Vous savez ce qu'est un drone ? Vous en entendez un ? Courez vite... si ce n'est pas trop tard.
Et pas question de faire comme le capitaine Haddock : là, çà ne marche pas.
Drone d'histoire. Bien entendu, c'est à nouveau Cap 2012 qui a découvert ce trésor.
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Lundi 12 août 2013
Bzzzzzz.... Drone!
par cassetoi vlp
Il
existe une morale de la guerre. Eh oui ! Ça pourrait être pire. Du
moins l'ONU a-t-elle essayé d'éviter le
pire. La chose ne fontionne pas à tous coups, mais au moins les
démocraties sont-elles supposées limiter les conséquences les plus
graves des conflits armés auxquels elles participent. On peut
appeler cela « se vouloir civilisés ». Ainsi fut créé un droit
international qui institue certains principes.
Et puis fut inventé le
drone. Pour mémoire,
l'engin dont il est question est un avion télécommandé, un peu comme
ces merveilleux jouets que l'on voit parfois évoluer le dimanche
autour des petits aéroclubs gazonnés. Deux différences, toutefois, sont à
noter.
D'abord,
les jouets des militaires étant notoirement les plus perfectionnés,
ceux-ci sont équipés d'une caméra
embarquée. Cool, non ? On peut réellement se prendre pour le pilote.
Un éditeur de jeux vidéos appellerait cela l'expérience utilisateur.
Ici, elle est de première qualité. D'autant que cela
permet de piloter depuis un bunker du Nevada le drone qui vole
au-dessus du Pakistan. L'étendue et le réalisme de la « map » (terrain
de jeu) lui vaudraient une note exceptionnelle dans
n'importe quel comparatif. Avantage collatéral, le risque de se
faire tirer dessus est nul. En effet, le jeu est pimenté par la présence
d'armes réelles sur le terrain. Du moins, leur absence
n'est pas garantie, ce qui procure à l'occasion un délicieux
frisson.
Seconde différence, le joueur
l'opérateur dispose de missiles
capables d'atteindre une cible au sol. Comme ils sont guidés par un
laser, l'image s'enrichit du petit point rouge qui donne tant de cachet.
Mais
revenons à la règle du jeu, du moins à sa version précédente, nommée à
l'époque « droit
international ». Rappelons qu'elle reposait sur un nombre limité de
principes simples. En effet, devoir consulter sans arrêt le manuel en
pleine partie nuirait à l'expérience
utilisateur.
On peut citer en premier le principe de distinction.
Celui-ci implique de ne cibler directement que
des combattants. Femmes, enfants, vieillards et civils désarmés font
partie du décor. Les abattre ne donne aucun point et peut même en
retirer.
Or
les opérateurs des drones ne « distinguent » rien du tout. Ils frappent
quasiment à l'aveuglette. La
position de la caméra et la définition insuffisante de l'objectif ne
leur permettent pas de reconnaître plus que des silhouettes. Les
dialogues entre opérateurs qui ont été publiés montrent des
doutes subsistant après le tir. Ce reflet était-il celui d'une arme ou d'un bijou ? Bah, il est trop tard, de toute manière.
Au Pakistan, terrain réservé aux joueurs de niveau élevé, tout mâle de plus de treize ans est considéré comme un
combattant potentiel. Rappelons que l'estimation de l'âge et même du sexe reste pour le moins approximative.
Le droit international définissait aussi une « zône de conflit armé »
et une liste des
comportements qui ne sont tolérables qu'à l'intérieur de cette zône.
En dehors, on ne se conduisait pas en guerrier. Le drone fait
disparaître ces limites, même les frontières des états ne sont
plus des obstacles sérieux. La violation de l'espace aérien devient
couramment possible, même si elle nécessite quelques précautions. Ce qui
fait du drone un véhicule nettement plus performant
qu'un avion présidentiel bolivien, par exemple.
En
dehors des pratiques elles-mêmes, de ces nouvelles règles du jeu, il
vaut aussi la peine de s'intéresser à la
manière dont on en parle. Il faut en effet savoir que l'armée US
recrute des philosophes, pour ses services d'« éthique militaire
appliquée ». C'est le joli nom qu'il donnent à la
propagande qui décrit ces armes comme la technique de guerre « la
plus humaine », voire, dans certains documents, « humanitaire ».
- car elle sauve des vies : surtout celles des soldats de l'agresseur. La distinction combattants/civils est remplacée par nous/eux, sachant que certaines vies sont plus sacrées que les autres. Retirer à l'ennemi la qualification d'humain est un vieux procédé des chefs de guerre. Ici, ce n'est fait que de manière implicite, car le truc est vraiment éventé, depuis la Shoah.
