Un nouveau billet sur Le Grand Soir. C’est
très finement analysé. En fait, face à Snowden, £€ $¥$T€M€ est démuni,
désarmé. Il doit d’autant plus paniquer qu’il ne comprend pas, il ne
peut viscéralement pas comprendre ces motivations, aux antipodes de "ses
valeurs" liées au PROFIT et à rien d’autre. Et plus il fera montre
d’intransigeance, de brutalité, de cruauté, plus d’autres Snowden
pourraient bien se lever pour dénoncer l’intolérable : des militants, de
simples militants de la valeur humaine face à une machine obtuse et
perverse.
Se pourrait-il que l’Empire soit à deux doigts de
s’écrouler, comme était tombée l’URSS en peu de jours ? L’argile dont
sont façonnés ses pieds serait-elle en train de ramollir, dans le bain
de sang et de larmes qu’il occasionne ?
Washingto delenda est
11 juillet 2013
Destin d’un whistleblower
Philippe GRASSET
Il
apparaît de plus en plus évident que Edward Snowden n’a guère de chance
de trouver un pays qui voudra lui accorder l’asile politique, ce qui
est une démonstration de ce que nous nommons “l’empire de la terreur”.
(Ce qui est désigné en général comme la crainte de tous les pays
concernés de compromettre leurs relations avec les USA [voir WSWS.org du
3 juillet 2013] ; mais, à notre sens, il s’agit d’une crainte beaucoup
plus large et diffuse des dirigeants-Système et même de ceux qui en
dépendent moins face à une exigence d’une structure essentielle du
Système.) Snowden fait de plus en plus figure d’isolé face au Système,
voire de martyre si l’on veut un terme plus tragique (on reviendra sur
ce point). Il est à noter que son père, qui avait d’abord pris une
position assez réservée face à son action, jugeant qu’il était manipulé
par Assange et Wikileaks et lui recommandant de cesser ses fuites, de
rentrer aux USA et d’affronter la justice, a évolué et le considère
désormais comme un héros, dans sa dernière lettre rendue publique par
son avocat. Lon Snowden compare son fils au héros de la Révolution
américaine, le désignant comme un “Paul Revere moderne”. (Sur Yahoo.com,
le 2 juillet 2013.)
« Alors que les chances d’obtenir une réponse
favorable à sa demande d’asile politique vont en s’amenuisant, Snowden a
reçu aujourd’hui une lettre de son père dans laquelle ce dernier
qualifie son fils de "Paul Revere moderne" qui a aidé à "réveiller" la
capacité "profondément endormie" du Congrès de contrôler les services
secrets étasuniens. Dans cette lettre rédigée par l’avocat Bruce Fein
"avec la collaboration de" Lonnie Snowden, il est écrit que, en révélant
au grand jour les programmes intérieurs et internationaux d’espionnage
de l’Agence Nationale de Sécurité, Snowden junior a "obligé le pays à se
pencher sur la question de savoir si oui ou non le peuple américain
était d’accord avec le fait d’être espionné par le gouvernement..." "Tu
es un Paul Revere contemporain qui oblige le peuple américain à prendre
conscience du danger croissant de la tyrannie et de la concentration des
pouvoirs dans une seule branche du gouvernement," lit-on dans la
lettre.
»La lettre mentionne aussi les paroles de James Clapper,
le directeur de la NSA, niant, devant une commission du Sénat, que la
NSA ait collecté volontairement ce que le Sénateur Ron Wyden appelle
"toutes sortes d’informations sur des millions ou des centaines de
millions d’Etasuniens" -une dénégation apparemment contredite par les
rapports basés sur les informations divulguées par Snowden. La lettre
pose la question de savoir si c’est Clapper ou Snowden qui est le "plus
grand patriote".
