On ne lâche rien !
De :
Jacinte Grenier
Journalisme/Reportage-Photos
06 34 95 04 84
à partager sans
modération !
UN AÉROPORT EN VERT
ET CONTRE TOUT : 40 ANS DE LUTTE À NOTRE-DAME-DES-LANDES
On ne peut
réellement comprendre ce qui se passe actuellement à
Notre-Dame-des-Landes (tant au niveau du projet que des résistances
qu’il suscite) sans plonger dans l’histoire mouvementée de ce
méga-projet, lancé dans les années 1970. Les aminches de la revue
Z s’y étaient attelés dans leur numéro de l’automne 2010. Leur
reportage sur place reste plus que jamais d’actualité.
Le texte suivant a
été publié dans la revue Z n°4 parue en automne 20101. Le numéro
de 176 pages, consacré à Nantes, aux impostures du développement
durable et à l’écologie politique est toujours disponible sur
commande en envoyant un mail à : contact@zite.fr.
« Le dossier de
l’Aéroport international Ouest-Atlantique “Rotterdam aérien”,
projeté sur le territoire de la commune de Notre-Dame-des-Landes,
mérite d’être ouvert, parce qu’à travers lui, se trouvent mis
en évidence le circuit habituel des décisions qui nous aménagent,
la légèreté avec laquelle on programme notre avenir, la brutalité,
consciente ou inconsciente, d’une Administration qui descend “sur
le tas” pour dire en substance : “Dégage, on aménage.”
Raconter comment naît un projet d’équipement et comment on
l’impose aux populations locales, c’est voir à l’œuvre le
fonctionnement de notre démocratie. » (J. De Legge et R. Le
Guen, Dégage !... On aménage, Le Cercle d’Or, 1976)
À une vingtaine
de kilomètres au nord de Nantes, sur la départementale qui mène au
bourg de Notre-Dame-des-Landes, en bordure de route, dans les
arbres et devant les maisons, des panneaux de bois affichent tous un
simple et ferme « Non à l’aéroport ! ». Ce message
en rappelle d’autres, aperçus ici et là, aux quatre coins de la
France : « Non à la THT 2 » dans les Pyrénées
Orientales, « Stop L’EPR 3 ! » aux abords de
Cherbourg, « Stop ITER 4 » en Provence ou encore « Non
à l’enfouissement des déchets radioactifs » à Fougères, à
Bar-le-Duc, ou à Saint-Dizier. C’est à chaque fois le même
mélange de stupeur et de colère : un projet conçu dans de
lointains bureaux vient bouleverser un monde, ses habitants, leur
mode de vie, leurs liens et défigurer un territoire pour un
développement dont on ne sait plus très bien à qui il profite.
Ici, dans ce pays de
bocages encore préservé de l’urbanisation galopante de la région,
c’est un projet d’aéroport international, vieux de quarante ans,
qui vient chasser des dizaines d’habitants, une centaine de
paysans, et offrir près de 2000 hectares de terres agricoles au
tarmac. Il faut un certain effort d’imagination pour se représenter
un aéroport, ses dessertes routières, ses ronds-points, ses hôtels
et toutes les infrastructures qui l’accompagnent, à la place des
petites parcelles de terre séparées de talus arborés, des langues
de landes restées en friche et des troupeaux de vaches laitières.
Le bon sens est encore davantage heurté lorsqu’on apprend que la
ville de Nantes, administrée par Jean-Marc Ayrault, maire et député
PS, dispose déjà d’un aéroport. Comment alors justifier un tel
projet ?
En fait, les
arguments ont changé avec le temps : sécurité, environnement,
coût, besoin face à l’affluence, standing, tourisme… Certains
disparaissent, d’autres apparaissent selon la période politique ou
la mode du moment. « Au début, il fallait absolument construire
cet aéroport pour pouvoir accueillir le Concorde. Puis pour délester
les aéroports parisiens. Puis parce que l’aéroport de Nantes
était saturé. Et aujourd’hui pour d’impératives raisons de
sécurité ! », explique Claude Colas de l’Acipa
(Association citoyenne intercommunale des populations concernées par
le projet d’aéroport).
Face au travail de
contre-expertise des opposants au projet, les promoteurs ont dû
adapter leur discours. Aujourd’hui, deux arguments principaux sont
mis en avant. Nantes-Atlantique, situé au sud de la ville, serait
proche de la saturation. Une justification étonnante lorsqu’on
apprend que l’aéroport de Genève, par exemple, qui dispose d’une
seule piste de 340 hectares, accueille chaque année 10 millions de
passagers. Alors que seulement 2,8 millions de personnes utilisent
l’aéroport de Nantes-Atlantique... Autre argument : le survol
de l’agglomération, en plus de générer des nuisances sonores,
serait un véritable danger. À ce problème, les associations
opposées au projet proposent un remède : une piste
perpendiculaire à la précédente. Mais cela n’est pas assez beau,
pas assez grand, pas assez puissant pour une élite locale gagnée
par le même enthousiasme bétonneur. Son rêve ? Un nouvel
aéroport, garantit HQE (Haute Qualité environnementale), qui
permettrait de redessiner une grande mégalopole
Rennes-Nantes-Saint-Nazaire, attirer de nouveaux emplois, de nouveaux
investisseurs et permettre ainsi le développement de la région.
