jeudi 13 juin 2013

Chronique des Solovki (Hiéronymus)

Dans mes archives, je viens de retrouver un récit que Hiéronymus, un ami du Net perdu de "vue" avait posté en plusieurs épisodes pour les autres amis du Net, il y a une dizaine d'années déjà. On se souvient de ce livre, qui avait grand bruit à l'époque, "L'archipel du Goulag", par Soljenitsyne. Cet archipel existe, quelque part sur la Mer Blanche. Son vrai nom, ce sont les îles Solovki. Cet ami, qui à l'époque habitait "pas trop loin", à Vilnius en Lituanie, avait résolu un jour d'aller visiter ce lieu un peu mythique. C'est ce récit qui m'est donc retombé sous les yeux. Même s'il est malheureusement resté inachevé, il garde une grande force dans la simplicité grandiose des gens et des lieux décrits. Le voici. 


Chronique des SOLOVKI (1/5)

1) le Koukourouznik

Archangelsk, le 10 mai. Le ciel est gris, le temps est froid. L'avion décolle dans une heure et demie de Vaskovo à 30 kilomètres d'ici, le taxi est là. Il faut y aller car il n'y a plus trop de temps.

La ville semble quasi-déserte ce lundi, quelques feux tricolores semblent être la seule note de gaieté avec les zigzags du taxi qui tente d'éviter les nids de poule de la chaussée.

Puis nous abordons le pont de la Dvina, ouvrage métallique très long et très sombre, pas non plus exempt de creux et de trous, nous franchissons le bras principal, puis un autre bras du fleuve: Archangelsk est bâti sur l'estuaire, et les fleuves russes sont à l'échelle du pays, c'est-à-dire immenses...

Puis nous roulons sur une route principale. Le chauffeur du taxi est du genre jovial, pas aigri malgré les difficultés de la vie et la bonne cinquantaine qu'il affiche, il parle mais je ne comprends pas tout, un embranchement et je vois un panneau MOCKBA (Moscou), quelque chose comme un peu plus de 1200 kms, mais ce n'est pas notre direction, j'ai bien besoin du bagout du chauffeur pour ne pas sombrer dans le spleen car le paysage est sinistre en ce début mai, c'est à peine dans ces contrées septentrionales si certains buissons commencent à verdir, bourgeons encore fermes. Le paysage me rappelle la vue de petits bois de tourbières en Normandie en plein hiver, branches mortes d'une existence désuète...

Plus un pays est pauvre plus les gens sont joyeux, la conduite du taxi en témoigne, il fonce dans les virages, négocie les courbes, évite les fossés et en peu de temps nous voici à Vaskovo, le fameux internationalement connu aéroport de Vaskovo: c'est que, en fait d'aéroport, c'est une bâtisse qui ferait penser à une école primaire de province, l'avantage c'est qu'il n'y a qu'une porte et qu'on ne risque pas de se tromper, de même à l'intérieur un seul guichet où les gens sont mollement agglutinés. Je m'y colle aussi, mais avec un léger recul typique de ceux dont l'éducation interdit de frôler les autres. Pas grand-monde, mais çà va lentement, très lentement,et je commence à m'inquiéter assez rapidement, tout de même je comprends quelques mots, et comme les autres ne s'affolent pas, cela me rassure un peu.Tout d'un coup la guichetière se lève, pousse le rideau et sort de son cagibi, car comme dans les petites gares la seule personne active est polyvalente, un avion part avant le nôtre et elle doit enregistrer les passagers. Puis elle revient et explique que notre avion est retardé en raison du mauvais temps de plus d'une heure, ah bon! Cela me parait interminable, que suis-je venu faire ici, dans ce trou paumé parmi les paumés, dans cette salle d'attente où toutes les horloges sont bloquées sur une heure fausse, où un genre de cantine distille un café valant à peine une bonne chicorée au fond d'un godet...

