03 janvier 2013
France : Pourquoi encore voter ?
Auguste Blanqui
écrivait en 1852 : « Qu’est-ce donc qu’un démocrate, je vous prie ?
C’est là un mot vague, banal, sans acceptation précise, un mot en
caoutchouc. » [1] Déjà à cette époque, le mot de démocratie perdait son
sens de revendication égalitaire que lui avait légué la révolution de
1789. « Tout le monde se prétend démocrate, surtout les aristocrates »,
ajoutait Blanqui.
A partir de 1875, les lois
constitutionnelles de la 3ème République consacrent le parlementarisme
et la « démocratie » ne représente plus que l’ornement de la dictature
des maîtres de l’industrie et de la finance, de ceux que, dans les
années 1930, on allait appeler les « deux cent familles »...
«
Les institutions formellement démocratiques ne sont, quant à leur
contenu, que les instruments des intérêts des classes dominantes »,
écrira Rosa Luxemburg. [2]
Le prodige est que cette véritable
spoliation de pouvoir peut être obtenue sans contraintes. Il suffit que
le « peuple » soit convenablement socialisé, tant par sa formation
familiale, scolaire et professionnelle que par l’influence de son milieu
et de son époque, pour qu'il accepte comme autant de nécessités «
naturelles » les mécanismes qui contribuent à la sélection du personnel
politique souhaité par la classe dominante.
« Le système n'a pas à redouter l'action
« libre » des individus dans la mesure où leur liberté s'exercera selon
des logiques qu'ils auront intériorisées et qui les conduisent à faire
ce que le système attend d'eux », nous avertit le sociologue Alain
Accardo. [3]
C’est ainsi que, grâce au suffrage
universel, la volonté du capital peut se métamorphoser en volonté
générale et que l’État peut servir les intérêts de la bourgeoisie et
user de toutes les formes de coercition tout en se prétendant neutre et
soumis au verdict populaire.
La démocratie parlementaire continue
d’entretenir la notion d’égalité parmi ses valeurs, mais celle-ci n’est
que fictive. Seules les inégalités et la défense du droit de propriété
s’avèrent réelles. « La place du privilège a été occupée ici par le
droit », constatait Karl Marx.
La délégation de pouvoir à laquelle
souscrit le « peuple » en acceptant d’exercer son droit de vote se
retourne donc contre lui. Elle se transforme en un régime censitaire
déguisé qui fonctionne au profit de la minorité des plus puissants et
des plus riches.
Dans ces conditions, « à chaque élection, la vraie question n'est pas Pour qui ? Mais : Pourquoi ? », commente à juste titre Louis Janover. [4]
Oui, pourquoi encore voter ?
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[1] Auguste Blanqui, Lettre à Maillard, 6 juin 1852.[2] Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou Révolution (1898), Ed. Maspero, 1969.
[3] Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme, Ed. Labor2003.
[5] Louis Janover, La démocratie comme science-fiction de la politique, Ed. Sulliver, 2007.
Jean-Pierre Dubois
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