Loin de se laisser
séduire par les sirènes du développement, à Notre-Dame-des-Landes
et ses alentours on se sent plutôt agressé par ce grand projet que
tentent d’imposer, depuis les années 1970, quelques experts de
l’aménagement. C’est en achetant le journal au café-tabac que
les habitants des communes concernées, voient, un beau matin de mai
1970, un gros titre annoncer : « La métropole Nantes –
Saint-Nazaire pourrait devenir le Rotterdam aérien de l’Europe par
la création d’un aéroport international de fret au nord de la
Loire. » Loin des petits clochers du pays nantais, au cœur
d’un nouvel organisme au nom prometteur, la Datar (Délégation à
l’aménagement du territoire et à l’action régionale) 5,
fleurissent des spécialistes qui pensent l’avenir du territoire.
1972 : LES MAIRES
VOTENT EN FAVEUR DU PROJET
À
Notre-Dame-des-Landes, comme sur l’ensemble du territoire, chacun
se voit transformer en pion à déplacer, et chaque prairie en objet
à aménager ou à organiser. L’enjeu affiché, sur fond de la «
politique de décentralisation », est de développer les
villes de province pour endiguer les migrations vers la capitale. Des
tensions sociales commencent à poindre depuis les années 1960 avec
« l’accumulation des hommes et des choses 6 » à Paris.
Pour les entreprises, l’augmentation du nombre d’habitants et les
tensions qui s’ensuivent se traduisent « par l’élévation
des coûts de fonctionnement et des coûts de production et de
commercialisation... 7 » La nécessité de créer « des
grandes métropoles d’équilibre8 » offrant des coûts de
production plus bas et des infrastructures efficaces prend un
caractère impérieux face aux attentes des entreprises. À ce titre,
le transfert de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes apparaît
comme un projet d’avenir. Développement industriel et commercial,
création d’emploi, prestige : avec ce nouvel aéroport, Nantes
a tout pour devenir une de ces grandes métropoles.
Sur place, ne
pressentant rien de bon dans ces plans mirifiques, les paysans
s’organisent. En 1972, ils fondent l’Adeca (Association des
exploitants concernés par l’aéroport). « On ne voyait pas
pourquoi faire un aéroport, rappelle Michel Tarin, paysan retraité
installé à Vigneux, une des cinq communes visées par le projet. On
le refusait en tant que tel, comme projet d’aménagement et de
développement, mais aussi parce qu’il s’imposait à nous sans
que notre avis n’ait jamais été sollicité,et qu’il menaçait
notre outil de travail : la terre. On nous a traités d’arriérés,
mais c’est une insulte dont on a l’habitude lorsqu’on est
paysan... » Les arriérés en question ont alors une certaine
idée de leur métier et, au-delà, de la société à laquelle ils
aspirent.
Forts d’une
tradition de lutte syndicale ouvrière et paysanne en
Loire-Atlantique, les paysans de Notre-Dame-des-Landes et des autres
communes ne comptent pas se laisser « aménager » si
facilement. « Dès mes 14 ans, comme tous les jeunes d’ici,
j’étais à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) du canton, puis
j’ai participé à la création de “Paysans en lutte”, après
avoir rencontré Bernard Lambert 9. Un peu plus tard, en 1967, en
parallèle des réflexions qu’on menait sur le monde paysan, on est
allé soutenir les ouvriers grévistes de la navale en leur apportant
du lait et des patates. On était très actif en 1968, et autant dire
que quand il a fallu s’organiser contre l’aéroport, on était
prêt ! » N’en déplaise aux habitants bien remontés,
les élus des cinq communes concernées (Notre-Dame-des-Landes,
Héric, Vigneux, Grandchamps et Trellières), convaincus du
bien-fondé de l’aéroport et de ses retombées pour leurs
localités, votent, en septembre 1972, la poursuite du projet. «
Les maires s’imaginaient ce qu’on leur disait : tout le
monde allait avoir du travail, on pourrait aller à New York sans
problème, de nouveaux habitants s’installeraient, et puis, à
l’époque, on sortait de cette période d’après-guerre où les
gens avaient besoin de rêver, se souvient avec indulgence Michel
Tarin. On venait d’avoir l’eau courante dans les maisons, les
gens n’avaient pas encore de frigo... L’aéroport, c’était le
summum. Mais le problème, c’était les paysans. On avait bien
compris que l’aéroport signifiait notre mort, et les créateurs de
ce projet n’avaient pas pensé qu’on s’opposerait. » [Voir
ci-dessous, encadré 1 : « Une tradition de luttes paysannes
».]