Bon, bon, cet endroit après tout reste très convenable, les gens y sont paisibles et pas désagréables, suffit d'être calme, et notre tour viendra, et en effet il vient! Notre groupe s'ébranle, à peine 10 personnes, et nous passons derrière une autre palissade en bois, contrôle des bagages: enfin ce qui en tient lieu, "Passpooort !" Voilà, c'est fait, nous nous retrouvons dans une antichambre fermée un temps encore incroyable, et puis une porte s'ouvre, un autobus du genre benne tirée par un tracteur est mis à notre disposition pour nous porter jusqu'à l'avion (100 m), et quel avion, digne de Tintin, c'est un Koukourouznik !

 Le temps est froid, le vent vif, il semble qu'il neige, mais oui il neige et nous sommes le 10 mai, aussi nous nous précipitons de cet "autobus" pour grimper dans ce Coucou - pardon, c'est un Koukourouznik, pour y monter : à peine un marche-pied comme pour un wagon, à l'intérieur, à peine 15 places, soit 3 sièges médiocres sur 5 rangées, les bagages sont posés vers le fond de l'avion et les gens s'assoient devant. Il ne fait pas chaud, mais au moins il ne neige pas à l'intérieur. Puis le pilote monte, un jeune Russkof, il est doux, délicieux, adorable même avec ses épis dans des cheveux très blonds qui le font paraître a la fois romantique et ringard, il me fait penser, le bandeau en moins, au pilote estonien Szlut de Coke en stock, il passe entre nous pour aller s'asseoir devant, çà y est, on ferme notre Koukourouznik, chic c'est l'aventure !


Rodina Antonov A28
Une hélice tourne, puis les deux, le régime augmente et le bruit, le boucan devient vite assommant, un bruit métallique qui donne l'impression que tout vibre, nous nous dirigeons vers la piste unique, 5/5, les gaz à fond, accélération, çà y est on décolle, attention çà secoue, et quel boucan, mais bon ! J'ai toujours aimé prendre l'avion, c'est comme les manèges à la foire mais en plus grand, peut-être suis-je inconscient du danger car les autres passagers se signent en forme de prière... Enfin maintenant on est dans les airs et j'espère bientôt voir le ciel bleu et l'éclat du soleil, percer cette mer de nuages. Or l'on monte, et monte encore, mais nous sommes toujours dans cette soupe laiteuse, rien d'autre que le boucan des hélices et le blanc épais de l'air où nous baignons, rien, aucune éclaircie, un plafond de nuages, puis un autre au dessus, il semble que la lumière ait abandonné cette contrée, impossible de voir où nous sommes, au dessus de la Mer Blanche ? Il fait un ciel si bas qu'il faut lui pardonner, n'est ce point le bout du monde ? 

Tout de même, après un temps incroyablement long, notre Coucou- rouznik décroche et amorce une courbe, pourtant pas de WTC à l'horizon, ah si, maintenant on distingue tout en bas ce qui semble un paysage sans couleur, juste un vert très sombre et des parties brunes, des taches blanches aussi et on descend, on descend comme à pic, c'est encore mieux que les manèges de foire, j'ai l'impression que le Russkof coupe complètement les gaz et dirige le zinc dans une sorte de vol plané à peu près, je dis à peu près contrôlé, rien à voir avec des vols de gros porteurs, Solovki pourrait bien être ma dernière destination...

à suivre...

Chronique des SOLOVKI (2/5) 

