Avec l'aimable autorisation de son auteur Alexis Corbière, Conseiller de Paris, Premier adjoint à la mairie du 12e, secrétaire national du Parti de gauche
Le 11 octobre à 18h
Depuis dimanche, on me questionne. Comment Jean-Luc Mélenchon a-t-il accueilli la désignation de François Hollande
comme candidat du PS, dans sa dimension personnelle ? Comment voit-il
venir ce duel politique qui s’annonce à gauche, avec un homme avec
lequel il s’est si souvent confronté dans le passé ? Pas de méprise.
L'adversaire commun et principal reste la droite, c'est une évidence. Il
faut chasser Nicolas Sarkozy et ses amis. Je souligne
pour les étourdis que personne au Front de Gauche ne met un signe égal
entre le PS entre la droite. Ceci étant précisé, il y aura une saine
confrontation entre le candidat du Front de gauche et celui du PS.
Alors, quid entre Mélenchon et Hollande ?
« Nothing personal » comme disent nos amis anglais. C'est ma
première réponse. Mais, à la réflexion, elle est insuffisante. Les
idées s'incarnant dans des hommes et des femmes, qui ne sont pas de
marbres, je pense aussi qu'ils ne s'apprécient guère. Même si, bien
entendu, Jean-Luc respecte François Hollande. Au
passage, je souhaite que la réciproque soit vrai. Trop de différences
entre eux. Une certaine idée de la gauche, du socialisme, d'une façon de
servir son peuple, les opposent. Radicalement, presque frontalement,
psychologiquement. Gardons la tête froide néanmoins, entre eux, le
désaccord est avant tout politique au sens pur du terme.
Comme dit une chanson populaire française que j'aime : "le hasard est curieux, il provoque les choses, et le destin pressé un instant prend la pose". En
effet, le hasard a parfois de l’humour, et il y a, c'est vrai, comme
un curieux pied de nez pour l’histoire de la gauche française de ces 25
dernières, que de les voir à nouveau l’un face à l’autre. Prenons la
pose pour en dire quelques mots.
D'abord, je dis tant mieux. Car, ils sont tous les deux, je le crois,
à leur place, les champions de leur camp, d’une certaine idée de ce que
doit être la gauche. C’est un affrontement paradigmatique qui
s’annonce. Du moins je souhaite qu’il ait lieu ainsi, dans la clarté.
Cette élection peut être le moment d’une belle bifurcation pour la
gauche française. La fin d’une époque, celle de ces 20 dernières années,
et le départ d’une nouvelle. Une sorte d’apocalypse symbolique. Notre
peuple se saisira-t-il de cette occasion ? Il le faut. Je l'espère.
Pour savoir ce que pense Jean-Luc Mélenchon de François Hollande,
il existe un livre. Jean-Luc fait partie de ces personnes pour qui
écrire un livre n’est jamais un acte innocent. Pour ceux qui
s’intéressent à la cohérence de la pensée « mélenchonienne », cet
ouvrage est incontournable. Rédigé au lendemain de la campagne que nous
avions mené pour le "non" au TCE en 2005, il a joué un rôle majeur dans
mon parcours militant et dans ceux de beaucoup d'autres. Il faut lire
ou relire ce livre de Jean-Luc « En quête de gauche » (entretien avec le journaliste Michel Soudais,
Editions Balland, paru en 2007) et particulièrement son chapitre deux.
Le titre de ce chapitre important, est tout un programme « Pour être modernes, soyons démocrates ». Cette formule est la reprise du titre d’un texte signé dès 1984 par François Hollande (qui en est le principal rédacteur), Jean-Pierre Mignard, Jean-Yves Le Drian, Jean-Pierre Jouyet (qui sera Ministre de Sarkozy) et Ségolène Royal.
Le texte de cette poignée de jeunes ambitieux, remis à la lumière
fort utilement par ce livre, mettait par écrit il y a 27 ans des choses
qui sont depuis devenues des rengaines, usées jusqu’à la corde, avec
lesquelles un certain personnel politique et médiatique nous bassine
depuis près de trop longtemps. Il annonçait un virage idéologique pour
la gauche, qui amènera bien des défaites électorales et politiques et
des reculs sociaux coûteux pour notre peuple. Sur le fond, pour
commencer, ce texte « hollandais » s’en prend bien sûr (déjà !), aux
clivages droite / gauche, assurant qu’il faut « affirmer, au-delà du clivage droite gauche, les principes sur lesquels notre société doit impérativement reposer ».