DES PAYSANS EN LUTTE
CONTRE L’AÉROPORT
En janvier 1974, le
préfet de Loire-Atlantique publie un arrêté transformant champs et
maisons en zone d’aménagement différé (ZAD). Commence alors le
lent grignotage du Conseil général, qui préempte dès que
l’occasion se présente. Dégagés par le mouvement
Paysans-Travailleurs, une émanation de Paysans en lutte, trois
objectifs mobilisent alors les syndicalistes : placer le droit
d’exploiter avant le droit de propriété, installer des jeunes
paysans, promouvoir le contrôle et la gestion collective des terres.
À Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs, les paysans doivent résister
aux pressions croissantes de l’urbanisation, de la course à la
productivité et à l’endettement. Sur la ZAD, la détermination à
occuper le terrain porte ses fruits : la moyenne d’âge des
exploitants est la plus jeune de tout le département et
l’organisation collective se concrétise, notamment à travers la
mise en place de plusieurs GAEC (Groupements agricoles d’exploitation
en commun). Une première victoire.
Plus conjoncturelle,
une seconde victoire se dessine : dès 1974, les répercussions du
premier choc pétrolier éprouvent l’économie nationale et font
battre de l’aile aux grands projets d’aménagements. Le décret
de ZAD est renouvelé une fois pour sept ans, en 1981, mais, avec le
second choc pétrolier de 1979, la menace se fait de plus en plus
lointaine. « À l’échéance du deuxième décret de ZAD, en
1988, plus personne ne croit à cet aéroport, se souvient Julien
Durand, retraité agricole, ancien Paysan-Travailleur et militant de
la Confédération paysanne. On aurait dû, à ce moment-là,
demander aux maires des cinq communes de retirer leur accord, mais on
pensait être définitivement débarrassé de ce projet. »
Une décennie
s’écoule tranquillement, sans la menace du nouvel aéroport. Mais
en 2000, le Premier ministre, Lionel Jospin, invoque de nouveau la
nécessité d’un troisième aéroport d’envergure internationale
en France, et, tout particulièrement, d’une infrastructure
permettant de relier Paris à New York. Pas question ceci dit de
l’implanter à proximité de la capitale... Jean-Marc Ayrault voit
alors l’opportunité qui s’offre à lui : c’est le moment de
déterrer le projet de Notre-Dame-des-Landes et de relier la
Loire-Atlantique au Nouveau Monde.
2000 : RELANCE DU
PROJET
Il ne faudra pas
longtemps aux habitants des communes concernées pour réagir. Mais
le monde paysan des années 1970 a changé. On ne parle plus de
Paysans-Travailleurs, mais d’exploitants agricoles ; on ne pense
plus en termes de convergence des luttes, mais de débat citoyen.
Pourtant, le refus de se laisser chasser pour un projet d’aéroport
reste bien ancré. L’Adeca, seule association jusque-là, ne suffit
plus : « Beaucoup de paysans sont partis en retraite sans être
remplacés et des nouveaux habitants se sont installés, explique
Julien Durand. La première association créée en 1972 ne regroupait
que des exploitants, mais la lutte ne pouvait plus se faire seulement
autour du monde agricole, elle devait aussi accueillir le débat
citoyen. On a donc fondé l’Acipa. » Soucieuse de rallier les
nouveaux arrivants et misant sur le dialogue, l’Acipa, appuyée par
d’autres associations d’opposition, sollicite un débat public.
Son vœu est exaucé en 2003.
À grand renfort
d’experts, de chiffres, de graphiques et de fascicules bien
ficelés, la Commission nationale du débat public (CNDP 10)
descend sur le terrain. Les invités : des représentants de la
Chambre de commerce et de l’industrie, de l’Aviation civile, de
la Chambre d’agriculture, et du Conseil général. Malgré ces
hôtes de marque clairement favorables, pour ne pas dire moteurs du
projet, une bonne partie des habitants et des associations pense
pouvoir faire remonter ses contre-arguments en haut lieu et ainsi
infléchir la décision de créer un nouvel aéroport. « Comme
tout un chacun ici, on a participé au débat public pour faire
entendre notre opposition, raconte Sylvie Thébault, éleveuse
installée à Notre-Dame-des-Landes depuis 1999. J’ai fait une
contribution au nom de mon syndicat agricole — je suis à la
Confédération paysanne, seul syndicat agricole à s’être
prononcé contre l’aéroport. Après coup, on a vécu ce débat
comme une grosse entourloupe. C’était un des premiers débats
publics nationaux... Maintenant, on voit que c’était une vraie
mascarade. C’est honteux de laisser croire au citoyen qu’il a un
droit de parole alors que tout est déjà décidé. »
Effectivement, en matière d’entourloupe, la CNDP sait y faire. À
l’issue de six mois de consultation dans tout le Grand-Ouest, où
de nombreuses interventions hostiles au projet n’ont pas manqué de
se manifester, la conclusion publiée est sans appel : il faut un
aéroport à Notre-Dame-des-Landes.
