1986 - Jacques Vergès défend Georges Ibrahim Abdallah |
Celui que les médias qualifient habituellement de "sulfureux", l'ange noir dérangeant des prétoires, nous a quittés. Jacques Vergès a emporté ses secrets avec lui. Sans doute devaient-ils être lourds même pour lui, mais certainement pas dans le sens où il s'agirait de crimes qu'il aurait commis, mais d'actes nécessaires, et nécessairement discrets.
Qu'était-il donc ? Un grand homme, comme la plupart de nos hommes politiques ne le seront jamais parce qu'il a associé l'honnêteté indécente au sulfureux lumineux. Il a su défendre l'indéfendable, la veuve, l'orphelin et le tortionnaire au gré des causes et des circonstances. Sans doute avait-il une très grande empathie, au point de réussir à voir par les yeux que ceux qu'il a visités dans leurs cellules. Il s'est ainsi donné le rôle le plus difficile, celui de montrer une cause par un jour différent, plus encore que les autres avocats dont c'est pourtant la vocation - et peut-être pas la sienne semble-t-il paradoxalement. Il a aussi endossé des "causes perdues" non en raison des crimes avérés de ceux qu'il défendait, mais parce que des raisons politiques avaient décidé de la culpabilité de ces victimes, comme Georges Ibrahim Abdallah qui en est l'exemple le plus flagrant.
En même temps, n'est-il pas ambigu qu'il ait assuré se déclarer prêt à défendre un George Bush, "s'il plaidait coupable", quand on connaît ce que signifient les tractations liées à cette posture aux États-Unis ? Ou peut-être voyait-il "à la française" un désir de repentir pour les tombereaux de crimes commis en son nom et sous son ordre.
Après tout, celui qui se dit non coupable veut dire par là qu'il a agi selon son intime conviction (si les preuves attestant que c'est lui qui a agi sont irréfutables, concomitantes et multiples), et que ce sont les accusateurs ou leurs mandants qui sont coupables, ou au moins qui ont de mauvaises raisons. Au contraire, celui qui plaide coupable se rend compte de la faute qu'il a commise, ou du moins accepte-t-il le fait que ce qu'il a fait était "mal". Ainsi de Bradley Manning, qui a plaidé coupable sur tous les chefs d'accusation sauf un (qui finalement ne fut pas retenu contre lui) : pressé par un système inique et sous l'effet de la torture morale et physique qu'il a endurée, il n'a pas jusqu'au bout assumé les actions qui l'ont conduites devant les tribunaux, comme étant des actions justes et nécessaires. Ainsi, autrefois, de Gilles de Rais qui se repentit de ses crimes atroces sur des enfants, lui qui fut l'un des plus proches compagnons de lutte de Jeanne d'Arc. En revanche, nos aînés les résistants tombèrent avec au cœur, chevillée, la pensée de la justesse de leur cause - je repense au Groupe Manouchian.
En même temps, n'est-il pas ambigu qu'il ait assuré se déclarer prêt à défendre un George Bush, "s'il plaidait coupable", quand on connaît ce que signifient les tractations liées à cette posture aux États-Unis ? Ou peut-être voyait-il "à la française" un désir de repentir pour les tombereaux de crimes commis en son nom et sous son ordre.
Après tout, celui qui se dit non coupable veut dire par là qu'il a agi selon son intime conviction (si les preuves attestant que c'est lui qui a agi sont irréfutables, concomitantes et multiples), et que ce sont les accusateurs ou leurs mandants qui sont coupables, ou au moins qui ont de mauvaises raisons. Au contraire, celui qui plaide coupable se rend compte de la faute qu'il a commise, ou du moins accepte-t-il le fait que ce qu'il a fait était "mal". Ainsi de Bradley Manning, qui a plaidé coupable sur tous les chefs d'accusation sauf un (qui finalement ne fut pas retenu contre lui) : pressé par un système inique et sous l'effet de la torture morale et physique qu'il a endurée, il n'a pas jusqu'au bout assumé les actions qui l'ont conduites devant les tribunaux, comme étant des actions justes et nécessaires. Ainsi, autrefois, de Gilles de Rais qui se repentit de ses crimes atroces sur des enfants, lui qui fut l'un des plus proches compagnons de lutte de Jeanne d'Arc. En revanche, nos aînés les résistants tombèrent avec au cœur, chevillée, la pensée de la justesse de leur cause - je repense au Groupe Manouchian.
