85 députés du parti de la droite "conservatrice" Nouvelle
Démocratie ont déposé un texte qui entend privilégier la " loi du sang "
pour entrer dans la police ou dans l’armée du pays. Avec cet
amendement, il ne suffira plus d’être citoyen grec pour accéder à ces
fonctions, il faudra aussi être de « souche grecque ». Cette initiative
révèle encore un peu plus le vrai visage du parti du premier ministre
Antonis Samaras, qui rallie l’extrême droite et affiche son mépris des
droits de l’homme et des citoyens.
Samaras lors de la campagne électorale
Le 25 Février 2013, le chef des forces armées grecques Michalis
Kostarakos a provoqué une réaction considérable sur l'échiquier
politique quand il a écrit sur twitter :
"Le temps est venu de réglementer par la loi la question de genos pour ceux qui s'inscrivent dans les académies militaires. Ils doivent être grec par genos "
L'expression "
grec par genos" est un critère couramment utilisé, mais plutôt vague de "grécité". Le mot "
genos"
(γένος) dans son sens le plus large peut être traduit par filiation,
race, de sang, de lignée, de souche etc. Définir quelqu'un comme "grec
par genos" peut signifier "grec de naissance", "grec par le sang", "né
de parents grecs", "de lignée grecque", "grec ethnique" ou toute
variation de ce qui précède, en fonction de l'intention politique de
l'orateur. Pour l'extrême-droite, il peut aller aussi loin que définir
"quelqu'un qui a de l'ADN grec".
Remise en cause de la loi sur la naturalisation
Outre le fait que Kostarakos, comme figure militaire supérieure en
Grèce, puisse ou non avoir le droit de commenter publiquement des
questions de politique, son intervention est arrivée dans un contexte où
la question de l'identité nationale est vivement débattue en Grèce. En
2010, le ministre de l'Intérieur de l'époque Giannis Ragousis (PASOK) a
proposé au parlement la loi 3838/2010 qui a établi un certain nombre de
critères pour les enfants de parents immigrés pour obtenir la
nationalité grecque. Les catégories d'enfants immédiatement admissibles à
la citoyenneté grecque en vertu de cette loi comprenaientt des enfants
nés en Grèce de parents immigrés, qui ont tous deux vécu en permanence
et légalement en Grèce depuis au moins 5 ans au moment de la demande de
citoyenneté, et les enfants qui avaient terminé 6 années d'études dans
le système éducatif grec tout en résidant en permanence et légalement en
Grèce. Cette loi permettait de faciliter la naturalisation qui était
quasiment impossible avant.
Durant la campagne électorale, Antonis Samaras s'était engagé à repousser cette loi en
affirmant que cela contribuerait à la lutte contre la criminalité. Il avait également indiqué que "
les immigrés sont les tyrans de la société grecque". Après sa victoire aux élections de 2012, la mise en place de l'opération
"Xenius Zeus" (le dieu grec de l'hospitalité - une sémantique qui en
dit long) confirmera une position déjà extrême concernant l'immigration.
Jusqu'à 60 000 immigrés ont été détenus durant les raids de la police
depuis l'été dernier. 4.200 ont été arrêtées pour des infractions. Une
décision qui a été critiquée par Amnesty International et d'autres
organisations de défense des droits de l'homme.
Depuis, la loi sur la naturalisation a été invalidée par le Conseil d'Etat, qui
a annoncé le 14 novembre 2012, qu'il la jugeait inconstitutionnelle. La décision du Conseil d'État, qui a finalement été publiée le 6 février 2013,
précise que
l'exigence minimale pour un résident étranger pour se faire naturaliser
doit être de montrer la preuve d'un «lien réel avec la société grecque
et l'Etat grec», qui ne pourrait pas être démontré de manière adéquate
par des critères formels tels que le nombre d'années de résidence ou
d'éducation en Grèce. Le gouvernement de Samaras avait annoncé avant
même la publication officielle que toutes les naturalisations seraient
suspendues.
Il est inutile de préciser que le sujet de la naturalisation fait
partie des thèmes de prédilection du parti nazi Aube Dorée, dont le
slogan "
Sang, Honneur, Aube Dorée" rappelle des temps bien
sombres. De plus, l'impunité dont profite les membres du parti néonazi
Aube Dorée depuis des mois maintenant pose de nombreuses questions sur
la volonté réelle de l'Etat de lutter contre les violences racistes et
les dérives fascistes.
La Nouvelle Démocratie intègre des éléments pro-junte dans son groupe parlementaire
Le parti d'Antonis Samaras avait intégré, pendant la campagne
électorale de 2012, des membres de l'ancienne extrême droite du LAOS
(lire
ici).