Après le débat
public de 2003 s’ouvre une phase d’études qui conduit à une
enquête publique à l’automne 2006. Les maires ne fermeront pas
leurs bureaux aux commissaires comme l’avait fait quelques années
auparavant celui de Plogoff, Jean-Marie Kerloc’h. 35 permanences
tenues par la commission ; 16 550 observations, lettres et
pétitions recueillies, dont deux tiers sont clairement défavorables.
Indifférente à ces signaux et fidèle à sa fonction, la Commission
d’enquête émet un avis favorable le 13 avril 2007 et le Conseil
d’État reconnait le caractère d’utilité publique du projet le
9 février 2008. Le Grenelle de l’environnement, qui avait pourtant
annoncé le gel de toute nouvelle construction aéroportuaire,
n’hésite pas à confirmer de son côté la compatibilité du
transfert de l’aéroport de Nantes vers Notre-Dames-des-Landes avec
les objectifs de développement durable puisque celui-ci sera garanti
HQE !
La disparition de
2000 hectares de bocage, l’épuisement des énergies fossiles, la
baisse de 4% du trafic de l’aéroport de Nantes-Atlantique l’an
dernier, rien ne fait rougir les nouveaux chantres du développement
durable. Interrogé par un journaliste de Ouest-France sur le pic de
production pétrolière et la pertinence de construire de nouveaux
aéroports dans ces conditions, Philippe Ayoun, sous-directeur des
études, des statistiques et de la prospective à la Direction
générale de l’aviation civile répondait : « Je ne suis
pas un spécialiste du pétrole, mais l’Agence internationale de
l’énergie ne voit pas de pic pétrolier avant 2040 grâce au
développement de nouveaux gisements. Les prix vont se renchérir, ce
qui va forcer les compagnies à faire des économies et à recourir
davantage aux carburants de substitution, ceux de la deuxième
génération fabriqués à partir de biomasse. Ils pourraient
représenter au moins 10 % du carburant utilisé. » Le
pétrole s’épuise ? Les agrocarburants sont là pour assurer
l’avenir des low-costs et autres déplacements de haute nécessité.
Les défenseurs du projet n’éprouvent aucun scrupule à condamner
des régions entières à la monoculture d’agrocarburants.
Pour Françoise
Verchère, ancienne maire de Bouguenais et militante du Front de
Gauche, à qui l’opposition au transfert de l’aéroport à
Notre-Dame-des-Landes a coûté sa place au Conseil général : «
L’insistance des politiques à vouloir donner jour à ce projet
relève de l’incantation au développement. C’est cette idée que
l’organe crée la fonction : en créant une infrastructure, le
développement va suivre. Les politiques sont aujourd’hui encore
sur le modèle de croissance des Trente Glorieuses sans prendre en
compte la finitude de la planète, la finitude des matières
fossiles, à une époque où on ne paie pas les ressources premières
à leur coût réel de matière non-renouvelable, sans compter qu’on
les pique aux autres ! Ils sont non seulement dans le culte du
progrès, mais aussi dans l’idée qu’il y aura toujours une
solution technique à tout. Il n’y a plus de kérosène ? Il y
aura des agro-carburants ! C’est pour ça que le capitalisme
vert a de très beaux jours devant lui. Il y a beaucoup de gens qui
pensent qu’en achetant des yaourts bio et en faisant du
bio-carburants, on va continuer à vivre selon modèle dominant
d’aujourd’hui, et qu’on s’en sortira. » À
Notre-Dame-des-Landes, l’écologie de façade ne trompe personne.
Ce n’est pas qu’on soit particulièrement partisan d’une
écologie radicale (sur la ZAD, tous les paysans fonctionnent en
agriculture conventionnelle, seul un est en bio), mais on perçoit
l’escroquerie d’un discours qui ne fait que s’adapter à l’air
du temps.