 2) le Monastère
Encore quelques secousses et le Koukourouznik stabilise enfin sa trajectoire en vue de l'atterrissage: çà y est, il touche enfin le sol, le sol des Solovki sur ce qui semble être une piste en plastique, oui c'est une sorte de tôle ondulée en plastique qui fait office de tarmac d'aéroport, un plastic couleur vert pâle si vous voyez à quoi je fais allusion. 
Le ciel est assez opaque, on y voit quand même à plusieurs centaines de mètres, devant nous le bout de la piste, le Coucou freine, freine... ouf çà a l'air bon mais toujours ce boucan, Bon, il fait demi-tour car c'est une piste unique, et revient pépère à son petit train devant l'unique baraque en bois peinte en bleu et où est écrit en caractères cyrilliques le mot AEROPOORT.
Terminus, tout le monde descend, sans précipitation car de toutes façons là où nous sommes désormais il n'y a plus rien à faire, nul taxi, nul transport en commun, point d'horaire, rien ne presse à Solovki.. Je distingue à la droite du "terminal" d'aéroport le début d'un chemin qui semble boueux, car il n'y a aucun asphalte a Solovki, le seul chemin en fait... Je m'y engage donc les bagages à la main et ne tarde pas à distinguer à l'avant de ce chemin, peut-être à peine un kilomètre, le mur d'enceinte et les coupoles en forme d'oignons d'un monastère, du monastère de Solovki, c'est une vision à vous couper le souffle, dans cet endroit désolé du bout du monde, tout près du cercle polaire, où l'hiver dure près de 9 mois par an, de trouver une construction d'une telle dimension et d'une telle splendeur, cela me ragaillardit et je décide d'aller de l'avant, entre-temps les autres passagers ont l'air de s'être déjà dispersés, il est vrai qu'ils n'étaient pas nombreux mais malgré l'émotion du lieu, une réalité physique moins agréable me surprend, celle du froid, un vent vif et glacé me saisit les mains, m'obligeant à enfiler les gants que j'avais pris à tout hasard, eh bien !

Me voici trottant sur l'unique chemin de l'aéroport entre quelques baraques en bois, un étang encore gelé, et devant moi, LE MONASTERE car il écrase tout par sa présence, c'est un ensemble historique, cerné par un mur d'enceinte aux dimensions colossales, de plusieurs centaines de mètres de long, le mur est fait de pierres énormes que je commence déjà à distinguer au fur et à mesure que je m'en rapproche, en même temps les coupoles intérieures deviennent plus gracieuses, c'est une construction fabuleuse, une énigme historique...

Je suis de plus en plus près, et finis par m'engager par un portail d'accès, à l'intérieur des bâtiments, et encore des bâtiments d'époques variables, mais l'ensemble paraît vide, désert, il fait si froid que personne ne traîne dehors, je passe une cour et aborde la partie centrale avec son église si majestueuse, qui vraiment en impose, et toujours pas âme qui vive, je cherche une enseigne ou un repère: voici tout de même que je croise quelqu'un, un homme plutôt âgé du type bûcheron, pas un prêtre, lequel me demande où je vais (Kouda vuh idiote ?). Je lui explique que je cherche une auberge ou quelque chose comme cela, il me repond "allons voir ensemble" et m'entraîne vers un bâtiment où nous pénétrons, là à l'intérieur je me retrouve pour la première fois face a un pope. C'est impressionnant, surtout la première fois, ils sont habillés en noir de pied en cap, portent la barbe broussailleuse et vous dévisagent gravement, "d'où venez-vous ?" ( Otkouda vuh ), Ia Fraantssouz, Journalist ? Niet, niet ! Tourist ? Da, da! Chto vuh hhatite (que voulez vous?) Je cherche un logement... Padajdite (attendez), là vient un autre pope, plus jeune et d'aspect timide qui m'indique de le suivre, après avoir laissé mes bagages, puis nous traversons une cour et rentrons dans un autre bâtiment où il m'indique d'accrocher mes affaires et de pénétrer dans la pièce, de prendre place en fait, car celle ci est attenante à une cuisine, et il ne tarde pas a déposer sur une lourde table en face du banc où je suis assis, des sortes de grosses marmites contenant des tas de plats, soupe, poisson, chou, pommes de terre, macaronis, aussi du thé et pour l'accompagner une sorte de liqueur grasse et sucrée ayant une odeur très douce faisant penser a la cannelle.
C'est incroyable, tout cela est incroyable, me voici alors que je parle à peine russe, qu'ils ne savent rien de moi, servi tel un coq en pâte dans ce lieu qui est un lieu culte de la mémoire orthodoxe, difficile de retranscrire l'impression solennelle dégagée par ces lieux, il y règne une tranquillité et une simplicité délicieuse et en même temps le moindre mouvement semble y prendre une dimension métaphysique. Impossible de dater l'endroit, de dire depuis quand les gestes quotidiens élémentaires s'y sont répétés et répétés, tels l'éternité dans le temps, car le temps ne semble plus avoir cours ici, le temps c'est à l'extérieur, nous avons tout d'un coup oublié qu'il y avait un avant et un après, c'est comme si ce moment, cet espace avait toujours été présent et que nous le savions.