C'est cette pensée qui sert de prétexte aux éventuelles alliances avec
le Modem. Il propose ensuite que la gauche change d’objet. Rien que
cela. Ils disent « Disons le tout net, au risque de provoquer, la
conception dogmatique de la classe ouvrière, l’idée que le lieu du
travail pourrait être aussi un espace de liberté, la notion
d’appartenance des individus à des groupes sociaux solidaires,
l’affirmation d’un programme politique atemporel, tout cela doit être
abandonné. » Depuis, d'autres ont répété cette thèse. Du Terra nova (le think tank
strauss-kahnien) avant l'heure, en quelque sorte. Ce groupe autour
d'Hollande s’est attelé à cette tâche, il l'a répété inlassablement : la
gauche doit abandonner l’objectif de représenter la classe ouvrière,
ses revendications, ses espoirs. D’ailleurs, selon eux, la classe
ouvrière n’existe pas (ou plus). Elle a été placée dans l'angle mort
d'une représentation médiatique du monde.
Tout le reste de ce texte est de la même eau frelatée. Le lecteur
attentif aura compris : pour Hollande et ses amis, finies les références à
la gauche de combat, au marxisme, au socialisme historique. Place à un « nouvel individualisme ».
On a vu le résultat, en France, en Europe, dans le monde. Cette ligne
s’adaptera parfaitement à l’évolution blairiste de la gauche européenne.
Elle en sera même sa meilleure déclinaison « à la française ». A la différence de la Grande Bretagne, où Margaret Thatcher
avait sévi, dans notre pays, il existera toutefois de forts éléments de
résistance. Un mouvement ouvrier organisé et combatif, des syndicats
debout, un peuple ayant la passion de l’égalité, un parti communiste
encore vivant, des partis trotskystes actifs et …un courant de gauche au
sein du PS encore en dynamique.
C’est dans ce cadre-là, parce qu'il est porteur de cette orientation bien particulière à gauche, que François Hollande durant onze années va s’affronter à Jean-Luc Mélenchon, principal dirigeant du courant du PS « la Gauche socialiste ».
Hollande veut briser ce pôle de résistance. Il le gêne. Il va s’y
employer avec constante et opiniâtreté durant les années 90 et au début
des années 2000. Et ce n’est pas avec des méthodes de « flamby » qu’il
va le faire, mais avec la poigne de l’apparatchik qui triche et qui
méprise. Oui, la triche et le mépris sont aussi une des marques du
système hollandais à la tête du PS de 1997 à 2008. Elle n'ont pas
commencé au congrès de Reims de 2008. Désolé de décevoir certains.
S'il fallait la dater, je crois qu’entre eux, le début de la rupture
définitive s’est produit en novembre 1997, lors du Congrès du PS de
Brest. Depuis quelques mois, Lionel Jospin est Premier
Ministre. Il plane au dessus de ce congrès. Pour la GS, ce congrès est
difficile, rugueux, mais ce courant continue à défendre ses convictions.
J'en étais alors un des jeunes militants parisiens. Dans ce contexte,
la GS obtient 10,21 % des suffrages. C’était un résultat inattendu et
spectaculaire car nous étions alors en plein « jospinisme triomphant ».
Quand à elle, la motion majoritaire conduite par Hollande (et dans
laquelle tous les courants de la majorité, jospinistes, fabiusiens,
rocardiens… se retrouvent) avait obtenu 84,07 % !
Après les motions, vient ensuite, un autre suffrage, pour le poste de Premier secrétaire. Jean-Luc Mélenchon sera seul candidat face à François Hollande.
Pour cela, lors du congrès de Brest, devant les délégués rassemblés,
Jean-Luc fera peut-être un de ses plus beau discours. Un moment énorme,
unique, inoubliable pour les présents.
Mais, depuis quelques jours, dans les couloirs de Solférino, le bruit
court que la GS a obtenu trop de voix sur sa motion, elle sera punie
lors du vote pour le poste de Premier secrétaire. La direction de la GS
s’en inquiète. Pascale Le Néouannic et Delphine Batho (depuis, nos routes ont divergé, Delphine est devenue une proche de Ségolène Royal,
mais reste toujours d'une grande valeur humaine selon moi) seront nos
deux représentantes dans la commission du recollement des votes. Elles
avaient été choisies en raison de leur grande qualité d’opiniâtreté et
de rigueur. Ces qualités ne suffiront pas. Outrées, pour protester,
elles choisiront de quitter la commission tellement les résultats des
votes qui remontaient n’avaient aucune sincérité.
Ulcéré par ces manoeuvres, Jean-Luc fait le choix de rencontrer François Hollande
pour le mettre en garde contre toutes formes de triches. Nous savions
que dans la mesure où, notre motion avait obtenu plus de 10 %, qu’un
autre courant (d’ex poperénistes) avait lui aussi obtenu plus de 5 %
mais ne présentait pas de candidat, que beaucoup de cadres et militants
de la majorité ne voulaient pas donner trop de poids à Hollande et
éprouvaient une réelle sympathie pour Jean-Luc, nous devions en
conséquence obtenir plus de 15 % des suffrages. C’était un minimum.