Jacques Vergès, toi qui as tourné la page, repose désormais dans une paix que ta vie tumultueuse n'a guère dû te faire connaître. Que tes secrets disparaissent à jamais de la mémoire des hommes. Et merci au nom de la simple humanité pour les causes que tu a accepté de défendre, quitte à être vilipendé par la presse prompte à déchirer celui qui n'est pas "dans la norme". Tu fus avocat "pour être libre", libre tu vécus. Au revoir.
Beau plaidoyer, mérité, pour Jacques Vergès, si controversé... : Il se trouve qu'il y a longtemps (vers 1963 : 50 ans!) que je connais, sinon l'homme, du moins l'une de ses activités et audacieuses créations d'alors : la création de la tonique revue "Révolution", avant-gardiste sur le plan formel et politique. Il avait déjà brillamment plaidé en faveur de "terroristes hors-la-loi du FLN" condamnés à la guillotine...et qu'il a (au moins) sauvé la tête d'une algérienne, devenue ainsi célèbre en Algérie...: communiste "orthodoxe" (son frère jumeau Paul a fondé le PC de la Réunion), il était de fait opposé à la ligne pleutre du PCF (l'ambigu "Paix en Algérie")et prit rapidement fait et cause pour le bouillonnement du renouveau communiste anti-stalinien : Che Guevara, Mao, certains trotskistes...
RépondreSupprimerOn a beaucoup dit (et il y a du vrai!) qu'il fut rapidement "ivre de gloire et surtout d'argent", vendant son talent oratoire à des causes sulfureuses (Klaus Barbie...). Oui, c'était aussi un homme d'affaires (dans tous les sens du mot)! Et, oui, il plaida aussi gratis, semble-t-il, dans certains cas, comme celui de Georges Ibrahim Abdallah...
Je crois que, avant tout, il a toujours haï l'hypocrisie des combines politiciennes qui tentent toujours de museler la Justice tout en se prétendant respectueux de son indépendance formelle. Ce qui est le cas aussi bien (aussi mal!) de la dictature de Staline (cf.le film l'Aveu)ou de Mao que de celle de la Maison Blanche (de Ike à Obama, en passant par les tristes Kennedy, Reagan, Bush...), ou bien de De Gaulle à Hollande en passant par les Mitterrand, Giscard, Sarkozy...
Oui, il tenta d'être libre, comme tu le conclues, y compris par le fric et le "hors-norme" : la liberté est sulfureuse pour les hypocrites de la "normalité"...
Reste l'ambigüité de "fonctionner dans le système", fut-il judiciaire, donc non-libre !
Merci Rem* de compléter si utilement mon billet.
SupprimerTu noteras que Jakubowicz, l'avocat de la Licra, n'est pas de notre avis. Cela ne me surprend pas, ne serait-ce qu'à cause de Georges.
Quelle forte personnalité prendra la relève, désormais ?
Beau texte.
RépondreSupprimerMais contrairement à toi, j'aimerais qu'il ait laissé des archives "à n'ouvrir qu’après ma mort" sur ces années de disparition, ça m'a toujours intrigué.
mais bon ses secrets alimenteront la légende de cet homme fascinant.
Probablement ses secrets concernent-ils d'autres personnes dont il n'est pas souhaitable que leurs propres secrets soient étalés devant tous.
SupprimerUn homme incontournable. Il y a de temps en temps des avocats qui se font un nom : j'ai connu autrefois le neveu de l'un de ses confrères, qui a marqué son temps il y a une bonne quarantaine d'années. Par discrétion je ne dirai pas qui : le neveu portait les même nom et prénom que l'oncle.
Je le trouvais bien, ce personnage hors norme !
RépondreSupprimer