Merci à Cap 2012 et après , pour avoir découvert cette analyse si fine chez Realpolitik.tv.
Le 24 avril 2014
Épisode 10 : Bienvenue dans le Donbass, par Xavier Moreau
Ce n’était sans doute pas une décision de la junte kiévienne que de
se lancer à l’assaut du Donbass. Consciente de la faiblesse de ses
moyens, elle espérait neutraliser la contestation par l’élection du 25
mai. Cet attentisme n’était cependant pas du goût des sponsors américains de Maidan, qui ont dépêché le chef de la CIA
pour lancer une offensive contre les populations civiles de l’est de
l’Ukraine. Ils espèrent ainsi, ou bien mâter la résistance par la force,
ou – encore mieux – provoquer une intervention militaire de la Russie.
Malheureusement pour la CIA, le Kremlin a appris à anticiper tous les
coups tordus de Washington et est résolu à ne pas intervenir, du moins
pour l’instant. Les dirigeants russes connaissent les limites des forces
sur lesquelles la junte kiévienne peut compter. La garde nationale est
essentiellement composée de jeunes chômeurs et de néonazis, et il est
peu probable que l’armée ukrainienne accepte de tirer sur sa propre
population.
Les néo-nazis ukrainiens sont comme les islamistes de Syrie. Ils ne
constituent pas une unité capable de s’imposer rapidement dans le
Donbass, mais ils peuvent faire basculer l’Ukraine dans une guerre
interminable, qu’appelle de tous ses vœux Washington. Seuls deux pays
ont le pouvoir de mettre fin à ce scénario mortel pour l’Europe,
l’Allemagne et la France. C’est à ces deux puissances et à la Russie de
régler le sort de l’Ukraine et surtout pas à l’Union Européenne, qui
ajoute à la ruine de nos économies la réintroduction de la guerre en
Europe. Ajoutons que confier la résolution de la crise à des
fonctionnaires sur le point de quitter leur emploi est proprement
suicidaire (Anders Fogh Rasmussen, Catherine Asthon et José Manuel
Barroso).
Les milices néo-nazies peuvent évoluer avec le temps et de
l’entrainement en des unités militairement compétentes. C’est ce sur
quoi comptent les États-Unis et leur homme lige à la tête de la junte
kiévienne, Olexandre Turtchinov. Ce pasteur évangélique fanatique est
l’atout principal de l’OTAN, au côté des milices néo-nazies et des
oligarques. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter la rencontre entre Dmitro Iarosh et Igor Koloïmoski,
le nouveau gouverneur de Dniepropetrovsk nommé par la junte. Le
bandériste antisémite et l’oligarque mafieux, président et financier du
congrès juif ukrainien, se sont finalement alliés contre l’ennemi
commun, la Russie et les Russes. $10.000 sont désormais offerts par la
junte, pour la capture d’un fédéraliste. Le financement de « Pravy
Sektor » par l’oligarchie est désormais avéré, ce qui ramènent ce
mouvement à ce qu’il est réellement : un groupe de mercenaires sans foi
ni loi. Cela explique aussi d’où proviennent les 2,5 millions de grivna
(220.000 $US), nécessaires au dépôt de candidature de Dmitro Iarosh et
explique son statut « d’intouchable ».
Leur première prestation n’a pas été très concluante,
puisqu’elle s’est soldée par un échec. Les fédéralistes ont pu exhiber
les équipements récupérés sur les néonazis. La presse française s’est
contentée de ne montrer que la carte de visite de Iarosh, dénonçant immédiatement un faux. Pourtant, le plus intéressant n’est pas cette carte de visite, ni la MG-42, mais le permis de conduire
d’un certain Mikhaïlo Alexandrovitch Stanislavenko, né le 19 avril
1983. Nous comptons sur les médias russes pour retrouver le propriétaire
du permis (la chaîne NTV était parvenue, il y a 6 ans, à retrouver le propriétaire du passeport américain
perdu lors de la débâcle en Ossétie.