Makis Voridis, par exemple, ancien membre du parti d'extrême droite
LAOS est actuellement le porte parole du groupe parlementaire de la
Nouvelle Démocratie. Voridis se lance en politique en 1985 en tant que
chefs des jeunes de l'Union Politique Nationale, un parti d'extrême
droite pro-Junte fondé par le dictateur Papadopoulos depuis sa cellule.
Notons que son prédécesseur à ce poste n'était autre que N.
Michaloliakos, l'actuel chef du parti néonazi Aube Dorée. Après
plusieurs échecs à des élections législatives, Voridis a rejoint le LAOS
en 2007, s'est fait élire et fut nommé ministre en 2011 dans le
gouvernement de "technocrates" de L. Papademos. En février 2012, il est
exclu du LAOS mais Papademos lui demande de rester ministre et il adhère
à la Nouvelle Démocratie d'Antonis Samaras.
Adonis Georgiadis, qui faisait à la radio la promotion d'ouvrages
nationalistes et national-socialistes quand il était journaliste, fut
nommé ministre adjoint au développement par Papademos en novembre 2011,
et quittera le LAOS pour la Nouvelle Démocratie en février 2012.
Konstantinos Kiltidis, qui a rejoint lui aussi la Nouvelle Démocratie
en 2012, a commencé sa carrière en 1973 au sein du Parti du 4 Août (en
référence au coup d'état fasciste de Metaxas en 1936).
Thanos Plevris a rejoint la Nouvelle Démocratie en mai 2012. Il n'est
autre que le fils de Konstantinos Plevris, souvent considéré comme le
père du néo-nazisme grec, puisqu'en 1960 il fonde avec d'autres le
parti du 4 Août,
un parti fasciste qui soutient ouvertement la dictature des années
1967-1974. C'est dans ce parti que Konstantinos Kiltidis (voir plus
haut) et N. Michaloliakos (Aube Dorée) ont fait leurs premiers pas en
politique. Il se trouve aussi être l'auteur du livre "
Les Juifs : toute la vérité", pour lequel il est condamné pour racisme, puis acquitté par la Cour Suprême.
Cette radicalisation n'a cessé de se confirmer mois après mois, par
l'attitude du gouvernement concernant ses positions sur l'immigration
mais aussi par celle du ministre de l'ordre public Nikos Dendias.
Interrogé récemment par Unfollow concernant les violences policières, N.
Dendias a avoué de ne pas avoir lu
le rapport d'Amnesty International qui est pourtant alarmant. En octobre dernier,
des manifestants antifascistes ont été torturés par la police à Athènes lors de leur détention. Il y a quelques semaines, la police grecque a
modifié les photos prises de 4 détenus, pour selon les termes de N. Dendias, "
permettre qu'ils soient reconnaissables". Un aveux qui en dit long.
Le parti du premier ministre propose une loi intégrant la notion de "grec par genos"
Une nouvelle étape vient d'être franchie cette semaine : 85
parlementaires, soit les deux tiers des membres élus de la Nouvelle
Démocratie, proposent un amendement à un projet de loi présenté par le
ministère de l'Éducation et des Affaires religieuses, de la culture et
des sports sur la ratification "de l'accord entre le Gouvernement de la
République hellénique et le Gouvernement de la République Fédérale du
Nigeria sur les droits économiques, scientifiques et la coopération
technologique. "
Cet amendement intègre la notion de "
grec par genos" :
Préambule
En raison de la particularité des questions qui ont à voir avec notre
sécurité nationale par rapport aux autres pays européens, mais aussi
concernant le problème de l'immigration clandestine qui frappe notre
pays, ainsi que la récente loi sur la nationalité et ses conséquences,
il est souhaitable que genos soit réintégré comme critère de
sélection dans toutes les académies militaires et de police comme un
pré-requis pour l'admission, avec une exception pour couvrir les besoins
spécifiques jugés nécessaires par l'état-major général.
Article
Les candidats aux instituts supérieurs d'études militaires (ASEI),
aux académies militaires pour les sous-officiers (ASSY), aux académies
de police et aux académies de formation des autorités portuaires et
gardes côtières grecques doivent être grecs par genos et par
nationalité. Les grecs Omogeneis [la diaspora] qui ne sont pas
ressortissants grecs sont également admissibles et obtiendront la
nationalité sans autre formalité lors de l'inscription. Le chef de
chaque branche ou d'organisme [des forces armées] peut décider
d'autoriser, de manière à couvrir des besoins spécifiques, les
inscriptions des candidats qui ne sont pas Grecs par genos, à condition que celles-ci ne dépassent pas le nombre de deux (2) par académie.
Parmi les signataires de la proposition, on retrouve bien sur les
éléments les plus extrêmes du parti d'Antonis Samaras, ce qui éclaire
sur la manière dont le terme "
grec par genos" est utilisé ici.
