mardi 18 janvier 2011
Il n'y avait pas que la dureté de la vie autrefois. Quand j'avais une quinzaine d'années, il m'arrivait d'aller à la pêche. La veille, j'allais au tas de blé prévu pour le réensemencement de l'automne, et j'y prélevais une petite, ô bien petite poignée de grain. Je la mettais à bouillir doucement dans une petite casserole, avec de la menthe. Pendant ce temps-là, je préparais mon vélo avec plusieurs lignes différentes à utiliser selon les états de l'eau, et puis mes deux cannes à pêche. Le blé cuit allait au frigo en attendant le lendemain. Comme on ne sait jamais quelle météo on va trouver, j'y joignais un imperméable, et un chapeau de paille.
Le lendemain, le réveil sonnait très tôt, à quatre heures en général, ce qui ferait trois heures aujourd'hui, heure d'été. Je prenais mon vélo, prêt de la veille, bien avant le lever du soleil, je faisais deux ou trois kilomètres, en m'enfonçant dans le « marais mouillé », ce labyrinthe de petites « conches », de « rigoles » (chaque largeur de fossé ou de canal avait un nom différent), de petits chemins dont beaucoup étaient sans issue et aboutissaient justement à une rigole.
Après un certain coude du chemin, je descendais de vélo, ouvrais une assez symbolique barrière avec des barbelés, refermais derrière moi pour le cas où le terrain où je m'aventurais était peuplé de bétail. Je traversais ce terrain, herbu, odorant, entouré de peupliers bruissants et frémissants sous la brise nocturne. Il ne faisait pas vraiment chaud à cette heure-là, dans un milieu toujours humide. J'arrivais sur le bord opposé du pré, bordé de frênes têtards qui plongeaient une partie de leurs racines directement dans l'eau de la rigole. Je vérifiais l'état de celle-ci. Souvent l'eau était claire, mais il arrivait que des lentilles d'eau fassent une couche vert clair à la surface : il fallait prévoir les lignes lestées, avec beaucoup de plombs et des bouchons plus gros. Je déballais sans bruit mon matériel, plantais mes supports de lignes, assujettissais des grains de blé décortiqués au bout des lignes grâce à une petite lampe à pile, étendais les lignes, et mon bouchon était à l'eau alors que l'est commençait à peine à s'éclaircir (en été bien sûr).
J'attendais, immobile. Les oiseaux commençaient leur chant matinal, voletaient d'arbre en arbre. Le ciel blanchissait en face de moi à travers les rideaux successifs d'arbres. Je commençais à voir mes bouchons blancs sur le noir de l'eau, ou le vert des lentilles. Souvent, c'est là que commençaient les prises. Les poissons allaient sans doute en quête d'un petit déjeuner. Gardons, tanches, ablettes parfois venaient goûter mes grains de blé. Je les mettais dès la prise dans un panier métallique plongé dans l'eau, et accroché à la berge. Parfois je ne prenais rien. Mais cela n'avait pas d'importance, car cette ambiance suffisait au bonheur. Le soleil continuait à monter, j'en profitais pour me découvrir. Les insectes reprenaient leurs ballets, nombreux papillons dont un bleu qui n'existe nulle part ailleurs, facétieuses libellules qui se posaient sur mon bouchon parfois, abeilles affairées. Si des veaux étaient présents, ils venaient me flairer parfois. La matinée s'avançait ainsi. Les senteurs de menthe sauvage et de beaucoup d'autres herbes aromatiques emplissaient l'air avec l'arrivée de la chaleur.
Je rentrais vers midi dans un nuage d'insectes, de papillons, de libellules... Je repliais tout, reprenais le vélo, parfois un oiseau effrayé s'envolait à mon approche. C'est ainsi qu'un jour, j'ai vu passer juste au-dessus de moi un magnifique faisan tout effrayé, dans le petit chemin entouré de grands arbres. Un froissement dans les feuilles : les plombs. Un coup de fusil. Le chasseur ne m'avait pas vu. Heureusement, il ne m'a pas eu, le faisan non plus. C'est pourtant si beau, un faisan !
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