NTV avait même découvert que le
mercenaire, Mikhaïl Lee Walter, avait travaillé en ex-Yougoslavie au
moment de l’épuration ethnique de la Krajina par les services secrets
allemands et l’armée américaine). Dans une triste vidéo,
les défenseurs de Slaviansk ont présenté Vitaly Kovaltchouk, un des
attaquants du « check point ». Le gamin de « Pravy Sektor » pensait
bénéficier dans le Donetsk de la même impunité qu’à Maïdan… Hier encore,
un membre du groupe néonazi, Dmitry Tomarievskovo, a été arrêté à Slaviansk lors d’une mission de reconnaissance.
Iarosh vient d’annoncer la création d’un « bataillon du Donbass »
et le transfert de son « état-major » à Dniepropetrovsk, à proximité de
son principal bailleur de fonds. La réaction de la junte à cette
violation flagrante de l’accord de Genève promet d’être intéressante.
Le temps joue contre l’OTAN
Les accords de Genève peuvent être interprétés comme une première
étape vers la paix, mais il nous faut mesurer notre enthousiasme.
Gardons à l’esprit que la parole internationale des États-Unis ne vaut
rien : d’une part parce que, tout accord est considéré comme du temps
obtenu pour préparer une relance des hostilités ; d’autre part, parce
que le gouvernement américain n’a pas un contrôle réel de sa politique
étrangère. Barack Obama était-il au courant du voyage de son chef des
services secrets à Kiev ? Savait-il que ce dernier allait lancer une
opération militaire contre l’est de l’Ukraine ? Rien n’est moins sûr. La
meilleure garantie pour une issue pacifique de ce conflit est la
supériorité militaire et économique de la Russie, associée à la sagesse
retrouvée des dirigeants français et allemands.
Comme nous l’avons expliqué dans nos analyses précédentes, la
stratégie de la Russie n’est pas d’intervenir militairement mais
d’attendre que l’Ukraine s’écroule économiquement. Chaque jour qui passe
est une prise de conscience supplémentaire pour la junte ukrainienne de
la dépendance de son économie nationale envers la Russie. Les
puissances européennes, aveuglées par l’UE, sont elles aussi en train de
comprendre l’interdépendance de leurs économies.
La presse française nous répète que la Russie a perdu l’Ukraine,
pourtant c’est exactement le contraire. Si l’OTAN ne réussit pas à faire
basculer le pays dans la guerre civile d’ici 6 mois, c’est elle qui
perdra l’Ukraine. L’alliance pourra garder une certaine influence sur
une « république autonome de Galicie », où les mouvements néonazis ont
apprécié le soutien qui leur a été apporté… Cela dit le peu d’argent que les États-Unis sont capables d’investir dans la région, les rend de moins en moins attractifs.
L’autre échéance qui menace les États-Unis et qui pourrait se produire d’ici la fin de l’année, est son pic de production
en matière de gaz de schiste. Le mirage s’évanouit peu à peu,
contrairement aux illusions entretenues ces dernières années par la presse atlantiste
(Fabrice Nodé-Langlois s’est avéré aussi incompétent en matière
énergétique que sur sa compréhension de la Russie lorsqu’il était
correspondant du Figaro à Moscou). Même les analystes les plus optimistes
tablent désormais sur une augmentation de la consommation de gaz
naturel aux États-Unis et donc une augmentation sensible du prix. Le
champ gazier à observer avec attention est celui de marcellus shale en
Pennsylvanie, sans lequel la production américaine serait déjà en train
de baisser.
Barack Obama a autorisé l’exportation du gaz de schiste non pas pour
sauver l’Ukraine et l’Europe de la dépendance gazière russe, mais parce
que les prix pratiqués sur le marché américain en annihile la
rentabilité. La fin du gaz de schiste aux États-Unis pourrait provoquer
une crise très grave outre-Atlantique, car les prix bas pratiqués ont en
rendu son économie extrêmement dépendante. Ces prix ont en outre
découragé les investissements en infrastructures, ce qui aura des
conséquences dramatiques quand les États-Unis devront de nouveau
importer massivement du gaz. Ils pourront toujours reprendre le projet avorté de terminal GNL avec Gazprom.
