m’écrives à cet instant,
alors que nous n’avons pas communiqué depuis très longtemps ? Étais-tu parmi les 75 000 soldats mobilisés à la frontière de Gaza
? Comment concevais-tu alors ton éventuelle mission ? Le cesser le
feu t’a-t-il satisfait, soulagé ? Étais-tu vraiment sûr qu’il
aurait été juste de te donner l’autorisation de tuer ?
Alors tu me dis que tu es
« juif et de droite politiquement ». Cela n’a rien évidemment de
contestable, et je peux te dire qu’aucun de mes amis du Hamas n’a
jamais devant moi contesté ce sentiment d’appartenance en tant
que tel.
Tu te dis « attaché à
ta terre par un lien trimillénaire ». Ce que tu dis là est du
domaine socio culturel. C’est ce qu’on t’a dit, et tu en es
convaincu. C’est du domaine de la croyance, et la croyance par
définition ne se discute pas. Mais il faut savoir séparer la
croyance du profane, et respecter dans son comportement ceux qui ne
partagent pas cette croyance. Reproches-tu aux Chinois ou aux Indiens
de croire à autre chose ? Peux-tu me dire si l’appartenance à la
communauté juive implique le rejet de ceux qui ne partagent pas la
même croyance ?
Si l’on met de côté
la croyance, voyons l’Histoire. C’est justement il y a trois
mille ans qu’est née la Philistia, par fusion d’une immigration
venue d’Asie Mineure et de Crête avec la population locale du pays
de Canaan. La langue, l’archéologie, les textes égyptiens puis
assyriens sont là pour nous le prouver. Avec les cinq villes de
Philistia : Ashkelon, Gaza, Ashdod, Ekron et Gath. Cinq villes dont
quatre aujourd’hui sont en Israël, et la cinquième assiégée !
Et l’attachement que tu manifestes pour Jérusalem, légitime dans
ta croyance, est-il exclusif et plus légitime que celui des
chrétiens pour la Terre Sainte ou des musulmans pour les mosquées
de l’esplanade ?
Tu me dis que ton
attachement à un frère juif est plus important que ton attachement
pour un cousin. C’est naturel, mais la société et la loi sont là,
dans les pays démocratiques, pour faire en sorte que le cousin,
voire l’étranger, bénéficie en final de droits égaux. Sinon,
c’est la tribu. L’état d’Israël doit-il aujourd’hui se
comporter comme une tribu, ou comme un état démocratique ? Et tu
cites justement la formule « état juif et démocratique ». Il
n’est pas rédhibitoire dans les textes généraux qui régissent
un état, de faire référence au fond culturel de la majorité de
la population. A condition que tous bénéficient des mêmes droits.
La référence à l’Islam dans les républiques du Sénégal ou de
Turquie, n’implique pas l’expulsion des non musulmans, ni leur
exclusion de la vie démocratique. Penses-tu réellement que les
Palestiniens israéliens peuvent, aussi facilement que les juifs,
entrer facilement à l’université, obtenir un crédit pour
construire une maison, entrer dans l’armée, présenter le journal
télévisé, être ministre ?
Alors tu me dis « que
les juifs ont vécu des centaines d’années sous domination arabe,
en paix, et que tu ne vois pas le problème pour que les arabes
vivent sous domination juive ». Et tu ajoutes : « comme le font les
Druzes et les bédouins ». Ne te rends- tu pas compte que le monde
aujourd’hui a changé, et essaye d’imposer une notion
fondamentale : l’égalité des droits entre les individus, où
qu’ils se trouvent. Avec notamment un objectif qui est d’éviter
que les minorités ne soient écrasées et disparaissent sous la
force des majorités. Et la communauté juive est justement l’une
de ces minorités ! Et la garantie de la pérennité d’une
minorité, ce ne sont pas les armes, mais la paix avec ses voisins,
et notamment avec ceux qui habitent dans le même immeuble !
Tu termines en disant que
« deux peuples se battent pour une terre dont ils pensent qu’elle
est la leur. Cette terre est la mienne ». Le problème c’est que
les Palestiniens ont toujours les actes de propriété de leurs
terres, et que toi tu n’en as aucun !
Et bien je vais te dire
une chose. Le Hamas dit qu’il ne reconnaîtra jamais l’état
d’Israël. Et pourtant, malgré tout le mal qu’il leur a été
fait, ils acceptent que tous ceux qui se sont installés sur la terre
de Palestine depuis un siècle y restent en bonne entente, eux et
leurs enfants, à condition qu’ils acceptent l’égalité des
droits. C’est-à-dire la démocratie, le respect des convictions
religieuses, de la culture, de la langue de chacun etc. Figures- toi
que certains de mes amis palestiniens, et parmi les plus
revendicateurs… apprennent l’hébreu ! D’aucuns l’ont même
appris dans les prisons israéliennes. Oh non, ce ne sont pas des
collabos ! Ils ne renoncent à aucune de leurs convictions
politiques ou religieuses. C’est simplement une reconnaissance d’un
état de fait : « Il y a des hommes et des femmes immigrés récents
qui parlent hébreu et nous devons les connaître et pouvoir
dialoguer. Mais cela ne retire rien au fait qu’ils habitent dans ma
maison, font cultiver mon champ, et que nous devons trouver un
arrangement sur la base du Droit. »
Donc mes amis du Hamas
refusent de reconnaître l’état d’Israël, mais ils acceptent
de vivre en bonne entente avec… les Israéliens, dans le sens des
habitants actuels de l’état d’Israël ! N’est-ce pas
l’essentiel ?
Est-ce que ce ne serait
pas un bel objectif religieux que de promouvoir la réconciliation
par le Droit ?
Christophe Oberlin
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(Note - on ne trouvera pas la fiche Wikipedia du professeur Oberlin, praticien humanitaire en butte à de nombreuses haines)
Je salue ce dialogue ouvert, soyons confiant dans la vertu de JUSTICE, cette spécificité Humaine (propre à l'Homme) puise son origine non pas d'un concept, d une élaboration mais qu'elle est naturelle, nécessaire, spontanée, elle est éthique avant d'être morale.
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