ÉLARGIR LA
RÉSISTANCE
Avec le coup de
théâtre du Grenelle de l’environnement, un des derniers remparts
institutionnels contre le projet s’effondre. Devant l’urgence de
la situation, les associations montent au créneau. Si la majorité
des opposants à l’aéroport, rejointe depuis peu par un «
collectif d’élus qui doutent de la pertinence du projet »,
reste avant tout soucieuse de respecter la loi et de ne pas prendre
trop de risques, elle a le mérite de rester tenace : présence
pacifique aux moments des forages, réunions régulières et
fabrication de matériel d’information au lieu-dit « La Vache
rit », un bâtiment mis à disposition par un paysan de
Notre-Dame-des-Landes ; tenue d’une « vigie » qui
consiste à interpeller silencieusement les conseillers généraux et
les habitants de Nantes, pique-nique estival pour rassembler les
différents soutiens, etc. De son côté, s’écartant des méthodes
classiques de protestation, l’Acipa, qui compte parmi ses rangs
quelques anciens Paysans-Travailleurs, lance un appel à occuper les
maisons. Mais c’est justement dans les milieux où l’on serait
susceptible de répondre à un tel appel que l’Acipa est la moins
influente. « Les informations ne circulaient pas très bien à
Nantes. Pour nous, c’était surtout une lutte de riverains qui
voulaient préserver leur environnement et rien de plus, se souvient
Yann habitant sur la ZAD depuis plus de deux ans. Jusqu’à ce qu’on
en entende un peu plus parler au jardin collectif de Couëron. On a
su qu’il y avait un appel à venir occuper des maisons vides, mais
qu’il n’y avait pas de candidat. On est venu au pique-nique du
mois de juillet et on a rencontré des gens proches de l’Acipa qui
nous ont indiqué les maisons vides et on a décidé de rester. »
L’information a beau circuler, les nouveaux arrivants se font
attendre.
C’est avec les
premiers travaux de forage que la résistance à l’aéroport prend
une nouvelle dimension. Jusque-là, les opposants étaient surtout
des habitants concernés par l’aéroport. Avec les premiers
forages, début 2009, la lutte s’élargit et reçoit de nouveaux
soutiens. Rodolphe fait partie de ceux-là : « La manière
dont ce projet est mené, en l’absence totale d’une prise en
considération des premiers concernés, m’a donné envie de mener
cette lutte avec les habitants directement touchés par l’aéroport,
explique-t-il. Si j’ai eu envie de lutter contre ce projet, c’est
aussi pour tout ce qu’il représente. Ce n’est pas juste un
aéroport qui est en jeu, mais la politique du capitalisme qui est à
l’œuvre, ici, avec sa façon de diviser les gens dans leurs vies,
de cloisonner tout le social que peut générer une vie dans le monde
rural au profit de quelques-uns... La parole des gens est oblitérée,
malgré les débats publics et les protestations. Pourtant, les gens
sont capables de raisonner, de décider pour leur vie, d’avoir des
projets d’avenir pour leurs territoires, et on ne peut pas décider
pour eux. »
En janvier 2009, ils
sont une bonne centaine à vouloir empêcher la foreuse d’effectuer
les premiers sondages. Face à eux, au moins autant de gardes mobiles
et de camions de l’armée protégeant la foreuse, des barrages
routiers pour contrôler les automobilistes et un hélicoptère pour
quadriller la zone. Marie Jarnoux, habitante de Notre-Dame-des-Landes
et membre du collectif des « Habitants qui résistent »,
n’avait jamais vu un tel déploiement de forces : « Ma
maison fait partie de celles qui sont visées par le projet. On
compte rester, résister le plus possible, mais on a beau s’opposer
à ce projet, c’est dur de se confronter à l’armée... »
D’autres, plus enclins à l’action directe, tentent de
s’interposer physiquement : « On ne peut pas se contenter
d’une présence symbolique, proteste une nouvelle habitante de la
ZAD. Laisser les forages se faire, c’est laisser le projet
d’aéroport se concrétiser ! Il ne faut pas attendre les
premières coulées de béton pour s’opposer. » En avril
2009, convaincus de la nécessité d’agir, un paysan et un
manifestant sont arrêtés pour « vol de terre », « bris
de matériel » et « refus de prélèvement ADN ». Ils ont
dispersé et mélangé les échantillons de terre prélevés par la
foreuse. Deux mois de prison avec sursis pour les faits et deux mois
avec sursis pour refus d’ADN… Face à la répression, le fossé
aurait pu se creuser entre les partisans des différentes stratégies,
mais les associations ont alors soutenu les deux inculpés, notamment
en prenant en charge les frais de justice.