Cela relancerait pour de bon l’exploitation du champ gazier de Chtokman
avec Total et ENI. En attendant les principaux acteurs pétroliers
occidentaux sont en Russie, et bien content d’y être.
En fait les États-Unis et l’OTAN ont une fenêtre de quelques mois
pour lancer une guerre civile en Ukraine, qui puisse avoir des
conséquences économiques graves en Europe et tirer profit, comme en
1914-1918 et en 1939-1945, d’une guerre civile européenne, même si elle
n’est qu’économique.
Washington a cependant remporté une première victoire, non pas contre
la Russie, mais contre la France. Les organisateurs d’« Eurosatory » viennent en effet d’annoncer
que les sociétés russes pourraient boycotter l’exposition, ce qui
constituera une perte sèche pour le salon. La France est en train de
perdre, par la faute de son alignement sur les États-Unis et son soutien
à la junte libéralo-nazie de Kiev, son principal relai de croissance en
Europe pour son complexe militaro-industriel. Elle perd également sa
réputation de partenaire fiable et indépendant.
Choc de civilisation
Nous avons cherché dans l’Histoire un précédent, où une puissance
européenne aurait froidement massacré ses propres alliés, ou sa propre
population, pour faire endosser les exactions par son ennemi et ainsi le
discréditer. Certains gouvernements se sont attaqués aux plus faibles
ou ont exterminé leurs anciens alliés sans pitié, ce fut le cas de
l’Allemagne hitlérienne. D’autres ont massacré des millions de paysans
innocents, comme le Polonais Dzerjinski
ou le Géorgien Staline. Ce dernier a également tenté de faire porter la
responsabilité du massacre de Katyn aux Allemands. Les pires criminels
de tous les temps ont tenté de cacher les massacres qu’ils avaient
commis, ou d’en faire porter la responsabilité à d’autres.
Mais jamais
dans notre civilisation nous n’avons tué nos propres amis pour faire
accuser notre adversaire. Seuls les États-Unis et l’OTAN sont capables
de cela, et c’est ce qu’ils ont commencé à faire en Ukraine de l’est
après l’avoir fait en Yougoslavie (marché de Markalé, bombardement des
colonnes de réfugiés albanais au Kosovo), en Syrie (attaque à l’arme
chimique sur les populations civiles pour faire accuser Bachar el
Assad), ou à Kiev (snipers pour abattre les manifestants et les membres
des forces de l’ordre, couverts par Catherine Ashton). Sans grande
imagination, l’OTAN nous rejoue le même scénario depuis 25 ans, comme si
internet n’existait pas, pour mettre en lumière ces provocations
grossières. Nous avons eu le tractage antisémite bidon à Slaviansk, le meurtre de responsables gouvernementaux, de journalistes, les attaques contre les Roms, nous avons eu l’esquisse d’un camp de concentration avec des rumeurs de tortures
à Slaviansk. Cette panoplie est tellement grotesque que même la très
soumise presse française hésite à la reprendre et à matraquer le peu de
lecteurs qui lui reste. La pression d’internet est désormais trop forte
sur les journalistes français, qui ne souhaitent pas passer pour des
menteurs patentés de manière trop flagrante.
Pour comprendre les événements en Ukraine, il est important de garder
à l’esprit, que les États-Unis ne font pas partie de notre
civilisation, et que les valeurs occidentales sont à l’exact opposé des
valeurs européennes. Nous ne pouvons pas imaginer qu’un gouvernement
puisse s’allier avec des islamistes ou des néonazis, ni qu’ils puissent
massacrer ses propres amis, parce que nous sommes issus d’une
civilisation reposant sur mêmes les valeurs chrétiennes, orthodoxes ou
catholiques. Mêmes si les dirigeants occidentaux paraissent nous
ressembler, nous sommes ontologiquement, socialement et sociétalement,
l’opposé des États-Unis. Leur sauvagerie sans limite est la conséquence
de leur prétendue élection divine et de leur insatiable volonté de
puissance. C’est ainsi qu’en chassant l’OTAN de Crimée, la Russie a
offert à la nouvelle Europe sa première victoire et un premier pas vers
sa libération.
Xavier Moreau
Crédit photo : The Global Panorama via Flickr (cc)
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