Rétabli par cette restauration en forme de méditation, je reviens avec ce jeune pope vers le "lieu d'accueil" ou s'engagent des conciliabules. Ils me demandent si je suis chrétien ? Oui mais catholique (en gros...); je remarque qu'ils sont très protocolaires, ne manquent jamais de se signer et de s'incliner devant certaines images et objets, je vois tout cela en même temps qu'ils discutent de moi, finalement ils m'indiquent de venir ce soir à 10h pour rencontrer l'higoumène (supérieur religieux) German (c'est son prénom): certes, mais il est à peine 2h de l'après-midi et que dois-je faire d'ici-là, d'autant que je suis franchement fatigué après une mauvaise nuit, et me sens très vite complètement gelé a l'extérieur... Ils comprennent que je ne peux pas rester dehors et m'expliquent qu'il y a une auberge très près du Monastère où ils me conseillent d'aller, là-dessus une femme qui semble travailler dans la journée au monastère se saisit d'un téléphone qui semble dater du Goulag, et après avoir scruté une liste de numéros à 2 chiffres (moins de 100 numéros différents sur l'île) parvient à appeler après quelques tentatives la responsable de l'auberge, cela devrait aller, elle va m'accompagner pour m'indiquer le chemin, nous traversons la cour principale du Monastère et nous engageons sous un autre portail, où près de cette entrée cyclopéenne, elle me montre en face, à quelque 300 ou 400 m, de l'autre côté d'un bras de mer gelé, la maison verte qui est l'auberge du Monastère, mais il y a 2 maisons vertes, laquelle, celle à gauche ou à droite (na lieva ili na prava?), à droite (na prava), Iassna !

La responsable s'appelle Katia, une femme très bien (otchin hharochaia jenchina) me précise-t-elle en m'adressant au revoir, le froid est vif mais cela ne paraît pas loin. Je m'engage à nouveau sur un chemin de terre qui contourne ce bras de mer (gelé le 10 mai !) en longeant à nouveau des baraques en bois ,et en quelques minutes je suis devant l'auberge, maison en bois coquette, d'aspect rustique mais confortable, il semble que Katia m'ait vu venir car à peine arrivé, la porte s'ouvre et une jeune femme qui paraît tout-à-fait charmante m'adresse un "Zdrasvouitssia" ! 

 à suivre...
 
 
Chronique des SOLOVKI (3/5)

3) KATIA

Ah, je devine déjà vos mines réjouies, vous vous dites, çà y est, enfin la femme ! Je vois vos faces lubriques, bavantes de concupiscence et d'autres instincts car chez l'homme, le cochon n'est jamais loin, il peut s'assoupir mais ne s'endort jamais complètement, voici la triste réalité mais chez les femmes ce n'est hélas guère plus reluisant, car si chez l'homme une grossièreté physique domine, encore est-elle sans malice, honnête pourrait-on dire tandis que vous, Mesdames, c'est une curiosité dans tout ce qu'elle a de négatif qui vous émoustille a l'avance, vous n'êtes pas des "voyeuses" physiques mais vous raffolez des potins, le plus souvent la jalousie est le moteur de votre intérêt, vous vous régalez des indiscrétions, de tout l'intime
chez les autres, enfin vous lirez bien la suite...