Mais, dans l’appareil socialiste, la rumeur courait avec obstination :
la GS sera punie, elle ne fera pas ses voix. Dans le bureau de Hollande,
Jean-Luc le met en garde fermement. Hollande promet. Il n’y aura pas de
triche. Mélenchon fera au moins 15 % des voix. Il s’y engage. Il avait
donné sa parole…
Et puis après ? Après… plus rien. Pendant trois semaines, les
résultats de ce vote ne seront pas proclamés officiellement. Jusqu’au
jour où, 3 semaines plus tard (!) j’insiste, le score est annoncé. Jean-Luc Mélenchon a
obtenu seulement 8, 8 % des voix. Pas plus. Moins que la motion qu'il
défendait. Impossible. Quand Jean-Luc demandera à Hollande une
explication, s’indignant qu’il n’est même pas tenu parole, ce dernier
lui répondra par un éclat de rire au visage. Au-delà de l’affront, je
pense que ce jour là, Jean-Luc a compris la vraie nature du
« hollandisme ». Derrière les sourires, les bons mots et les rondeurs,
c’est le visage de l’homme d’appareil qui blesse ses opposants et qui
brise avec des méthodes troubles, ceux qui l’empêchent de mettre en
application ses plans d’adaptation de la gauche à la modernité, ou, dit
autrement, au « blairisme » hexagonal.
J'ai voulu illustrer par cette anecdote, mais il en existe beaucoup
d'autres, que cet homme, quand il était Premier secrétaire du PS,
n’était pas un gentil. Pas de méprise à son encontre. Ce n’est pas un
mou ni un « flou ». Je parle de François Hollande bien
sûr sur le plan politique. Je ne le connais pas sur le plan personnel.
Là n’est pas le sujet. Il est peut être charmant dans sa vie privée. Je
parle bien ici de sa façon de faire de la politique, de ses méthodes.
Rien que de cela. Donc, que personne ne se trompe à son égard. Il sait
mentir, enfumer, tricher, etc.. Il est même un expert de toutes ses
disciplines. C’est là je pense une différence de marque de fabrique avec
Lionel Jospin. Ce dernier était un rugueux, ô combien,
mais il tenait parole. Il avait été formé à une autre école. Celle qui
donne de l'importance à la confrontation idéologique, de la valeur aux
textes. Quand vous aviez un accord politique avec lui, qui faisait suite
à une discussion politique, il tenait parole. Autre temps... François Hollande n’est pas ainsi. Lui, c’est un contorsionniste du débat politique, un illusionniste de la joute verbale.
Un autre souvenir me traverse l'esprit... Je me souviens très bien de lui, disant en 2005, lors du grand débat sur le TCE, « Le Pen n’a pas besoin de faire campagne pour le non, d’autres le font à sa place.. ».
Il parlait de nous par cette injure. La comparaison avec Le Pen, déjà.
Cette phrase, blessante, je l’avais prise comme un crachat sur la
magnifique campagne que nous menions. Je sais qu’elle avait aussi marqué
Jean-Luc, indigné qu’il ose ainsi parler de nous. En même temps qu'il
nous flétrissait de la sorte, lui, jugeait pertinent de faire la une de Paris Match aux côtés de Sarkozy (tiens au fait, Paris Match..
c'était qui la journaliste politique qui suivait le PS ? Je m'éloigne
de mon sujet...). Il pensait que cette campagne référendaire serait
l'occasion d'affirmer son autorité... Raté. Une autre fois, lors d’un
Bureau National du PS, à propos d’une discussion très sérieuse, engagée
la semaine précédente, sur les questions internationales si
rares, concernant des tensions entre la Géorgie et la Russie, François Hollande
s’était permis de répondre à Jean-Luc à la volée après avoir dû
reconnaitre qu'il avait tort et que Jean-Luc disait des choses justes
(soutenues par Louis Mermaz) : « si maintenant, tu condamnes aussi les dictatures, on va pouvoir commencer à s’entendre .. ».
Froid dans la salle. Même parmi ses amis. Une insulte inacceptable
qu’il fallait encaisser, mais indigne d’un réel parti socialiste et de
son premier dirigeant. On ne parle pas ainsi entre camarades.
Normalement. La fraternité élémentaire devrait interdire ce type de
phrase. Mais, ainsi était le « système hollande », la blague
pour blesser, la triche pour faire plier. C’est aussi avec tout cela que
nous sommes nombreux a avoir rompu en quittant le PS en novembre 2008.