Pour tenter
d’élargir encore la mobilisation, une « Semaine des
résistances » est organisée, en août 2009, sur la commune de
Notre-Dame-des-Landes. Parallèlement se tient aussi le premier Camp
Action Climat français. Une semaine de discussion, de fonctionnement
en autogestion et d’actions à l’issue de laquelle un appel à
venir occuper les terres et les maisons est lancé. Suivi par
plusieurs personnes, il donnera lieu à la réouverture de maisons
inhabitées depuis la préemption du Conseil général. Des bouts de
terrain commencent à être défrichés et des potagers prospèrent
çà et là
APPEL À OCCUPER LES
MAISONS
Au cœur de la ZAD,
dans une des maisons récemment ouvertes, deux jeunes habitants
grattent la terre avec Marie-Thérèse, leur voisine septuagénaire.
Elle qui regardait d’un œil inquiet l’installation de squatters
dans la maison mitoyenne à la sienne, la voici finalement charmée
par de nouveaux voisins qui ne manquent pas une occasion de lui
rendre service. Un échange de bons procédés parmi d’autres :
ils binent son potager tandis qu’elle sème des graines, en leur
expliquant comment tel ou tel légume se cultive. Un peu plus loin,
d’autres occupants ont lancé un potager avec des habitants qui
résistent. « On fait aussi un élevage de poulets en commun et,
une fois par an, on tue trois cochons pour en faire du pâté. On est
quasiment autonomes en terme de consommation de viande et avec le
potager, on n’achète jamais de légumes », explique Agathe. À
quelques prairies de là, un paysan a concédé un bout de ses terres
pour que soient plantées des pommes de terre qui serviront pour
l’hiver prochain. Au-delà de permettre de subvenir à des besoins
élémentaires, toutes ces activités créent un commun qui n’est
pas toujours imaginé au départ. « Il y a du plaisir à savoir
qu’on va se nourrir en partie de ce qu’on cultive, mais le
potager ou les autres activités “alimentaires” créent d’autres
choses que l’autonomie : des rencontres qui ne seraient pas
forcément faites sans ça, des relations d’affection et aussi un
attachement à la terre », poursuit Yann.
Petit à petit,
c’est tout un réseau de solidarité qui se tisse. Mais la
rencontre de ces deux mondes ne se fait pas sans heurts. Dans le
bourg de Notre-Dame-des-Landes, les jugements à l’emporte-pièce
vont bon train. Il faut une certaine persévérance pour se faire sa
place. « Ce qui se joue ici, c’est le coup de main pratique sur
les chantiers, reconnaît Yann. À ce moment-là, tu discutes de
choses techniques, comme des travaux de la maison, des trucs autour
du jardin. On n’est pas dans des grandes idées, mais on fait des
choses ensemble. On s’est fait respecter parce qu’on a beaucoup
participé aux chantiers comme couper du bois ou déblayer un accès
à un champ, et parce qu’on a fait nos preuves avec le jardin.
C’est pas étonnant qu’il y ait de la méfiance vis-à-vis des
nouveaux arrivants, ils en ont tellement vu, des gens, depuis les
années 1970 qui disaient vouloir s’installer et qui sont repartis
! Mais c’est quand même triste tous ces préjugés, et c’est
vraiment pénible de sentir qu’il faut “mériter” d’habiter
sur la ZAD pour être bien vu des gens du coin. » Comme au
Larzac, à Plogoff où dans d’autres luttes mettant en présence
des habitants ancrés de longue date et des nouveaux considérés
comme « hors-sol », la rencontre prend du temps. D’autant
plus lorsque les nouveaux arrivants critiquent ouvertement
l’agriculture conventionnelle, pour ne pas dire intensive, aspirent
à une vie en dehors du salariat et rejettent les formes
d’organisation hiérarchisées. Mais comme le dit Julien Durand, un
paysan retraité de la ZAD qui tente de créer des ponts entre ces
deux mondes : « Avec un peu de patience, les choses vont se
faire. Il faut du temps pour qu’on s’apprivoise, et c’est à
chacun de faire un pas vers l’autre. Sans ça, on ne gagnera pas
! » Au-delà des différences culturelles, les uns et les
autres sentent bien que l’issue de cette lutte dépend aussi de la
capacité de chacun à nouer des relations, sachant que la confiance
mutuelle est la condition sine qua non de pratiques solidaires pour
faire front à ce projet qui, ici comme ailleurs, s’inscrit dans un
modèle de développement qui n’en finit plus de démontrer sa
capacité de nuisance.
