Vu sur Citizen Nantes. C'est poétique, c'est vrai, c'est beau.
La Rolandière
La Vache Rit
Saint Antoine
Rodolphe Respaud - 19/11/2012
La Rolandière
Il
m’avait dit : « Viens à Notre-Dame, il y a les belles de Rohanne ». Je
crois qu’au départ ma décision de participer à la
manifestation vint de cette phrase qui me semblait d’un autre temps.
Alors je suis parti comme un enfant choisissant de partir pour la
beauté des mots dans un ailleurs qui lui
ressemblerait.
16
novembre. Il est 19 heures. Les belles de Rohanne sont les fougères et
les feuilles rousses des chênes que la brume
embrasse en sanglots puisqu’il pleut sous les arbres alors que
derrière l’opacité, les étoiles en coulisses se chargent de nous
rappeler que la zone est humide à 98% et qu’un aéroport ici
prendrait l’eau. C’est cette eau qui nous accueille, qui est partout
jusque dans les yeux de ce presque adulte qui criait sur les barricades
deux semaines auparavant; elle est comme les cheveux
de toutes formes sur les épaules et les crânes de chacun et chacune
marchant dans la lumière des phares vers on ne sait quelle destination,
d’un pas ferme et sensible.
Et les salamandres me direz-vous, beaucoup sont mortes sous les roues d’un état policier, mais il en reste encore et
j’imagine que tous ces corps mouvants dans le brouillard, engoncés dans de larges manteaux, en sont.
Point
auto-média : j’écoute à moitié le discours des zadistes sur la présence
de la presse à la manifestation, nous sommes
dans la paille, il fait froid, ils sont présents, ils sont là, débat
animé mais courtois, échange de point de vue, paranoïa parfois mais le
sentiment d’être uni dans un autre monde qui se déroule
sous nos yeux rend les négociations possibles entre reporters
indépendants et zadistes.
Nous rentrons à Nantes avec en sourdine le regret de n’être que témoin d’une aventure qui nous ressemblerait. Sur la D281
les barricades sont là, dans la lumière des phares, on peut voir qu’il y a eu bataille au Sabot au Far-West,
au pied d’un horizon qui ne dira son nom qu’au lendemain de ce
vendredi soir ouaté, drapé d’une douceur comparable à celle que j’ai
tant aimé au sahel. Parce que c’est un rivage aussi, ou plutôt l’estran
d’une société qui prend la flotte.
La Vache Rit
17
novembre. Il a fallu y être tôt. Voir le ballet des tracteurs, les
files de voitures, les courants d’êtres humains se
faufiler entre les rythmes et les rires, sentir la boue marquer nos
pas comme autant de traces de notre présence dans ce cortège
interminable où l’eau c’était la parole, les mains, les yeux
mouillés, les chants, les charmes, où les bennes transportaient des
matériaux, du bois, du métal, pour construire ensemble un refuge contre
des oiseaux de feu. Aucune appartenance. Néo-ruraux,
familles, paysans, handicapés, punk, rastas, autonomes, une seule
tribu avec une seule voix, celle de nos milliers de pas sur la terre
comme autant d’invitations à battre, non le pavé mais ce
foutu béton qui fera qu’un jour, il sera impossible de vivre ici.
Puis
un café s’est fait ressentir, nous nous sommes arrêtés à la Vache Rit
pendant que d’autres ont continué jusqu’au
chapiteau. Sous une grange, un tas de vêtements, de la nourriture
offerte, de l’entraide, de l’humanité, du possible et du vrai. Je
repense à ces écrivains qui aurait aimé être là, Perros,
Augiéras, Dietrich et d’autres, alors je rentre, je pleure un peu de
voir autant de bienveillance, de franchise et d’espoir. Les mots me
manquent pour dire, simplement dire l’humanité concentrée
en ce lieu où s’échangent les sueurs, les vies et les chants. Parce
qu’un enfant maquillé joue du tambour, qu’un homme psalmodie un texte en
improvisant sur deux lignes d’orgues, parce que des
squatteurs se retrouvent, parce que des familles circulent,
curieuses et engagées au milieu de ce que certains pourraient appeler un
chaos, mais qui est pour moi le simple preuve que la vie est
là et qu’elle surgit n’importe où sans crier gare.
Il
fait déjà nuit, le temps est élastique, je pense à la complainte de
Mandrin, aux fougères, aux belles de Rohanne, à
l’élégance de danses improvisés, mes yeux se ferment un peu, je suis
sur le siège d’une voiture bercé par ces voix qui me réchauffaient
enfant, quand ma mère laissait la porte ouverte et qu’elle
discutait avec des amis, participant mais témoin offrant à ma
somnolence l’assurance d’une humanité bienfaisante et incarnée.
Saint Antoine
18
novembre. Je ne pouvais pas repartir sans y retourner, voir un monde se
construire dans la forêt, apercevoir les rêves
derrière chaque coup de marteau, prendre les chemins chargés de
matériaux pour des maisons que l’on sait vouées à la destruction mais
qu’il faut faire quand même parce qu’on sait aussi que tout
cela n’est pas vain, puisque des centaines de personnes s’en
souviendront comme d’une exceptionnelle entreprise collective, une somme
de désirs réunis en un seul, celui de lutter contre un monde
qui ne nous ressemble pas.
Alors l’aéroport ? Bien sûr que c’est avant tout le combat qu’ils mènent. Mais il y a une autre lutte en sourdine, celle de
l’être humain qui veut retrouver un monde à sa mesure, celle de la terre, de l’eau, de l’arbre et du mot.
Et c’est ce mot : Zadiste que j'emporterai avec moi comme on fait sienne une nouvelle identité qui cristallise tous les
combats avec un seul prénom offert aux médias pour plus d’anonymat : Camille.
Merci.
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