Où en étais-je ? Ah oui, Katia vient de m'ouvrir la porte de l'auberge où je dois résider, au début je ne l'ai pas trop remarquée, car encombré de mes bagages, j'étais surtout pressé de quitter le froid extérieur, tout de même en rentrant j'ai tout de suite été surpris par sa jeunesse et par son charme, mais maintenant a l'intérieur je prends le temps de l'observer davantage et constate qu'elle sourit, qu'elle sourit encore, qu'elle sourit toujours, d'un sourire tendre qui semble la marque d'une vraie gentillesse avec un zeste de timidité. Comment est-elle, vous dites-vous ? Mais puisque je vous dis qu'elle est charmante, cela ne vous suffit pas ?

Bon puisqu'il faut en passer par là, voyons donc Katia : elle est jeune, la trentaine, de taille moyenne, assez fine, la poitrine menue, semble bien légère et gracieuse, elle a des cheveux blonds mi-longs, retenus par une petite queue de cheval qui renforce son aspect juvénile, les courbes de son corps sont féminines mais sans excès, plutôt discrètes. Elle a le type russe, c'est-à-dire le teint clair des européens du nord mais avec de légères pommettes, et ces yeux bleus vifs du grand froid légèrement tirés en amande, ravissants !

Elle me guide à l'intérieur de l'auberge et me montre ma chambre, l'auberge composée d'un seul étage avec à peine cinq chambres est vide à part moi, je vais être chouchouté !
Dans ces contrées nordiques, le bois démontre tout de suite ses qualités par la sensation de chaleur et de "chez soi" qu'il procure, la chambre possède un mobilier simple mais très coquet, cela me rappelle les auberges de jeunesse en Norvège que j'ai connues autrefois quand je sillonnais l'Europe l'été en sac à dos, ce confort rustique, ce goût pour les formes sobres et ce souci d'une vie hygiénique. Je la rassure en lui expliquant que la chambre me convient tout-à-fait, de toutes façons elle sourit encore et toujours ! S'ensuit une discussion avec le faible russe dont je dispose -ravissante, elle est ravissante- elle m'explique comment elle administre l'auberge, et ce dont je peux disposer, elle pourrait tout aussi bien me faire un exposé sur la marche des crabes dans le désert ou la stérilisation du plastique que je l'écouterais encore, car je ne me lasse pas de sa compagnie.

Tout de même, le manque de sommeil, le froid, la fatigue du voyage et l'amorce d'une digestion me rendent lentement somnolent, elle s'en aperçoit et décide de me laisser vite, je m'apprête à essayer mon nouveau lit comme un gamin dans une colonie de vacances, et ne tarde pas à m'endormir...

...c'est à la fin du printemps, près d'un petit lac, je n'ai encore jamais vu une prairie aussi verte
que celle qui s'étale sous mes yeux, parsemée de boutons d'or, elle resplendit comme la pureté même, ni un ciel aussi bleu, l'air est transparent, cristallin, c'est à peine si un léger vent fait onduler l'herbe parfois et provoque de légères rides a la surface du lac dans lequel le soleil se reflète, resplendissant de son éclat, cette nature est d'une beauté indicible et j'en ai bien la conviction, le Paradis originel ne pouvait être plus beau. Près de la maison en bois où nous habitons, j'aperçois Katia de dos, assise sur un banc, sa belle silhouette se découpe sur le fond azur du ciel, elle semble absorbée dans une profonde méditation devant tant de splendeur et je vais m'asseoir près d'elle: à ce moment elle se retourne vers moi, son sourire est radieux, elle plisse légèrement les yeux sous l'éclat du soleil, son doux visage est si paisible qu'elle semble comme moi avoir été transfigurée par la magnificence du paysage; dans le lointain les cloches du Monastère résonnent soudain de leur son clair et limpide, inondant l'espace d'une joie lumineuse, je me sens alors submergé par un sentiment d'une douceur indescriptible. O mon amour, puisse cet instant ne jamais se terminer car je le sais désormais, je n'ai jamais aimé d'autre femme que toi...