»Cette lettre dans laquelle Snowden senior
demande à son fils de 30 ans "d’échanger régulièrement avec nous les
idées et les pensées... qui pourraient contribuer à corriger ou
améliorer la culture politique catastrophique des Etats-Unis," tranche
avec les demandes précédentes qu’il a faites à son fils d’arrêter de
divulguer des informations et de rentrer à la maison. »
Le cas
Snowden prend une dimension humaine qui mérite qu’on s’y attache,
notamment en fonction de son refus de l’asile politique en Russie à
condition de cesser ses attaques contre les USA, c’est-à-dire la
diffusion des documents de la NSA. Il est quasiment acquis que Snowden
n’a plus grand chose à diffuser, sinon rien du tout, puisqu’il a
distribué tous les documents qu’ils possèdent à divers journaux et
personnes. Glenn Greenwald l’a encore confirmé le 2 juillet 2013, sur
Politico.com, parlant en ces termes des intentions des autorités US :
« A ce stade Edward Snowden ne les inquiète plus ; il ne peut pas leur
faire plus de tort qu’il n’en a déjà fait ; ce qu’ils veulent maintenant
c’est en faire un exemple si épouvantable que plus personne n’osera
faire fuiter des informations de peur de finir comme lui.... »
Illustrant
la chose, annonce une prochaine publication de documents qu’il promet
explosifs... « "Attendez un peu et vous allez voir," a dit sur “Fox
& Friends” Greenwald, le journaliste du Guardian qui a publié les
révélations sur l’espionnage de la NSA. Bien que Greenwald ait refusé de
dire exactement de quelles nouvelles révélations il s’agissait, il a
dit que le monde "serait choqué". "Ce que je veux dire c’est qu’il y a
de vastes programmes d’espionnage, à la fois intérieurs et
internationaux, que le monde sera choqué de découvrir, et qui sont
opérés par la NSA sans qu’elle ait à rendre de compte sur d’éventuelles
atteintes à la démocratie et c’est la raison pour laquelle nous avons
décidé de les révéler," a dit Greenwald. »
Cette réalité fait
s’interroger sur le refus de Snowden de l’offre conditionnelle d’asile
politique de la Russie. Il y a l’argument général de la poursuite de sa
mission de diffusion des documents NSA, par exemple comme le signale
WSWS.org (dans le texte déjà cité) : « Snowden a repoussé tout de suite
"l’offre" de Poutine qui en aurait fait un prisonnier politique de
l’oligarchie du Kremlin, et il a retiré sa demande d’asile. Cette
décision montre clairement sa détermination de continuer à révéler les
opérations illégales du gouvernement étasunien et a, en même temps, mis
en relief le caractère frauduleux des accusations d’espionnage portées
contre lui. » Cet argument de la poursuite de la diffusion des documents
NSA n’a plus guère de sens, comme on l’a vu plus haut. Dès lors, le
jugement selon lequel Snowden deviendrait un “prisonnier politique” en
Russie n’est pas plus d’une signification convaincante et nous paraît
ressortir pour beaucoup de l’hostilité viscérale des trotskistes pour un
gouvernement qu’ils considèrent comme successeur lointain de Staline en
même temps que complice “capitaliste” des USA (« Mais quels que soient
les conflits géopolitiques qui séparent Moscou de Washington, les deux
gouvernements représentent les classes dirigeantes capitalistes les plus
avides et ils ont la même crainte que leurs crimes d’état ne soient
dévoilés à leurs classes laborieuses respectives. »). On peut même
avancer que, selon l’évolution de la situation des relations USA-Russie
qu’on peut sans grand risque apprécier comme promises à s’aggraver, un
Snowden installé en Russie pourrait retrouver un rôle politique public.
Cela est d’autant plus à considérer qu’il dispose dans le pays de
nombreux alliés, dans des positions d’influence non négligeables, et que
la pression sur Poutine pour une politique plus antiaméricaniste est
une constante de la situation russe.
Comme le dit Greenwald, le
gouvernement US entend faire un exemple pour empêcher que surgissent
d’autres whistleblower. Cet avis est généralement confirmé par des voix
dissidentes autorisées. Par exemple, Norman Solomon, parlant à Russia
Today le 2 juillet 2013 : « Il y a un élément de panique dans la
politique étasunienne par rapport à Edward Snowden et ce problème en
général, et dans l’effort du géant mondial pour essayer d’écraser
toutes les personnes tentées, comme Edward Snowden, d’informer le monde
en dévoilant des informations irréfutables de première importance [...]
Le gouvernement des Etats-Unis veut à tous prix décourager les employés
d’agences comme la NSA de faire fuiter des informations. »
Il
faut aussitôt rappeler que Snowden préparait son affaire depuis quatre
ans, qu’il a eu sous les yeux les exemples des persécutions contre
Assange et contre Bradley Manning, qu’il savait parfaitement le sort qui
l’attendait, comme il ne l’a jamais caché. On est alors conduit à
observer que l’attitude du gouvernement US (du Système), si même
l’entreprise d’élimination de Snowden réussit, n’est pas nécessairement
promise à être d’une complète efficacité dissuasive. La psychologie de
Snowden, comme en un sens celle de Manning (moins celle d’Assange),
n’est pas celle du calcul, de la manœuvre, de la survie politique, etc.,
mais bien plutôt celle du martyre. La psychologie du martyre est un
caractère particulier, très spécifique, qui existe sans aucun doute
d’une façon psychologique structurée et n’est certainement pas une
simple image symbolique. Dans ce cas, les difficultés jusqu’au danger
suprême de l’oppression et du martyre imposées par une entité qu’on
identifie au Mal deviennent plus un argument pour agir, une épreuve de
la destinée voire de la providence si l’on veut, qu’on envisage et qu’on
accepte pour soi-même comme une mesure de sa propre valeur. (Certaines
confidences de son avocat montrent que Manning vit son calvaire de cette
façon.)
Dans ce cas, la politique US devient complètement
improductive parce qu’elle confirme la situation de son producteur (le
Système, via les USA), dans le chef d’une entité maléfique, oppressive,
contre laquelle Manning et Snowden et tout autre whistleblower de cette
trempe se sont révoltés, et donc ajoute une raison supplémentaire de
révolte pour une psychologie de martyre comme il semble en exister
encore et qui attendrait son tour pour se manifester. (On pourrait même
se demander, certes, si la situation actuelle, dans sa monstruosité,
n’est pas propice à susciter l’action antiSystème de telles
psychologies.) Mais la “politique US”, en fait politique-Système et rien
d’autre, n’en a cure parce qu’elle obéit à des principes de force. Le
Système n’a aucune idée des formes inattendues ou radicales que peut
prendre l’héroïsme, puisqu’il ignore d’ailleurs ce que c’est que
l’héroïsme.
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet
URL de cet article 21293
http://www.legrandsoir.info/destin-d-un-whistleblower.html
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