Le parti nationaliste des grecs indépendants de P. Kammenos et le parti
néo-nazi de N. Michaloliakos Aube Dorée ont bien entendu applaudit cette
initiative et ont annoncé leur soutien pour le vote de ce texte.
Triomphante, Aube Dorée a déclaré le 25 février :
"Il n'y a aucun besoin de plus amples commentaires
pour souligner que ceci est une nouvelle grande victoire pour Aube Dorée
et une nouvelle concession pour la Nouvelle Démocratie, qui suit
maintenant clairement notre agenda politique dans sa vaine tentative de
limiter la perte de ses électeurs vers l'Aube Dorée".
Très vives critiques de l'opposition et des autres partis de la coalition gouvernementale
Le parti de l''opposition SYRIZA a vivement critiqué l’amendement (voir
ici et
là),
ainsi que les deux partis membres de la coalition gouvernementale, le
PASOK et la Gauche Démocratique. La déclaration du PASOK a souligné que
la législation antérieure exigeant que les candidats aux académies
militaires soient "
grecs par genos" avait été déclarée inconstitutionnelle et que le seul cas où la Constitution grecque stipule "
genos"
comme critère d'admissibilité est pour la candidature à la Présidence
de la République, qui demande une nationalité grecque de son père ou de
sa mère. Le PASOK a en outre noté l'absurdité de permettre aux citoyens
naturalisés de devenir ministres ou d'effectuer leur service militaire,
tout en leur interdisant d'atteindre le grade d'officier, et a qualifié
l'intervention du chef des forces armées "inacceptable".
La déclaration de la gauche démocratique a été extrêmement brutale
dans sa critique envers les 85 députés de la Nouvelle Démocratie qui ont
soumis la proposition d'amendement, disant que c'était un symptôme de "
l'obscurantisme de l'époque moyenâgeuse." La Gauche Démocratique a conclu : "
Ceux
qui retournent les forces armées dans un champ de la confrontation
idéologique et politique sapent leur unité et leur efficacité en ce
temps de crise pour notre pays."
En réponse, Aube Dorée à déclaré :
"L'interdiction des étudiants étrangers dans les
académies militaires est une grande victoire pour l'Aube Dorée et est la
justification d'une lutte que nous avons menée depuis de nombreuses
années. Les uniformes d'honneur des officiers grecs ne peuvent pas être
donnés à des Albanais, des Asiatiques et des Africains, et les forces
armées de notre pays ne deviendront pas subordonnées à des agents
étrangers, car c'était la volonté des dirigeants
anti-hellénique décadents. Ces deux parties dégénérés, le PASOK et la
gauche démocratique, se sont déjà mis en marge de la politique et de la
société. "
Pour le quotidien
Efimerida ton Syndakton (voir la traduction complète de l'article chez
roumelie), aucun doute, cela montre "
Le visage hideux de la droite grecque" :
La quasi totalité du groupe parlementaire de Nea
Dimokratia a montré son véritable fondement idéologique, celui d’une
droite dure et non repentante, malgré les réactions acerbes de ses
partenaires gouvernementaux, en déposant le projet d’amendement relatif
aux écoles de la police et de l’armée. Une initiative bien sûr saluée
frénétiquement par [le parti néonazi] Chryssi Avgi.
(...)
Le pays emprunte des routes dangereuses, sur lesquelles paradent en
grandes pompes les 85 députés de Nea Dimokratia et les
ultranationalistes de Chryssi Avgi. Voilà un gouvernement qui essaye,
dit-il, de nous sortir de la crise, tout en nous menant vers une autre
crise dangereuse, celle de l’identité. Une initiative totalement
anticonstitutionnelle, selon le PASOK, un obscurantisme moyenâgeux pour
le DIMAR [Gauche démocratique].
(...)
D’un pas régulier, le gouvernement montre que son intérêt pour la
politique centriste était un pur artifice pré-électoral. Dans le
triumvirat qu’il forme désormais avec les Grecs Indépendants et Chryssi
Avgi, il présente son vrai visage : figé, impassible, dur et
antidémocratique. Voilà la droite.
Avec l'appui du parti des grecs indépendants et de l'Aube
Dorée, l'amendement peut recevoir un total de 123 voix, assez loin des
151 voix nécessaires pour valider la loi. Il reste possible, quoique peu
probable, que l'amendement soit adopté, si 28 des 44 autres députés de
la Nouvelle Démocratie votent en sa faveur.
Même si le texte ne passe pas lors vote qui aura lieu aujourd'hui,
une nouvelle étape vient d'être franchie dans le schéma politique grec.
La Nouvelle Démocratie, encore présentée par la vaste majorité des
médias comme une droite "conservatrice", montre pourtant une idéologie
toujours plus orientée vers son extrême. Il est grand temps de changer
de sémantique.
"Sang, Honneur, Nouvelle Démocratie" : le prochain slogan du parti du premier ministre Antonis Samaras ?