Combien de temps ai-je dormi ? Impossible a dire, un coup d'œil sur le portable qui me sert à la fois de montre en poche et de poste émetteur de messages m'indique que je devrais commencer à m'activer si je veux assister au service religieux, qui a lieu tous les jours à 17 heures au Monastère, oui j'ai encore le temps, mais de ce fabuleux service je vous entretiendrai plus tard comme de ma rencontre avec l'higoumène (ou supérieur du Monastère) le soir même, mais revenons donc à Katia.

L'higoumène était en retard car ces gens-là ont le temps, ils ont tout le temps, je reviens vers 11 heures du soir à l'auberge et il fait jour, il fait toujours jour, je me réjouis de ce que Katia m'a promis un dîner particulier, même si je suis un mauvais mangeur (il n'y a qu'à me voir) mais c'est l'attention et la délicatesse qui me touche, je dîne lentement et prends après le temps de bavarder avec elle et il fait toujours jour, à près de minuit, juste le temps est plus sombre en même temps que je commence a raconter ma vie, mais tout semble l'amuser, même les pires déboires, à la fin comme je ne voulais pas continuer à abuser de sa patience et que je me décidais a partir, je n'ai pas bien saisi, comprenant mal le russe, dans ce que j'ai pu exprimer ce qui a eu le pouvoir de la faire rire aux éclats mais j'ai senti mon cœur commencer a fondre devant son fou rire d'enfant, je n'ai pas souvenir en 12 ans passés a Vilnius d'avoir vu quelqu'un rire comme Katia a ce moment-là, absolument délicieuse de tendresse.

Journée incroyable à tous les titres, je finis par rentrer dans ma chambre et continue pendant encore de longues minutes à contempler de mon lit le Monastère qui s'offre en plein à ma vue, juste de l'autre côté du bras de mer, dans le ciel crépusculaire, c'est une vision sublime, une chose indescriptible, comme un rêve éveillé.

J'aurai encore l'occasion le lendemain et brièvement le surlendemain de gouter à la compagnie de Katia, elle semble continuellement de bonne heure et j'ai pu glisser de brefs messages grâce a son ordinateur, oui même Solovki dispose d'Internet, sauf heureusement le Monastère...

Le 12 mai au matin, me rendant a pied a l'aéroport par un ciel clair et lumineux, nous avons fait encore quelques pas ensemble avant que nos chemins ne bifurquent tout près de l'enceinte du Monastère, nous nous sommes embrassés en nous souhaitant "tout bien" (vsievo dobrovo), Katia, oui vraiment, tout bien, tout bien pour toi ...

Mais vous avez dû observer quelques sauts dans mon récit, en particulier à l'instant où je me suis réveillé avec l'intention d'aller assister au service religieux quotidien du Monastère, je m'y dirigeai donc un peu avant l'heure en passant sous le portail cyclopéen et pensais a priori que celui-ci devait avoir lieu dans l'église principale au centre du Monastère, mais je trouve partout porte close, j'avais remarqué quelques minutes plus tôt en passant dans la cour principale plusieurs popes empruntant une petite porte pour se rendre dans un bâtiment adjacent, ce que je décide de faire et dois alors monter un escalier où il fait très froid puis déboucher sur une sorte de corridor avec des manteaux accrochés, je dois être tout près, je pousse un battant de porte puis un deuxième et je suis alors complètement saisi par ce que je vois, merveilleux ...


à suivre...

2 commentaires:

  1. Très beau, dépaysant récit, exotique à souhait...
    sans rapport (sinon l'archipel) avec Soljenitstyne pourtant ! : peut-être par la suite ?

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  2. Faire entrer l'enfer de Soljenitsyne dans un tel décor, aussi paisible : quelle gageure ! Il faut l'imaginer en janvier, avec des nuits aussi longues que les jours sans fin du mois de mai. Il faut imaginer le froid bien plus intense, les forçats et les gardes, le ciel noir et bas, l'espoir absent, la mort au tournant, la vie en suspens, l'avenir brisé, le passé oublié dans un présent tourmenté, et l'on commencera à avoir une idée de ce que les déportés ont enduré.

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