ENCADRÉ 1 /// UNE
TRADITION DE LUTTES PAYSANNES
Dans ce coin de
Loire-Atlantique comme dans l’ensemble du pays, le monde paysan est
mis à mal par de profonds changements. Le mouvement contre
l’extension du camp militaire du Larzac qui débute alors témoigne
des mutations en cours. En août 1973, devant près de 80 000
personnes réunies sur le plateau, Bernard Lambert, leader des
Paysans-Travailleurs venu de Loire-Atlantique, s’écrie : «
Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais. C’est
pourquoi nous sommes ici pour fêter le mariage des Lip11 et du
Larzac. » Ce premier grand rassemblement de soutien aux paysans
du Larzac avait été appelé par le tout petit et nouveau mouvement
des Paysans-Travailleurs. Constitué en opposition à la FNSEA
(Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles),
syndicat « unique » dont les principaux dirigeants ont été
actifs au sein de la Corporation paysanne sous le régime de Vichy,
ainsi qu’à sa section « jeunes », le CNJA (Centre national
des jeunes agriculteurs), Paysans-Travailleurs affirma d’emblée
son ambition de replacer les questions agricoles et rurales dans le
contexte plus large des luttes sociales de l’ensemble de la
société. Face au projet d’aéroport, les mêmes convictions se
font jour. Plusieurs paysans installés à Notre-Dame-des-Landes,
mais aussi dans d’autres communes plus lointaines comme celle de
Couëron, ont participé à Mai-68, à la création de « Paysans
en lutte », puis à celle de Paysans-Travailleurs, et continuent
à soutenir les ouvriers grévistes des usines nantaises dans les
années qui suivent. Au-delà du refus d’abandonner les terres aux
promoteurs de l’aéroport qui misent sur la désertification
progressive de la zone, ces jeunes paysans croient alors à la
possibilité d’une profonde transformation sociale, qui passerait
par une collectivisation des terres et une unité entre monde ouvrier
et monde agricole.
ENCADRÉ 2 ///
PLOGOFF : UNE VICTOIRE POPULAIRE
Plogoff, février
1980 : toute une population refuse l’installation d’une
centrale nucléaire à quelques encablures de la Pointe du Raz, face
à l’île de Sein. La Bretagne, mazoutée deux années plus tôt
par l’Amoco Cadiz, refuse ce projet de centrale nucléaire. Les
Bretons avaient déjà démontré leur détermination contre
l’implantation d’une centrale à Erdeven, à Saint Jean-du-Doigt
et à Ploumoguer à la fin des années 1970. « À Plogoff, EDF et
l’État s’attendaient à ce que les gens acceptent la centrale,
car il y avait beaucoup de retraités, d’anciens militaires, des
marins de commerce et des femmes », explique Nicole Le Garrec,
réalisatrice du film documentaire Des pierres contre des fusils.
C’était sans compter l’attachement à un mode de vie, à une
terre et sans la volonté des habitants de décider eux-mêmes de
leur avenir. En 1976 déjà, les ingénieurs d’EDF sont empêchés
de sonder des terrains qui pourraient accueillir une centrale sur la
commune de Plogoff. Dans les années qui suivent, les CLIN, les
comités locaux d’information nucléaire qui se sont montés un peu
partout dans le pays, sont de plus en plus fréquentés et, pour
sauver le Cap, on invite les militants à acquérir des parcelles
afin d’y implanter une bergerie. Le 30 janvier 1980, à la veille
du démarrage de l’enquête publique, Jean-Marie Kerloc’h et
Pierre Guével, maires de la petite commune de Plogoff et de celle de
Primelin, prennent les devants. Estimant que les autorités ne
tiendront de toute manière pas compte des avis de la population, ils
décident de brûler le dossier de synthèse que le préfet leur
avait adressé courant décembre, et de fermer la mairie à l’enquête
publique. Commence alors une « occupation militaire » de
Plogoff et du Cap Sizun qui se confronte à une résistance spontanée
mais tenace de la population soutenue par la multitude des comités
antinucléaires bretons.
« À Plogoff, on
n’avait pas une culture militante, mais on n’avait pas l’habitude
de courber l’échine, se souvient Nicole Le Garrec. On aimait la
vie qu’on avait, parce qu’on avait une certaine autonomie, ce qui
n’était pas le cas des régions plus industrialisées, on avait
des potagers et des formes d’échanges très liés à un mode de
vie rural. On n’était pas riches, mais on n’était pas pauvres
non plus. On avait suffisamment la tête hors de l’eau pour faire
des choix. »
Sans hésitation, le
choix est fait de tout faire pour repousser ce projet. Dès lors, les
habitants s’organisent : des barricades de carcasses de
voitures, de pierres et d’ordures ménagères se dressent un peu
partout sur les routes contre les gardes mobiles arrivés en nombre.
Mais la résistance prend aussi la forme du harcèlement moral. Les
femmes se relaient pour tenir tête aux gendarmes, aux CRS et aux
Paras tout juste revenus du Liban... Pendant quarante-cinq jours, les
commissaires-enquêteurs doivent assumer leur fonction dans des
camionnettes rebaptisées « mairies annexes ». Les
arrestations se succèdent. Plusieurs manifestants sont traduits
devant le tribunal de Quimper. L’un des avocats, Maître Choucq,
est même condamné à dix jours de suspension.