- Parce qu'elle serait précise. En effet, le guidage laser fait que le missile arrive précisément à l'endroit prévu. Mais il tue tout ce qui vit dans un rayon de 15 m, soit un espace d'environ 700 m2. Bien sûr, le temps que l'image parvienne dans le Nevada et que l'ordre de tir revienne au drone, il frappe avec 2 à 3 secondes de retard. L'objectif peut s'être déplacé, tout comme les innocents des environs. En fait, il se sont tous déplacés. Dans les régions subissant cette sorte de guerre, la consigne est de courir en zigzag dès l'audition du bourdonnement caractéristique. Elle est généralement appliquée. Ces engins supposés précis ne permettent pas de décider sur qui l'on tire. D'où la nécessité de ratisser large.
La présence permanente de drones rend fou. Il s'agit officiellement de « dislocation psychologique ».
Celle-ci
ne s'applique pas seulement aux combattants, même éventuels, mais à
toute la population des zônes concernées. C'est donc bien du terrorisme
d'état, au sens propre. C'est une très efficace
fabrique d'ennemis et de terroristes, dans les régions visées comme
dans la population de l'état agresseur. Les militaires le savent et
officiellement s'en foutent. Nous verrons qu'en réalité
c'est pire que cela.
L'usage des drones, présenté comme une « guerre sans défaite »,
est à coup sûr une guerre
sans victoire. Elle a donc vocation à durer quelque chose comme une
éternité. Cette guerre entretenue comme un feu de camp salvateur par les
dirigeants d'un pays oblige à se poser la question de
leurs motivations. Et il est vrai qu'une menace extérieure est sans
doute la meilleure manière d'imposer la discipline à une population.
Durant la guerre froide
par exemple, avec la menace soviétique la
population des Etats-Unis a longtemps montré une louable unité de pensée et d'action.
Seule la guerre du Viet-Nam a réussi à briser vraiment l'unanimisme patriotique. La question qui fâche
était « Pourquoi aller mourir là-bas ? » Avec le drone, plus personne ne meurt.
Les militaires utilisant des drones sont même tellement protégés qu'il ne reste
de riposte possible
que l'attentat contre les civils du pays agresseur. Et la fabrique
de terroristes continue à plein régime, dans les deux pays.
Les documents officiels parlent de « chasse à l'homme préventive ». C'est repris dans la
presse US.
Cette
stratégie de « chasse à l'homme » remplace avantageusement une solution
de type Guantanamo. Il n'y a
qu'à voir comme Obama est emmerdé avec ce centre de torture. Il ne
peut pas relâcher ces gens, que ce soit sur le territoire national ou
ailleurs. Aussitôt, ce serait une grêle de procès
retentissants contre l'état fédéral US, une mise au ban généralisée
pour faits de torture, détention abusive sans procès (certains y sont
depuis maintenant 11 ans) etc... Avec l'assassinat
préventif, ces inconvénients sont évités. La famille s'occupe des
corps.
Noter que lorsqu'on parle de chasse, deux questions sont éludées : le gibier n'est pas humain, n'a de ce fait
pas droit aux ménagements réservés aux membres de notre espèce. De plus, on ne signe pas de traité de paix avec les bêtes.
La
chasse à l'homme est un vieux thème de western qui a droit de cité aux
USA. Ici il faudra trouver d'autres
manières de le dire et nous pouvons nous attendre aux pires
maladresses. Ou alors ce sera silence et opacité, nous savons bien faire
aussi, en recouvrant les choses du voile du
secret-défense.
Ah !
J'y pense. J'ai l'air de dire du mal des USA, je vais encore passer
pour un je ne sais quoi primaire. Mais
rassurons-nous, la France est en train d'en acheter. Le libéral en
mode discours automatique vous dira que nous avons, comme toujours, dix
ans de retard. Une fois encore, je ne m'en plaindrai
pas.
Comme dans un bon petit travail scolaire, nous allons maintenant envisager les évolutions prévisibles de la
chose :
- À l'extérieur, nous avons la « robotique létale autonome », le robot tueur qui décide lui-même d'appuyer sur le bouton. Ce n'est pas un fantasme, les projets sont déjà bien avancés.
- À l'intérieur, le drone militaire recyclé en drone policier. La répression s'appliquant aux classes dangereuses de sa propre population. Il en existe déjà équipés de Taser ou de balles de caoutchouc. On est sorti depuis longtemps du domaine de la plaisanterie.
Ici,
le lecteur de science-fiction combine les deux et imagine une sorte de
petit drone Canadair qui gaze les
rassemblement indésirables, jeunes brûleurs de voitures ou ouvriers
dégraissés. En passant il prend les images pour les fichiers de la
Sûreté. Bientôt, les manifs auront lieu dans les
appartements, à l'abri des volets fermés. Prenez des notes pour
raconter la démocratie à vos enfants.
Un petit espoir subsiste cependant, puisque de nombreux textes juridiques internationaux s'opposent à toutes ces
pratiques, et donc des procès sont en cours ou prévus, comme on dit à la météo marine.
