mercredi 2 novembre 2011
C'est de loin qu'on les entendait. Les lavandières étaient alignées, le long des bords en pente du lavoir, et paf ! paf paf ! elles battaient le linge avec leurs battoirs de bois, grosses spatules épaisses, blanchies et polies par le travail. Elles se faisaient face, car deux lignes de ces blocs de granit noir bordaient le bassin d'eau claire et courante. Une source alimentait ce bassin, source qui alimentait un ruisseau en amont et en aval de ce lavoir sûrement ancien. Abondante, une partie de son cours régulée par une sorte de petit barrage longeait à l'extérieur le lavoir, se déversant dans un lit serpentant. Juste à la hauteur de l'entrée du lavoir, une rangée de pierres délimitait une profondeur un peu plus importante. Juste au-dessus une sorte de barrière métallique empêchait les animaux de remonter le ruisseau, et régulièrement bovins et caprins venaient là boire avant de rentrer à la ferme. Il était même amusant de rencontrer ces troupeaux faisant la queue vers sept heures du soir, maintenus par leurs bergers en attendant que le troupeau précédent ait terminé. Chacun de ces groupes d'animaux ne comportait guère que de trois ou quatre unités, jusqu'à une douzaine pour les "grosses fermes".
Et pendant ce temps (enfin, c'était en général plus tôt dans la journée) ces dames maniaient avec détermination leurs battoirs, retournant et retournant le linge qu'il fallait rincer dans l'eau froide. Un passage dans l'eau, elles tordaient un peu, paf ! paf ! un retour à l'eau, elles battaient à nouveau, puis passaient à la pièce suivante. Malgré la roideur des tissus, parfois filés et tissés sur place, les chemises, jupons, et autre pièces de lingerie n'arrivaient pas au poids des draps, épais et cartonneux souvent. C'est pourquoi elles n'avaient pas vraiment des silhouettes de mode : au contraire, leurs bras robustes se comparaient avantageusement avec ceux des hommes, malgré le côté essentiellement manuel des travaux des champs.
Bien entendu, ces assemblées, qui duraient des heures, étaient l'occasion de discussions animées, puisque c'était le seul moment où elles avaient le temps d'échanger ragots et nouvelles locales. Il fallait les voir bla bla, paf paf, bla bla, les paroles rythmées par les mouvements des bras ! C'était ainsi que se constituait la gazette, seulement orale bien entendu.
Ce passage au lavoir n'était que presque la fin d'un long processus. Dans un coin de pièce de la ferme, une énorme "pouëloune" de fonte était chauffée par un feu de bois dans une sorte de gros réchaud adapté, de fonte également. L'eau y bouillait, additionnée de lessive plus ou moins artisanale, et de "boules de bleu" qui gardaient la blancheur au linge, alors que naturellement il avait tendance à jaunir. Quand l'ensemble avait bouilli deux ou trois heures, c'est là que les ménagères essoraient sommairement literie et vêtements, et les entassaient dans une brouette, avec leur genouillère, cette sorte de caisse où elles posaient leurs genoux le long de la pierre à laver. Elle y mettaient en général un coussin, pour que l'épreuve soit moins rude.
Au retour de l'expédition, une fois par semaine, ou par mois, selon les besoins, le linge était essoré le mieux possible - à la main bien entendu - et étendu sur de longues cordes étendues dans les jardins, ou sous des hangars quand ils étaient vidés de leur paille. Il y restait souvent plusieurs jours, s'il ne pleuvait pas. Sinon, il fallait le rentrer précipitamment s'il était dehors, puis l'étendre à nouveau dès que l'averse avait cessé. En hiver, ces travaux étaient pénibles, avec le froid, bien que l'eau de source fût souvent plus "chaude" que l'air, le bassin "fumait" par les petits matins gris quand les écoliers le longeaient.
Dans mon village, pourtant bien petit, quatre lavoirs se partageaient la faconde des lavandières, chacun alimenté par une source différente. L'employé municipal, périodiquement, en nettoyait fond et bords afin que l'eau reste propre. Les sources existent encore aujourd'hui, mais les nappes phréatiques sont désormais beaucoup plus profondes en raison de l'eau courante pour tous, alimentée par un château d'eau couvrant douze communes. C'est pourquoi, désormais, les lavoirs ne sont plus abreuvés que par des filets d'eau, et le fond des bassins s'est un peu embourbé avec le temps. Qui, aujourd'hui, oserait encore s'en servir comme les "dames du temps jadis" ? Ce n'est pourtant pas si ancien, puisque pendant des années j'ai vu et entendu ces gestes sans doute millénaires.
"Mais où sont les neiges d'antan ?"
Certes sympa, mais les machines à laver sont quand même plus confortables, surtout en hiver.
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