Mais ni le
déploiement militaire ni la répression ne font taire les femmes et
les hommes de Plogoff, qui restent déterminés à ne pas abandonner
leurs terres au projet de centrale nucléaire. Devenue très
populaire, leur lutte reçoit des soutiens de toute la France. Le 16
mars 1980, 50 000 personnes manifestent à l’occasion de la
clôture de l’enquête d’utilité publique. Quelques semaines
plus tard, la mobilisation n’a pas faibli. Plus de 100 000
manifestants fêtent la fin de la procédure, le 24 mai 1980. Un an
plus tard, le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président
de la République et le nouveau gouvernement socialiste décide
l’abandon du projet. Plogoff a gagné.
ENCADRÉ 3 ///
ATENCO, PISTE DE RÉSISTANCE
Pendant son
itinérance à Nantes, Z a participé à l’organisation d’une
soirée discussion-projection sur la place de l’église de
Notre-Dame-des-Landes. À la nuit tombée, un film a retracé
l’histoire de la lutte à Atenco.
Le 22 octobre 2001,
le gouvernement fédéral mexicain décrète l’expropriation de
11 500 hectares à San Salvador d’Atenco pour la construction du
nouvel aéroport international, violant ainsi les droits naturels et
sociaux des communautés vivant sur les berges de l’ancienne lagune
de Texcoco, à 40 kilomètres à l’est de la capitale. Les peuples
indigènes concernés, semi-ruraux, s’organisent rapidement en
Front des peuples en défense de la terre (FPDT). Ils revendiquent
des racines plus anciennes que la constitution de l’État mexicain
: « Nos ancêtres furent vaincus, soumis à l’esclavage et
dépossédés de nos territoires lors de la conquête coloniale
espagnole. Jusqu’en 1910, où la révolution mexicaine, impulsée
par Emiliano Zapata, vit le soulèvement des communes sous les
bannières de “Terre et liberté” et “La terre à ceux qui la
travaillent ”. Le triomphe de la Révolution permit de récupérer
ces territoires. C’est alors que fut réalisée la distribution de
terre aux peuples indigènes sous la forme agraire d’“ejido” –
qui établit que les terres sont communautaires, servent
exclusivement à l’agriculture, qu’elles sont invendables et
qu’on peut les enlever à ceux qui ne les travaillent pas. »
Le FPDT rejette «
un progrès qui n’apporte que pauvreté au plus grand nombre,
qui nie notre identité, qui se nourrit de l’expulsion et de la
subordination du peuple ». Pour les habitants, construire un
aéroport sur l’ancien réservoir d’eau de Texcoco ne ferait
qu’augmenter dramatiquement les déséquilibres écologiques de
cette zone. L’aéroport détruirait les quelques lacs servant de
refuge à une population d’oiseaux estimée entre 100 000 à
300 000 spécimens selon la saison. Ce projet ne bénéficierait
qu’à des entreprises nationales ou multinationales qui suivent un
plan d’intégration économique dans toute l’Amérique Centrale
(Plan Puebla Panama), ainsi qu’aux intérêts du capital financier
(FMI, Banque mondiale, etc.).
Le Front refuse
l’aéroport, qui « n’est rien d’autre qu’une nouvelle
forme de conquête, une nouvelle invasion qui se cache derrière les
noms de progrès et de modernité ». Pendant plus de dix mois,
la lutte est acharnée, machette « pacifique » en main. La
répression est sévère. Le 24 juillet, un manifestant, José
Enrique Espinoza Juarez, meurt de ses blessures causées par les
violences policières.
Le 2 août 2002, le
gouvernement abroge finalement le décret d’expropriation et annule
le projet d’aéroport. Durant les quatre années qui suivent cette
victoire, le FPDT reste mobilisé et solidaire d’autres luttes. En
mai 2006, le Front soutient des fleuristes en lutte à Texcoco. Le 4
mai, 3500 éléments des forces de police et militaires encerclent le
village d’Atenco et bloquent les accès au village. Commence une
répression sanglante. Environ deux cents personnes sont arrêtées
ce jour-là, de nombreuses personnes blessées dont certaines
gravement, et une trentaine de femmes violées. La police fait un
nouveau mort : Alexis Benhumea, un jeune de 21 ans tué par une
grenade lacrymogène. Quatre ans plus tard, douze personnes sont
toujours incarcérées, avec des peines de 31 à 112 ans de prison,
et une personne reste sous la menace d’un mandat d’arrêt. Été
2010, à l’issue d’une campagne de solidarité internationale, la
Cour suprême de justice statue. À l’encontre des douze personnes
encore emprisonnées, des preuves illégales ont été employées
pour essayer de les accuser d’un délit qu’elles n’ont pas
commis. Elles sont aujourd’hui libres.
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