Dans les mois qui viennent, entre les deux hommes, il y aura aussi,
peut-être, un duel d'orateurs. Qui sait ? On dit que Hollande n'est pas
maladroit dans ce domaine, où, à mes yeux toutefois, Jean-Luc reste un
maître. Certains journalistes vantent régulièrement l'humour du
candidat PS que l'on dit si décapant, si poilant. Mouais... L'humour,
oui, pourquoi pas.. mais pourquoi faire ? Je dis gare. Si Jean-Luc Mélenchon
est un homme politique de gauche qui sait faire aussi de l'humour dans
ses discours, et il ne s'en prive pas, il ne s'en sert pas comme d'un
artifice pour masquer l'essentiel. En revanche, le problème de François Hollande
c'est qu'il ressemble plus lui, dans ses discours, à un humoriste qui
fait de la politique. Cela tient parfois plus du "stand up", que de la
grande tradition des discours politiques. Croyez moi, ce n'est pas la
même chose. Certes, Hollande sait lui aussi captiver un auditoire. Mais,
pour moi, la marque de fabrique entre les deux hommes n'est vraiment
pas la même. L'un cherche à convaincre, quand l'autre envoûte et
hypnotise par des astuces, à faire vire-volter les mots pour qu'ils
perdent leur sens. Bah..
Ce sera donc François Hollande le candidat du PS. Banal.
En
définitive, la surprise de ces primaires est qu’il n’y a pas de
surprise. Qu’importe. Que les choses sérieuses commencent à présent. Que
le débat démocratique s’engage. Il est temps. Notre peuple le mérite.
Hollande est le meilleur représentant d’une gauche qui a déjà perdu en
2002 et 2007. Cet homme a un bilan. Il faudra en parler avec lucidité.
Nous le ferons aussi durant cette campagne. Jean-Luc Mélenchon
porte une autre vision de la gauche. Il est la continuité d’un long fil
qui le relie à une tradition qui vient de loin, de très loin. Si loin,
qu'il est en réalité porté un élan qui ne s'épuise pas depuis des
siècles. Notre gauche, c’est celle des lumières qui a chassé l'ancien
régime, celle du partage des richesses, celle de la justice sociale,
celle qui ne contourne pas les obstacles, celle qui, en ligue et en
procession manifeste… Elle vient de si loin qu'elle est en réalité la
seule qui se tourne vers l’avenir. La gauche hollandaise est en réalité
une parenthèse, une anomalie, celle de Mélenchon est la continuité d’une
longue histoire.
Le premier tour de cette élection peut et doit être au beau moment de
clarté. C'est le sens de notre "Offre publique de débat"
particulièrement avec le candidat du PS. Le climat est bon. Haut les
cœurs ! A gauche désormais, on y voit clair. La situation est franche.
Il y aura un candidat de centre gauche, et un autre, au centre de
l’histoire de la gauche.
Pour battre la droite, je crois fermement que nous sommes plus efficace pour chasser Nicolas Sarkozy. Le peuple de gauche pourra en juger dans les mois qui viennent.
On pourra remarquer que, parmi ma liste de blogs, figurent des sensibilités couvrant toute la Gauche, y compris parmi les Verts (c'est exprès que je n'écris pas EELV).
RépondreSupprimerCe texte a l'avantage de faire parler quelqu'un qui a fréquenté Hollande, qui en connaît bien les mécanismes et les dangers. Il est, à mon sens, essentiel pour éclairer cette campagne qui débute de façon très dure. Et qui finira assez probablement de façon encore plus dure. Nous sommes là à une charnière entre l'effondrement dans le $¥$T€M genre Grèce, et un renouveau d'une "classe ouvrière" dont le nom, adéquat au XIXe, ne l'est plus aujourd'hui en raison de la précarité généralisée, et du recul du CDI, du temps plein, de la "force de travail" telle qu'on la concevait autrefois.
Il s'agit donc de bâtir du nouveau, du tout neuf. Qu'on ne s'y trompe pas, les analyses de Marx sont toujours pertinentes, ce sont les interprétations qu'on en a faites, leurs applications, qui avouent leur obsolescence. Il s'agit d'apporter notre confiance, tous, à un rebâtisseur et à ses proches. Ils posent les bonnes questions, tentent d'apporter les bonnes réponses, et me semble-t-il leur démarche est bonne.
Pour ceux qui me connaissent, je suis plus radical sur certains points, je l'ai exprimé souvent. Je pense les gens de gauche assez pragmatiques pour tenir compte de mes remarques.
Voilà. Le premier tour de la présidentielle est passé. Le Peuple a choisi. Il a choisi de mettre en premier l'objet de ce billet, en second assez logiquement (mais "assez" seulement) le sortant au bilan que l'on connaît, et en troisième position une formation où, à mon sens, la haine tient lieu de politique. TOUS les autres sont distancés. C'est le pire scénario possible.
RépondreSupprimerLe peuple s'est préparé des jours bien difficiles.