Autre
inconvénient, lorque les citoyens payaient l'impôt du sang, cela leur
donnait le droit de l'ouvrir, notamment
d'avoir un avis sur la décision d'entrer en guerre. Le drone est
donc un remède à la réticence citoyenne vis-à-vis de toute guerre autre
que défensive. En bon Français, un moyen de plus pour ne
pas vous demander votre avis. En complément, et en attendant d'avoir
généralisé la chose, on y emploie déjà de plus en plus de mercenaires.
Voilà,
nous avons à peu près fait le tour, et je dois une gratitude éternelle à
ceux qui ont cru jusque-là que je
sortais tout cela de ma petite tête. Je dois vous faire un aveu, ces
informations proviennent d'un livre, le prochain que je vais lire. Non,
ce n'est pas une faute de frappe. Il s'agit de
« Théorie du drone », de Grégoire Chamayou. Le monsieur est
chercheur en philosophie au CNRS. Moi aussi, j'ai failli sourire, pas
longtemps. Compte tenu du travail qu'il fait,
heureusement que le CNRS a aussi des chercheurs en philosohie. J'ai
donc re-visionné récemment un entretien de plus d'une heure qu'il a eu
avec Judith Bernard, pour l'excellent émission
« Dans le texte » sur le site d'Arrêt sur Images. Ce re-visionnage a
produit sur moi deux effets concomitants.
D'abord
je me suis dit : « Pas moyen, ce bouquin, il me le faut. » Je l'ai donc
commandé. Il ne va
pas tarder, merci. Ensuite, avec les notes, et vu la place
croissante que prennent les drones dans l'actualité, je n'ai pas pu
m'empêcher de pondre le présent billet. D'autant que l'auteur se
donne clairement pour objectif d'offrir des arguments politiques au
militant de terrain. Aucune gêne à les diffuser, donc. Et comme je
crains qu'il ne reste quelques citoyen(ne)s pas encore
abonnés à Arrêt sur Images, qui ne pourront donc voir l'émission,
cela devenait un devoir. Mais il va de soi que pour qui le peut, ce
riche débat conserve une quantité d'informations et de
réflexions que je n'ai pu mentionner ici.
On
a proposé à Grégoire Chamayou, à la sortie du livre, de rencontrer de
hautes autorités, pour discuter. La
proposition venait de l'Élysée. Il a refusé, non qu'il se prenne
pour un héros, mais il n'a pas fait tout ce travail d'alerte pour que le
débat public, la mobilisation citoyenne indispensable,
soit shuntée sous les lambris des palais de la République. Logique
implacable du vrai philosophe.
Ce Grégoire Chamayou est à sa manière un "lanceur d'alerte" très probablement utile, et il y en a bien des diversités. Comme, à sa façon aussi, Jacques Vergès - cf. tes deux articles précédents sur lui.
RépondreSupprimerJe suppose, en bon philosophe, qu'il doit bien savoir que le terrible "progrès"(?!) technologique des drones n'est qu'une étape de longue histoire des armes de guerre. Qui a dû commencer par le bâton, le caillou, puis le tison, la sarbacane...et qui (après le fer, le feu grégeois, la poudre à canon, etc.)a fait un bon au 20° siècle avec les gaz, les mines, les poisons chimiques, les bombes atomiques, armes en principe interdites ou soumises à règles, selon la législation actuelle internationale, résultante "bâtarde" (et violée) de pressions de l'indignation populaire et, à l'opposé, d'intérêts étatiques ("loi des vainqueurs"...).
C'est dire qu'on est encore très loin du but. Qui serait, dans l'idéal, non seulement l'interdiction des guerres, mais l'abolition-destruction de toutes les armes létales.
Autant savoir que cela ne sera possible qu'APRES la disparition du Dieu-Fric, si létal :
"les soldats seront troubadours
mais nous serons morts, mon frère"... chantent de nécessaires utopistes québecquois !
Ah mon cher Rem*.... que c'est difficile ! Il m'est arrivé de discuter avec des militants de gauche, pourtant : quand j'abordais en tant que nécessaire progrès la disparition de la propriété privée, de la monnaie... soudain je les voyais bien pusillanimes, et embarrassés. Leur engagement à gauche ne les portait pas à s'en prendre aux vraies causes de nos malheurs, soit le Pouvoir, par l'argent, par la possession, par la contrainte de l'homme sur autrui....
SupprimerPourtant la vraie richesse n'est-elle pas la joie de se retrouver au milieu de ses amis, dans une action commune sans être identique, mais œuvrant vers un résultat commun ? Les rares fois où aujourd'hui ce genre de situation arrive, ne se sent-on pas transfiguré, en paix avec l'univers, en symbiose avec les autres êtres vivants ou non ?
"La mobilisation citoyenne indispensable", c'est pas gagné :-(
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